PDG de 1992 à 2014 de cette marque mondiale et à l'époque très prisée par les jeunes, Mike Jeffries "a utilisé son pouvoir, sa richesse et son influence pour exploiter des hommes pour son plaisir et celui de son compagnon", a accusé le procureur fédéral Breon Peace à New York, où est menée l'enquête.
Aujourd'hui âgé de 80 ans, Mike Jeffries a été arrêté avec son compagnon à West Palm Beach en Floride où ils ont comparu mardi devant la justice. L'ancien PDG a été remis en liberté contre une caution de 10 millions de dollars, tandis que son compagnon a été maintenu en détention, selon le parquet new-yorkais. Une nouvelle comparution est prévue vendredi.
L'avocat de Mike Jeffries, Brian Bieber, a indiqué dans les médias américains qu'il "répondrait en détail aux accusations (...) mais dans un tribunal".
Système rodé d'exploitation d'aspirants mannequins
Un an après une enquête de la BBC sur le sujet, et alors qu'une action civile est en cours aux Etats-Unis, le procureur a décrit un système rodé d'exploitation d'"aspirants mannequins qui savaient qu'une place dans l'une des publicités emblématiques d'Abercrombie pouvait être un ticket pour le succès dans l'industrie de la mode".
Concrètement, l'intermédiaire du couple et troisième suspect était chargé de "recruter" et "tester" des jeunes hommes dans le monde entier en les payant pour avoir des relations sexuelles, tout en leur faisant miroiter un contrat, a décrit Breon Peace.
Une fois sélectionnées, les victimes étaient conduites dans les résidences du couple, dans la région huppée des Hamptons près de New York ou dans des hôtels en Angleterre, en France, en Italie ou au Maroc pour y avoir des relations sexuelles avec le PDG de la marque et son compagnon, a relaté le procureur new-yorkais.
"Dizaines" de victimes
Selon lui, les victimes ignoraient ce qui les attendaient lors de ces rendez-vous qu'elles pensaient bénéfiques pour leur carrière. Le couple est accusé de leur avoir fait prendre du viagra, du poppers et de l'alcool pour satisfaire leurs envies.
"A plusieurs reprises, quand les hommes n'étaient pas consentants ou n'étaient pas en état de le faire, ils ont violé leur intégrité corporelle en les soumettant ou en continuant à les soumettre à des contacts sexuels intrusifs et violents", a déclaré le procureur.
Selon l'acte d'accusation, les victimes, qui se comptent en "dizaines" selon Breon Peace, devaient signer des contrats de confidentialité pour ne rien révéler de ce qui se passait.
Le couple a "dépensé des millions de dollars" pour soutenir un tel système et maintenir son secret, en voyages, locations de chambres d'hôtel, et paiements pour des relations sexuelles.
Sujet radio: Katja Schaer
fgn
De fournisseur d'équipements sportifs de luxe à marque controversée
Abercrombie & Fitch date de la fin du 19e siècle. L'entreprise est alors un fournisseur d'équipements de sport de luxe. C'est là que le président Roosevelt par exemple achète l'équipement indispensable à son safari africain.
Abercrombie & Fitch prospère jusque dans les années 70, quand la concurrence, moins chère, lui grignote du terrain. A tel point que l'entreprise, en faillite, est sauvée de justesse par un rachat. Mais la stratégie commerciale est changée dès la fin des années 80. La marque vise une clientèle plus jeune. Et c'est le point de départ du dérapage, avec l'entrée en scène, dès le début des années 90, de Mike Jeffries.
Stratégie risquée
La stratégie commerciale du groupe est pour le moins risquée. Elle vise les jeunes blancs, beaux, propres sur eux et préférablement de classe supérieure. Abercrombie & Fitch évite d'engager du personnel de vente qui n'a pas le profil, comme les gens de couleurs ou les personnes un peu moins séduisantes.
A l'entrée des boutiques, on poste de jeunes mannequins vêtus de manière minimaliste. Et les publicités sont ouvertement sexuelles. Et Mike Jeffries va trop loin quand il déclare publiquement qu'Abercrombie & Fitch ne veut habiller ni les gens qui ne sont pas cools, ni les gens qui sont trop gros. Le public américain s'agace. A tel point que fin 2014, Mike Jeffries est prié de partir, avec un parachute doré de 25 millions de dollars
Dans les mois suivants, l'entreprise avait renoncé à l'une de ses marques de fabrique, des mannequins aux torses sculpturaux et des vendeuses aux tailles de guêpe vêtues très court pour appâter le client dans ses magasins. En 2015, la Cour suprême américaine avait fustigé son refus d'embaucher une femme voilée dans une décision retentissante.
En 2016 encore, la marque est décrite comme la plus détestée du public américain.
Depuis, l'entreprise se relève très péniblement, en revoyant complètement son image, en se positionnant comme moderne, ouvert et très inclusif.