"À un moment donné, [les gens] vont mourir de faim, donc ils vont forcément tout faire pour ne pas mourir. Par conséquent, je n’ai pas besoin d’intervenir pour résoudre le problème de consommation. Le problème va se résoudre tout seul." Le ton est donné par le président argentin Javier Milei, lors d'une conférence donnée à l'Université de Stanford, en mai dernier.
Pour Javier Milei, qui se revendique anarcho-capitaliste, tout doit être géré par le marché, et non par l'Etat. Depuis son entrée en fonction, en décembre dernier, il a massivement dérégulé l'économie du pays. A peine élu, il a dévalué de plus de 50% le peso argentin. Il a aussi taillé dans les dépenses publiques. Une thérapie de choc pour la troisième plus grande économie d'Amérique latine, qui s'est enfoncée depuis plusieurs années dans une grave crise économique. Le taux d'inflation atteignait plus de 200% sur l'ensemble de l'année 2023.
Le choc de l'austérité
Les coupes budgétaires du gouvernement de Javier Milei ont un impact direct sur la vie quotidienne d'un grand nombre d'Argentins. "On a vu des scènes assez rocambolesques dans les universités au cours des derniers mois (...), des universités qui ont été obligées de couper les lumières dans les couloirs, de condamner un certain nombre d'ascenseurs", rapporte dans Géopolitis David Copello, spécialiste de l'Argentine auprès de l'Institut catholique de Paris et du Centre de recherche et de documentation sur les Amériques. Il souligne que l'Etat argentin a réduit ses dépenses d'environ 30% depuis le début de l'année, une baisse "colossale".
Depuis décembre, 5 millions d’Argentins ont basculé dans la pauvreté. Plus de la moitié de la population vit désormais avec moins de 268'000 pesos par mois, soit l'équivalent de 250 euros. Lors de son investiture, Javier Milei avait prévenu ses compatriotes qu'il y aurait des sacrifices à faire: "Nous savons qu'à court terme, la situation va se dégrader. Mais nous verrons ensuite les fruits de nos efforts, une fois que nous aurons jeté les bases d'une croissance solide et durable dans le temps."
Opposition déboussolée
L'inflation a nettement ralenti depuis l'arrivée au pouvoir de Javier Milei, mais reste autour de 4% par mois depuis le mois de mai. Pour David Copello, "le pays n'a pas explosé pour le moment, notamment parce qu'une partie des gens était très attentive à cet indicateur qu'est l'inflation qui est en partie en train de se réduire. L'opposition est aussi très déboussolée. La défaite électorale de novembre dernier a été cinglante pour la principale force d'opposition qu'est le péronisme, mais aussi pour la droite qui vivait dans une logique de coalition assez structurée depuis une quinzaine d'années et qui aujourd'hui est très éclatée. Donc face à Milei, on a des mouvements relativement sporadiques – quoique massifs–, des grèves, des manifestations très importantes mais ponctuelles, et pas un mouvement qui peut s'établir sur la durée avec une force qui serait disciplinée et dotée d'un leader."
Pour autant, Javier Milei ne peut pas appliquer son programme entièrement comme il l'entend. Le président n'a pas de majorité au Parlement. "Il est obligé de négocier avec les forces politiques qui se situent dans une forme de centre mou du Congrès argentin", explique David Copello.
Politique étrangère pro-américaine
Javier Milei réoriente la politique étrangère de l'Argentine. Il refuse l’invitation des BRICS à les rejoindre, alors que son prédécesseur s’était investi pour obtenir l’adhésion à ce groupe, dont font partie le Brésil et la Chine, deux des principaux partenaires commerciaux de l’Argentine.
Le président argentin entend se rapprocher des Etats-Unis et souhaite obtenir le statut de "partenaire global" auprès de l’Otan. Lors de la campagne pour la présidentielle, Javier Milei avait clairement annoncé la direction qu'il souhaite donner à la politique étrangère du pays : "Notre alignement géopolitique est celui des Etats-Unis et d'Israël. Telle est notre politique internationale. Nous n'allons pas nous aligner sur les communistes."
"La logique multipolaire dans laquelle s'inscrivait l'Argentine jusque-là est effectivement passée sous le tapis. L'Argentine ne va pas participer aux BRICS, ne parle plus à l'Iran ou à la Russie, comme ça pouvait être le cas avec le gouvernement précédent", souligne David Copello. Javier Milei s’affiche avec Jair Bolsonaro ou Donald Trump et dénonce régulièrement le communisme et le socialisme, lors de ses prises de parole.
Il prône un réalignement avec ce qu'il appelle l'Occident. Un Occident en grande partie "fantasmé", selon David Copello: "Quand il dit: 'Je vais m'aligner avec les Etats-Unis', ce n'est pas exactement à Joe Biden qu'il est en train de penser et à sa politique qu'il pourrait qualifier de "wokiste" selon ses termes, mais plutôt à Donald Trump et à cet agenda de l'extrême droite globale. Le Sud, dans toute cette histoire, est complètement laissé de côté."
L’Argentine a signé en avril un contrat d’acquisition de 24 F-16, rachetés au Danemark. Des avions américains préférés à ceux proposés par la Chine.
Elsa Anghinolfi, Mélanie Ohayon