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L'alliance entre les Etats-Unis et Israël arrive-t-elle à bout?

L'État israélien et les États-Unis sont en froid à cause d'un accord onusien pour un "cessez-le-feu" temporaire contre le génocide en cours des Palestiniens à Gaza. [Keystone/AP Photo - Jacquelyn Martin]
Le grand froid entre Washington et Tel Aviv. Analyse avec Denis Charbit / Tout un monde / 8 min. / le 28 mars 2024
Lundi au Conseil de sécurité de l’ONU, les Etats-Unis n’ont pas opposé leur veto à une résolution appelant à un cessez-le-feu à Gaza. Un geste qui a provoqué la colère de Benjamin Netanyahu, mais entre-t-on dans une période de grand froid entre Washington et Tel Aviv?

Après l'abstention des Etats-Unis au Conseil de sécurité de l'ONU, le Premier ministre israélien a annulé sa visite prévue à Washington et la tension est croissante entre les deux pays, avec des propos très vifs échangés de part et d'autre. Pour Benjamin Netanyahu, il n'est pas question d'accepter un "diktat" de Washington.

Invité jeudi dans l'émission Tout un monde, Denis Charbit, professeur de science politique à l'Université libre d’Israël et spécialiste de la société israélienne, explique que l'élection présidentielle américaine donne un levier d'action au Premier ministre israélien, qui en profite pour défier Washington.

Pour les uns, il y a de l'aventurisme dans cette tentative de défier l'administration américaine, mais pour la base électorale de Netanyahu, il ne fait qu'affirmer la souveraineté d'Israël

Denis Charbit, professeur de science politique à l’université libre d’Israël

"Benjamin Netanyahu sait que Joe Biden n'a pas la liberté de manœuvre dont un président américain dispose, compte tenu de l'inégalité des rapports entre les puissances israélienne et américaine. Là, effectivement, il est bridé. Parce qu'à la veille de la consultation pour laquelle il demande sa réélection, il sait que Joe Biden n'aime pas aller trop loin."

Benjamin Netanyahu joue également son image au sein de la population israélienne, analyse Denis Charbit. "Pour les uns, il y a de l'aventurisme dans cette tentative de défier l'administration américaine, mais pour son sa base électorale, pour ceux qui sont à droite de l'échiquier politique, Benyamin Netanyahu ne fait rien d'autre qu'affirmer la souveraineté d'Israël, son indépendance. Et il manie effectivement cette rhétorique qui consiste à dire que la sécurité d'Israël est d'abord et avant tout l'affaire du gouvernement israélien."

>> Le suivi de la situation à Gaza : Un assaillant tire sur des véhicules, dont un bus scolaire, près de Jéricho, faisant trois blessés

Fin du consensus bipartite

Avec cette défiance envers les Etats-Unis, Israël met en danger une alliance unique, à la fois diplomatique et militaire. "Depuis que Benjamin Netanyahu est au pouvoir, il a opéré un tournant dans les relations israélo-américaines. Il faut rappeler qu'elles étaient historiquement fondées sur un consensus des deux partis démocrate et républicain. L'attitude israélienne depuis Golda Meir (Première ministre d'Israël de 1969 à 1974, ndlr), c'est que peu importe l'administration américaine au pouvoir, qu'elle soit démocrate ou républicaine, les deux doivent soutenir Israël."

Aujourd'hui, quand on est républicain, on soutient l'Etat d'Israël et quand on est démocrate, on le soutient beaucoup moins

Denis Charbit, professeur de science politique à l’université libre d’Israël

Et Denis Charbit de poursuivre: "Ce que fait aujourd'hui Benjamin Netanyahu n'est pas une première. Il l'avait fait face à Barack Obama lorsqu'il était venu au Sénat américain pour contester l'accord qui venait d'être signé avec Téhéran. Une fois de plus, Benjamin Netanyahu pousse les relations israélo-américaines de telle sorte qu'aujourd'hui, quand on est républicain, on soutient l'Etat d'Israël et quand on est démocrate, on le soutient beaucoup moins. Voilà le tournant qu'il a fait imprimer aux relations israélo-américaines."

Des tensions prévisibles

Ce regain de tension entre Washington et Tel Aviv était inévitable, estime Denis Charbit. "Les États-Unis pensent bien sûr que le Moyen-Orient se porterait mieux si le Hamas n'était plus un facteur qui avait de l'influence et de la puissance dans la région. Mais ils auraient souhaité que cette opération se fasse très rapidement, qu'elle se fasse sans un trop grand nombre de pertes civiles. Or on voit bien que cela fait presque six mois que la guerre dure et que le nombre des civils tués est extrêmement important, même sans précédent. Dans ce contexte-là, je dirais que la tension était prévisible."

L'objet de discorde actuel tourne autour d'une offensive militaire terrestre à Rafah, rappelle le chercheur. "Cela fait déjà trois semaines que Netanyahu déclare vouloir le faire, ce qui montre d'ailleurs qu'il est quand même aussi sensible à l'opinion internationale. Il soigne son image d'indépendance et de souveraineté, mais cela fait quand même trois semaines qu'il a dit qu'il rentrerait à Rafah et qu'il ne l'a pas fait."

>> Revoir le sujet du 19h30 sur l'adoption de la résolution du Conseil de sécurité :

Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution exigeant un "cessez-le-feu" immédiat
Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution exigeant un "cessez-le-feu" immédiat / 19h30 / 2 min. / le 25 mars 2024

Propos recueillis par Patrick Chaboudez

Version web: Antoine Schaub

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