Créée en 1949 comme un pacte d'assistance mutuelle de pays occidentaux contre l'Union soviétique jugée comme une menace grandissante, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) célèbre son 75e anniversaire cette semaine à Washington.
L'Otan est confrontée à beaucoup de préoccupations, à quatre mois de l'élection présidentielle américaine. Un possible retour de Donald Trump au pouvoir aurait certainement une incidence sur l'Alliance transatlantique, que l'ex-président a souvent critiquée sur ses fondements.
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Désaccord sur une possible adhésion de l'Ukraine
Alors que les Etats-Unis souhaitent accorder plus d'importance à la sécurité dans la région indopacifique, pour l'Europe, la menace russe et la guerre en Ukraine restent la priorité. L'aide militaire des pays de l'Otan à Kiev, et notamment l'envoi de systèmes de défense anti-aérienne, ainsi que l'adhésion de l'Ukraine à l'Alliance transatlantique sont au coeur des discussions du sommet à Washington.
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Les alliés sont aujourd'hui toujours divisés sur cette dernière question. "Certains pays, d'Europe de l'Est notamment, mais aussi la France et le Royaume-Uni, souhaitent qu'une décision claire soit prise", commente Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Suisse et conseiller spécial à l'Institut Montaigne, dans l'émission Tout un monde.
Le désaccord au sein de l'Alliance se cristallise sur le caractère irréversible de l'adhésion. "Il y a une tendance, suivie par les Etats-Unis et l'Allemagne, qui rejette cette approche et considère qu'il est trop tôt pour parler de l'Ukraine dans l'Otan, tant que la guerre n'est pas terminée."
Une population ukrainienne frustrée
Sur le terrain en Ukraine, "cet attentisme n'est pas sans conséquences", relève Michel Duclos. "On assiste à une frustration de beaucoup d'Ukrainiens, principalement à l'égard des Etats-Unis. Ils considèrent que, même si les Européens pourraient et devraient en faire davantage à leurs yeux, ces derniers sont tout de même là, tandis qu'ils en veulent aux États-Unis de ne pas en faire plus", rapporte-t-il.
"Cela se traduit aussi par des limitations qualitatives: les Etats-Unis sont par exemple extrêmement réticents à ce que leurs armes soient utilisées sur le territoire russe, alors que la France et le Royaume-Uni ont donné leur accord."
Le ressentiment sera d'autant plus grand dans le cas où la guerre se terminerait par un scénario très défavorable pour les Ukrainiens. "On risque d'avoir à gérer une Ukraine terriblement frustrée et vindicative, avec une partie de la population qui fuira le pays, notamment tous ces jeunes hommes dont les femmes sont en Europe. Cette perspective n'est pas suffisamment prise en compte par nos responsables", estime l'ancien ambassadeur.
Un mécanisme d'aide plus stable
Lors de son sommet à Washington, l'Otan doit notamment discuter des sommes qui seront allouées à l'assistance militaire destinée à Kiev ainsi que des modalités de cette aide. "Il y a actuellement un mécanisme informel, appelé le mécanisme de Ramstein, qui procède à l'acheminement des soutiens occidentaux. Mais lors du sommet, il va être décidé que l'aide soit prise en main par les structures de l'Otan. Cela engage davantage les membres, car lorsque vous êtes dans un mécanisme formalisé et rigoureux comme celui de l'Alliance, il est plus difficile de se cacher ou de faire moins que ce que l'on a annoncé", souligne Michel Duclos.
Il s'agit également de rendre le mécanisme plus stable et moins vulnérable aux volte-face d'un seul président. "Le faire passer dans le giron de l'Otan sert aussi à rendre son action moins imprévisible vis-à-vis de l'Ukraine si Donald Trump venait à gagner les élections présidentielles", analyse Amélie Zima, responsable du programme Sécurité européenne et transatlantique à l'Institut français des relations internationales (IFRI).
Selon elle, les pays de l'Alliance se préparent à un possible retour de l'ex-président américain au pouvoir et cherchent à en minimiser l'impact, notamment "en diversifiant leur politique d'achats d'armements et en n'achetant pas uniquement américain, ou alors en obtenant que des usines américaines soient construites sur leur sol". "Les Américains auront ainsi des intérêts matériels très concrets, puisqu'ils devront défendre des industries qui leur appartiennent."
Les Etats-Unis ont par ailleurs un réseau d'alliances en Europe qui ne dépend pas uniquement de l'Otan, des accords bilatéraux de défense avec différents pays. Si Donald Trump est à nouveau président et décide de se désinvestir de l'Otan, cela ne signifierait donc pas nécessairement une sortie totale du continent européen, note Amélie Zima.
Des inquiétudes en Europe de l'Est
Depuis 2022, l'Otan a sensiblement renforcé la présence de ses troupes dans les pays membres à proximité directe de la Russie. Avec la crainte que la Russie gagne la guerre en Ukraine, ce phénomène risque de s'intensifier encore davantage.
"L'Estonie prévoit la militarisation de ses [près de 300] kilomètres de frontière commune avec la Russie. La Pologne fait exactement la même chose pour se prémunir d'une attaque et militarise sa frontière avec l'oblast de Kaliningrad et la Biélorussie", souligne Amélie Zima.
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La force de réaction rapide de l'Otan, qui était de 40'000 hommes, devrait par ailleurs passer à 300'000 soldats prêts à intervenir en cas d'attaque, la mise en place de cette décision devrait être discutée lors de ce sommet.
De leur côté, les pays membres en Europe de l'Est s'inquiètent de l'attitude de la Hongrie, dont le président Viktor Orban s'est rendu ces derniers jours à Moscou et à Pékin sans concertation avec ses homologues européens. Certains se montrent réticents à partager des informations confidentielles avec un Etat membre comme la Hongrie qui se montre de plus en plus proche de la Russie.
Isabelle Cornaz/iar