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L'immense majorité des tanks russes en réserve nécessitent des réparations considérables

Le président russe Vladimir Poutine visite l'usine Uralvagonzavod à Nizhny Tagil, en Russie, le 15 février 2024 (image d'illustration). [KEYSTONE - RAMIL SITDIKOV]
Le président russe Vladimir Poutine visite l'usine Uralvagonzavod à Nizhny Tagil, en Russie, le 15 février 2024 (image d'illustration). - [KEYSTONE - RAMIL SITDIKOV]
Pour combler les très lourdes pertes de ses chars d'assaut en Ukraine, la Russie a pu compter dans les premiers temps sur des stocks de réserves conséquents. Mais près de deux ans et demi après le début du conflit, les tanks qui restent visibles sur les différentes bases sont presque tous en mauvais état.

En décembre 2023, Sergeï Choigou, alors encore ministre de la Défense, annonçait que la Russie avait livré à son armée en Ukraine 1530 nouveaux chars de combat au cours de l'année écoulée. Dans les faits, ce chiffre ne correspond toutefois pas du tout à la capacité de production de nouveaux tanks russes.

En effet, selon des estimations de l'International Institute for Strategic Studies (IISS), un institut de recherche britannique en relations internationales, sur ces 1530 chars, 1180 à 1280 ont été directement prélevés sur des chars déjà en stock.

En prenant la fourchette la plus basse, Moscou aurait donc théoriquement pu fournir 350 nouveaux tanks en l'espace d'une année. "Il est toutefois probable que le nombre de chars nouvellement construits soit bien inférieur à ce chiffre, s'il y a eu des rénovations supplémentaires basées sur des chars stockés dans des hangars (et donc invisibles pour les satellites, NDLR)", ajoute l'IISS dans sa note du 12 février 2024.

>> Revoir le reportage du 19h30 sur la frappe russe sur un hôpital pédiatrique de Kiev :

Attaques russes massives sur l'Ukraine: l'hôpital pour enfants de Kiev touché par un missile
Attaques russes massives sur l'Ukraine: l'hôpital pour enfants de Kiev touché par un missile / 19h30 / 1 min. / le 8 juillet 2024

Une production largement insuffisante

De février 2022 à juin 2024, 2701 pertes de tanks russes ont pu être confirmées visuellement par WarSpotting, un groupe spécialisé dans la recherche en sources ouvertes (OSINT). En moyenne, l'armée russe perd donc près de 90 chars d'assaut par mois depuis le début de la guerre. Pour combler ces pertes, Moscou tente donc d'augmenter les cadences de production de ses T-90M*, les tanks les plus récents et modernes utilisés sur le front ukrainien.

Selon une autre analyse plus récente de l'International Institute for Strategic Studies, l'industrie de défense russe a pu ainsi passer d'une livraison annuelle de 40 unités de T-90M avant le début de la guerre, à 60 à 70 en 2023, et sans doute encore davantage en 2024. L'IISW projette même à partir de 2025 une capacité de 90 unités par an.

Au premier plan, un char T-90M et à l'arrière-plan, un char T-90, photographiés sur un terrain de tir lors d'une démonstration, à Joukovski, près de Moscou, le 30 juin 2012 (image d'illustration). [REUTERS - Maxim Shemetov]
Au premier plan, un char T-90M et à l'arrière-plan, un char T-90, photographiés sur un terrain de tir lors d'une démonstration, à Joukovski, près de Moscou, le 30 juin 2012 (image d'illustration). [REUTERS - Maxim Shemetov]

En l'espace de trois ans, Moscou pourrait donc réussir à faire plus que doubler ses capacités de livraison de chars T-90M. On constate toutefois bien le problème d'échelle. Moscou pourrait fournir 90 nouveaux chars par an alors qu'il en perd 90 par mois.

L'IISS rappelle par ailleurs que ces chiffres se basent essentiellement sur des communications officielles du ministère de la Défense russe. Dans les faits, près de deux tiers des T-90M annoncés comme "livrés" pourraient être des T-90A déjà existants et modernisés en T-90M. La production de tanks T-90M flambants neufs pour 2024 ne serait alors que de 23 à 28 unités.

L'industrie de défense nationale se trouve donc encore très loin de pouvoir répondre aux besoins du champ de bataille. Pour les experts, la nomination d'Andreï Belousov à la tête du ministère de la Défense en mai 2024 démontre d'ailleurs les inquiétudes qu'il y a à Moscou sur cette question. Economiste de formation, Andreï Belousov, 65 ans, a en effet la lourde tâche d'augmenter et d'accélérer les capacités de production russe.

Le nouveau ministre russe de la Défense Andreï Belooussov. [Keystone/Sputnik, Pool Photo via AP - Ekaterina Shtukina]
Le nouveau ministre russe de la Défense Andreï Belousov. [Keystone/Sputnik, Pool Photo via AP - Ekaterina Shtukina]

Mais le défi s'annonce immense. Pour réussir à augmenter sensiblement la production de tanks, faire tourner les usines 24 heures sur 24 ne suffira pas.

