Modifié

L'Egypte est-elle proche d'être vendue en pièces détachées aux pays du Golfe?

L'île de Tiran, en Mer rouge, a été vendue à l'Arabie saoudite en 2016. [STRINGER / AFP]
Craintes en Egypte de voir le territoire national vendu aux riches voisins du Golfe / La Matinale / 1 min. / le 12 mars 2024
L'Egypte a signé en février d'énormes contrats d'investissements avec les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite - pour quelque 50 milliards de dollars - notamment pour la création de stations balnéaires de luxe. Certains craignent de voir le pays vendu à la découpe aux riches nations du golfe.

Le 23 février, le Caire signait avec les Émirats arabes unis un énorme contrat prévoyant la création d'une station balnéaire de luxe à Ras Al-Hikma, sur la côte méditerranéenne, pour quelque 35 milliards de dollars. Deux jours plus tard, la presse annonçait un investissement saoudien de 15 milliards de dollars dans une autre station à Ras Al-Gamila, près de Charm El-Cheikh, sur la mer Rouge.

Si ces milliards de dollars qui seront injectés en seulement deux mois constituent une véritable bouffée d'air pour l'économie égyptienne, fortement endettée et enlisée dans une dévaluation de sa monnaie (lire encadré), de nombreux observateurs s'inquiètent de voir ces pays étrangers racheter des villes entières du pays - et certains de ses hôtels historiques - pour en faire des complexes touristiques.

Pouvoir autoritaire

En 2016 et 2017, la cession à l'Arabie Saoudite des îlots de Tiran et Sanafir, en mer Rouge, avaient fait grand bruit. Mais aujourd'hui, seules quelques voix osent s'élever en Égypte pour mettre en garde contre le récent contrat signé avec les Émirats, dont celle du professeur en sciences politiques Ammar Ali Hassan.

"Le Premier ministre affirme qu'il n’a pas vendu la terre. Mais la confiance est presque inexistante et la crédibilité du gouvernement a considérablement diminué, car il trop menti par le passé", explique-t-il. Et dans une Egypte tenue d'une main de fer par le maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi, le peuple n'a pas son mot à dire.

"Le peuple est toujours le dernier informé, car l'Assemblée populaire n'est pas tenue d’approuver ces contrats conclus par le pouvoir", explique Ammar Ali Hassan. "Et quand ils lui sont présentés, elle agit comme une majorité mécanique qui approuve tout."

Des risques qui s'accumulent

Et comme les médias sont largement censurés, il n'est pas possible de présenter la vérité à l'opinion publique. Or, pour le chercheur comme pour beaucoup d'autres, ces méga projets d'infrastructure sont absurdes et à l'opposé de résoudre la grave crise économique dans laquelle s'enlise le pays depuis plus de deux ans.

L'Égypte est actuellement confrontée à un risque élevé de défaut de paiement sur ses dettes. La situation inquiète d'autant plus que les revenus du tourisme sont en baisse depuis des années et que les attaques des rebelles houthis en mer Rouge, provoqués par la guerre à Gaza, font encore chuter les recettes du canal de Suez.

Sujet radio: Martin Dumas Primbault

Texte web: Pierrik Jordan

Publié Modifié

L'économie égyptienne sombre toujours plus dans la crise

Si le gouvernement égyptien compte sur les investissements étrangers, c'est parce qu'il peine à rembourser sa dette extérieure qui a triplé sur une décennie, s'élevant actuellement à près de 165 milliards de dollars. Sa dette totale représente quant à elle environ 90% du PIB.

Prise à la gorge, sa banque centrale a relevé son taux directeur à un niveau record (27,25%, +6 pts) et dévalué sa monnaie d'un tiers de sa valeur face au dollar, afin de "juguler l'inflation". Elle avait déjà procédé à une dévaluation de 50% ces derniers mois. La monnaie s'échange désormais à 49 livres pour un dollar américain.

Pays pris à la gorge par le FMI

A l'approche du ramadan, mois traditionnel de grandes dépenses, les décisions de la banque centrale ont surpris les 106 millions d'Egyptiens dont deux tiers vivent sous le seuil de pauvreté.

Mais le Fonds monétaire international (FMI) a fait du flottement de la livre égyptienne une condition à son aide. Il avait ainsi accordé un prêt de trois milliards de dollars à l'Egypte fin 2022, dont certaines tranches ont été reportées jusqu'à ce que Le Caire avance sur les réformes économiques réclamées.

Mercredi dernier, le Premier ministre égyptien a annoncé une rallonge de ce prêt de cinq milliards. Selon la patronne de la délégation du FMI en Egypte, ces mesures devraient contribuer à "fournir des liquidités en devises" à un pays qui en manque cruellement.

Promesses difficiles à tenir

En arrivant au pouvoir en 2014, Abdel Fattah al-Sissi avait fait de l’économie sa priorité absolue et une promesse sur laquelle il a légitimé son autorité, après avoir provoqué la chute du président islamiste démocratiquement élu Mohamed Morsi.

Il avait alors lancé un gigantesque programme d'infrastructures, en particulier le projet de nouvelle capitale estimée à 45 milliards de dollars. Mais selon les économistes, ces projets n'ont fait que siphonner les caisses de l'Etat sans créer de nouveaux secteurs productifs. Or, l'Egypte est une économie essentiellement rentière, basée sur le tourisme, les hydrocarbures et les revenus du commerce international, via le canal de Suez.