Elles n'ont plus le droit de travailler ni d'étudier. Elles n'ont plus accès aux salles de sport, aux espaces publics et même les salons de beauté, dernier îlot de sociabilité, leur sont désormais fermés. La situation des femmes afghanes est dramatique deux ans et demi après la prise de pouvoir par les talibans et l'ONU dénonce "un apartheid de genre", un effacement systématique des femmes de la vie publique.
"Les talibans ont édicté plus de 90 décrets. Imaginez! Même les fillettes ne peuvent plus aller à l'école primaire aujourd'hui. Ça, c'est un apartheid de genre", témoigne l'ex-ministre afghane Nargis Nehan, 46 ans, de passage à Genève dans le cadre du FIFDH (Festival du Film et Forum International sur les Droits Humains).
Lors de la prise de pouvoir par les talibans en 2021, elle était à la tête du très stratégique ministère des Mines et du Pétrole. La politicienne a dû alors fuir son pays et ses responsabilités. En exil au Canada, elle se bat aujourd'hui pour le droit des femmes et pour faire reconnaître ce concept d'apartheid de genre.
Pas de réalité juridique
L'apartheid évoque immédiatement l'Afrique du Sud et la ségrégation raciale et est reconnu, depuis 1973, comme un crime contre l'humanité dans le droit international.
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En revanche, l'apartheid de genre n'a pas de réalité juridique, même si l'expression est de plus en plus utilisée, comme par le secrétaire général de l'ONU António Guterres, pour parler de la situation des femmes afghanes, notamment.
Des collectifs, mais aussi des personnalités influentes, comme Hillary Clinton ou des prix Nobel de la paix, la Pakistanaise Malala Yousafzai et l'Iranienne Narges Mohammadi, militent pour changer la donne.
Avec une reconnaissance juridique, "on pourrait amener les talibans devant la Cour pénale internationale", explique Nargis Nehan dans l'émission Forum mardi soir.
Cette reconnaissance permettrait de poursuivre non seulement les individus, mais aussi les Etats en cas de persécutions systématiques basées sur le genre. Pour l'ancienne membre du gouvernement afghan, ce serait aussi un signal très clair envoyé à tous les régimes pour leur signifier "qu'ils ne peuvent pas juste traiter les femmes comme ils veulent".
Un lent processus
Leur appel a été entendu puisqu'une commission de l'Assemblée générale des Nations unies se penche sur cette question actuellement. Elle étudie la possibilité d'inscrire l'apartheid de genre dans l'un des articles d'un projet de traité sur les crimes contre l'humanité. Jusqu'ici, une majorité des trente Etats impliqués dans le processus a déjà approuvé l'idée ou déclaré ne pas s'y opposer. Mais le processus pourrait prendre des années, constate Nargis Nehan.
Reste que pour la militante afghane, cette démarche a le mérite d'attirer l'attention et de faire pression sur la communauté internationale. "Il s'agit aussi de convaincre nos alliés, les pays avec des politiques étrangères féministes, d'être à nos côtés et de nous soutenir dans ce processus."
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Julie Rausis