Il faudra redémarrer des lignes de production d'usines et de fonderies autrefois arrêtées, voire en reconstruire de nouvelles de toutes pièces. Tout cela en réussissant à échapper aux sanctions occidentales pour accéder à divers composants essentiels.

Des réserves de tanks de plus en plus médiocres

La recréation d'une industrie de défense de masse s'annonce coûteuse en argent, mais aussi en temps. Un temps dont ne disposent pas les Russes alors que la guerre fait rage.

Pour palier les pertes de tanks et regarnir le front, Moscou a pu jusqu'à présent compter sur ses importantes réserves de divers modèles de chars entreposés aux quatre coins du pays. Mais peu à peu, ces stocks ont été entamés et, comme l'expliquait récemment la RTS, Moscou a dû puiser de plus en plus dans des anciens modèles de tanks, souvent obsolètes.

>> Relire à ce propos : Sur le champ de bataille ukrainien, l'équipement militaire russe est de plus en plus obsolète

Basée sur la comparaison d'images satellites des bases russes entreposant des tanks, une nouvelle analyse de Covert Cabal, chaîne Youtube spécialisée dans les questions de Défense, et du compte X "Highmarsed", expert dans le suivi des pertes de matériel militaire russe, montre la baisse drastique des réserves de chars visibles depuis le début de la guerre.

Au total, sur les 6236 chars de réserve visibles par satellite avant le début de la guerre, il n'en reste plus que 3657 en juin 2024, soit une baisse de 41,36%. Des chiffres qui ne peuvent évidemment pas prendre en compte des tanks qui sont entreposés dans des hangars ou qui ont pu être déplacés en usine pour réparation, entretien ou encore modernisation. La chute reste toutefois drastique.

Mais l'enquête de Covert Cabal et de Highmarsed va plus loin. Elle démontre en effet que parmi les plus de 3500 tanks visibles restants, presque chacun d'eux nécessite des réparations substantielles.

"Moins de 20% d'entre eux sont dans un état 'décent', ce qui nécessite déjà un travail de réparation sérieux. Environ 50% sont dans un mauvais état, comme ceux qui sont entassés et qui n'ont reçu aucune attention ou maintenance depuis des années. Et les 30% restants, soit 1111 tanks, sont dans la 'pire catégorie' et pourraient n'être utilisés uniquement que pour leurs pièces détachées", explique la chaîne Covert Cabal.

Une image satellite montre des tanks russes entreposés dans une si mauvaise conditions qu'ils ne pourront sans doute être utilisés que pour leurs pièces détachées. [Covert Cabal - Youtube]
Une image satellite montre des tanks russes entreposés dans une si mauvaise condition qu'ils ne pourront sans doute être utilisés que pour leurs pièces détachées. [Covert Cabal - Youtube]

Pour Covert Cabal et Highmarsed, 80% des tanks de réserves visibles restants sont donc dans un "si mauvais état" qu'en temps normal ils auraient dû être "mis à la ferraille". Mais dans le contexte de la guerre, la Russie se trouve dans l'obligation de "racler les fonds de tiroirs".

Après avoir réactivé les tanks de réserve les plus modernes et qui nécessitaient le moins de travaux d'entretien ou au contraire des modèles plus anciens, comme les T-55, plus faciles à réparer car moins sophistiqués en termes de moteur, de capteurs ou d'électronique, il ne reste donc presque plus à la Russie que des chars en mauvais ou très mauvais état.

>> Réécouter également le reportage du 12h30 sur le sommet de l'Otan à Washington :

Le 75e sommet de l'OTAN va se réunir au sujet de l'aide à l'Ukraine (image d'illustration). [Keystone/EPA - NATO]Keystone/EPA - NATO
L’Otan se réunit pour un sommet à Washington et devrait confirmer son soutien militaire à l’Ukraine / Le 12h30 / 1 min. / le 9 juillet 2024

En comparant le nombre de tanks de réserve restant à la vitesse de leurs pertes en Ukraine, Covert Cabal estime que six ans pourraient s'écouler avant que la Russie "n'ait plus de tanks". En supprimant tous les tanks de "la pire catégorie", il pourrait rester quatre ans. Enfin, en ne prenant pas en compte la moitié des tanks "en mauvais état", il resterait seulement un an et demi.

Dans les faits pourtant, la Russie ne devrait jamais se retrouver totalement à court de tanks. En effet, certains d'entre eux se trouvant dans "la pire catégorie" pourraient finalement être révisés, même si cela s'avérera coûteux et long. La production de tanks neufs, bien que faible, empêchera également une pénurie complète. Mais l'armée russe disposera de moins en moins de chars sur le front.

*Le chiffre qui suit le "T" correspond en général approximativement à la première année de mise en service du modèle de tank. Celui-ci peut ensuite changer de nom au fil des travaux de modernisation.

Tristan Hertig

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