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L'Iran engage des criminels de droit commun pour ses opérations extérieures en Europe

Des criminels au service de l’Iran. [Illustration Justine Vernier / Mediapart - Illustration Justine Vernier / Mediapart]
Des criminels au service de l’Iran avaient pour mission d’assassiner des personnes israéliennes en Europe / Tout un monde / 4 min. / le 6 septembre 2024
La dernière affaire en date concerne un projet d’assassinats de personnes israéliennes et juives en France et en Allemagne, selon le réseau de journalistes European Investigative Collaborations (EIC) dont fait partie la RTS. L’Iran nie toute implication dans de tels projets.

Cette affaire commence très probablement suite à une alerte du Mossad, le service de renseignement extérieur d’Israël. Ce dernier aurait averti ses homologues européens d’une menace iranienne contre des intérêts israéliens sur leur territoire, notamment en France et en Allemagne. Les services de plusieurs Etats se mettent alors sur le coup. Ils ne tardent pas à découvrir un projet macabre.

Comme le montrent plusieurs documents confidentiels obtenus et partagés par Mediapart au sein de l’EIC, des cibles d’assassinats ont été désignées: quatre personnes en France, trois en Allemagne. Des hommes et des femmes d’origine israélienne ou de confession juive. Des repérages ont été effectués. Il est aussi prévu de mettre le feu à des entreprises établies dans le sud de la France et dont les propriétaires sont israéliens.

Des malfrats français aux commandes

Aux commandes de ce plan, il y aurait un trafiquant de drogue originaire de Lyon, qui vivrait actuellement en Iran. Selon un service de renseignement européen, il serait proche de la force Al-Quds, une unité d'élite du Corps des gardiens de la Révolution islamique, en charge des opérations extérieures du régime iranien.

Son homme de main est un autre malfrat, originaire de Marseille, surnommé "Krimo". Il est défavorablement connu des services de police. Sa filature et son interpellation en avril dernier permettront de déjouer les projets d'assassinat. En revanche, pour les incendies, "Krimo" est déjà passé à l'action fin 2023 en mandatant des tierces personnes.

Un troisième malfrat – déjà derrière les barreaux – est lui aussi identifié comme étant l'intermédiaire entre le voyou lyonnais et son homologue marseillais. Les autorités ne parviendront pas à mettre la main sur ceux qui devaient effectivement commettre les assassinats. L'affaire est maintenant instruite par le Parquet national antiterroriste en France (PNAT). Ce dernier l'a confirmé à Mediapart.

Dénégations iraniennes et des avocats du délinquant marseillais

Contactées dans le cadre de cette enquête collective, les ambassades d'Iran de plusieurs pays européens contestent vigoureusement les faits révélés par l'EIC, et parlent "d'allégations infondées et absurdes". 

Quant aux avocats de "Krimo" interrogés par Mediapart, ils soulignent que leur client se retrouve "dans un dossier dont il découvre la gravité à mesure que les éléments d'enquête lui sont soumis. L'absence d'identification et/ou d'interpellation des commanditaires ou des assassins de la cellule terroriste décrite par le PNAT, contraint notre client à endosser un costume bien trop grand eu égard au rôle qui est le sien et aux objectifs criminels qui auraient été fixés", ajoutent encore les avocats.

Modus operandi du régime iranien

Au sein de la communauté du renseignement, ces liens entre le grand banditisme et les services secrets iraniens n'ont rien de surprenant ou de fantaisiste. Au contraire. Depuis quelques années, les cas se multiplient, aux Etats-Unis, mais surtout en Europe. Allemagne, Grèce, Espagne, Suède aussi où le chef du renseignement suédois l'a même confirmé en conférence de presse en mai dernier: "le régime iranien utilise des réseaux criminels en Suède pour commettre des actes de violence contre d'autres États", a relevé Daniel Stenling. Ils visent en particulier "des intérêts, cibles et activités israéliens et juifs sur le territoire suédois".

C'est aussi ce qu'écrit le renseignement intérieur français (DGSI) dans un rapport de synthèse sur l'affaire révélée par l'EIC, un rapport adressé au PNAT. Le contre-espionnage français rappelle qu'en 2019, l'Union européenne a inscrit sur sa liste des organisations terroristes la direction de la sécurité intérieure du ministère iranien du Renseignement, de quoi peut-être contrarier le travail des agents de Téhéran.

Mais "en réaction, les services iraniens ont adapté leur modus operandi, privilégiant de façon plus systématique le recours à des individus issus de milieux criminels." écrit la DGSI dans ce rapport.

Marc Menichini avec l'EIC

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"Nier les faits de manière plausible"

Matthew Levitt dirige actuellement le programme sur la lutte contre le terrorisme et le renseignement du Washington Institute for Near East Policy. Avec son équipe, il vient de publier une carte interactive des opérations extérieures menées depuis 1979 par le régime des mollahs.

L'engagement de criminels ne le surprend pas. "Tout d'abord cela permet au régime d'opérer dans l'ombre, loin du projet en tant que tel. Il peut nier les faits de manière plausible, a expliqué l'expert vendredi dans l'émission Tout un Monde. "Et même si une autorité conclut qu'un criminel a été recruté par l'Iran, il y a pour ainsi dire une distance, et le risque que l'on tienne l'Iran pour responsable est ainsi minimisé".

Et puis en engageant des délinquants de droit commun, "l'Iran peut ainsi avoir accès à des individus qui ont les compétences requises dans le meurtre de personnes, pour se procurer des armes illégalement, faire de la surveillance ou du cyberharcèlement, et toutes autres activités utiles au niveau logistique et opérationnel", poursuit encore cet ancien analyste en contre-terrorisme au FBI. 

Mais si l'Iran a recours au grand banditisme pour exécuter ses basses besognes, Matthew Levitt rappelle aussi que ces propres agents sous couverture restent malgré tout très actifs, y compris en Europe. Ce sont eux qui pilotent les actions des malfrats. Ces espions réalisent eux aussi différentes missions: surveillance, enlèvement, tentatives d'assassinats et cyberattaques. Autant d'actions qui visent les intérêts israéliens, mais aussi américains, tout comme les opposants du régime.

Les personnes ciblées ne veulent pas s'exprimer

L’enquête coordonnée par le réseau European Investigative Collaborations (EIC) est basée sur des centaines de documents confidentiels obtenus par Mediapart. Outre Mediapart, les médias participant au projet sont Der Spiegel (Allemagne), De Standaard et Le Soir (Belgique), NRC Handelsblad (Pays-Bas), Shomrim (Israël), tous membres de l’EIC.

Les identités des personnes cibles de ces projets d’assassinats sont volontairement cachées afin de ne pas les exposer. Mediapart et ses partenaires de l’EIC ont essayé par plusieurs canaux de contacter toutes celles et ceux qui étaient ciblés. Ils ont tous refusé de s’exprimer.