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L'UEFA est sanctionnée pour avoir ménagé un directeur épinglé pour sexisme

La Fondation Equal-Salary retire une certification à l'UEFA qui a ménagé un directeur épinglé pour sexisme
La Fondation Equal-Salary retire une certification à l'UEFA qui a ménagé un directeur épinglé pour sexisme / 19h30 / 2 min. / le 23 septembre 2024
La Fondation Equal-Salary, qui lutte pour l’égalité des chances au travail, a retiré une certification accordée à l’UEFA, révèle la RTS. Mais pour l’instance dirigeante du football européen, il n’y a pas de problème.

C’était il y a environ trois ans, en décembre 2021. L’UEFA avait "l'honneur d’annoncer" dans un communiqué de presse qu’elle était "la première organisation sportive" à obtenir la certification Equal-Salary.

"Nous sommes fiers de notre certification en matière d’égalité salariale et la considérons comme une grande réussite dans le cadre de nos efforts constants pour assurer un lieu de travail inclusif offrant l’égalité des chances pour tous", déclarait alors le secrétaire général de l’association, Theodore Theodoridis.

Mais selon les informations du Pôle Enquête de la RTS, la Fondation Equal-Salary, présidée par l’ancienne conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, a pris une décision aussi rare que radicale ces derniers jours en retirant le sésame accordé à l’instance dirigeante du football européen.

Discrétion invoquée

Comment expliquer ce divorce? Contactée, la Fondation n’a pas souhaité répondre aux questions de la RTS, mais a transmis une prise de position. "Les règles de discrétion qui gouvernent tout travail d’audit impliquent que nous ne pouvons, ni ne souhaitons commenter le contenu de notre travail", écrit la codirectrice Noémie Storbeck.

Cette discrétion s’explique aussi par le côté explosif du dossier. De sources recoupées, tout remonte à l’enquête de la RTS de février 2024 révélant que les deux plus hauts responsables de l’UEFA ont ménagé un directeur épinglé pour sexisme.

>> Lire : Les dirigeants de l’UEFA ménagent un directeur épinglé pour sexisme

L’histoire peut se résumer ainsi: à la suite d’une plainte d’une assistante dénonçant l’attitude de son chef, l’UEFA ordonne une enquête externe. Les experts mandatés concluent que le comportement du directeur constitue une violation des droits de la personnalité et peut être perçu comme discriminatoire à l’encontre des femmes.

Ils recommandent de le licencier ou de le priver d’attributions managériales. Les recommandations sont limpides, mais l’UEFA n’en tient pas compte. Le cadre garde sa place et ses prérogatives.

Manque de transparence

Les révélations de la RTS attirent toutefois l’attention de la Fondation Equal-Salary. Après avoir certifié l’UEFA en 2021, elle veut s’assurer que l’instance respecte toujours l’égalité des chances au travail.

Selon nos informations, Lisa Rubli, codirectrice de la Fondation, contacte alors l’UEFA. Elle souhaite prendre connaissance du rapport externe pour se faire sa propre opinion, mais elle n’obtient pas satisfaction. L’UEFA refuse de jouer la transparence.

Contactée par la RTS, l’association sportive ne souhaite pas commenter ce refus. "Nos obligations contractuelles de confidentialité ne nous autorisent pas à donner des détails sur les échanges entre l’UEFA et la Fondation", indique par courriel son service de presse.

Un autre élément a pesé dans le retrait de la certification. Selon différentes sources, plusieurs employés et ex-employés de l’UEFA ont contacté la Fondation Equal-Salary et assuré que l’égalité salariale et des chances n’était pas respectée dans la maison. Une rencontre a même eu lieu fin juin dans les locaux du cabinet d’audit PwC qui travaille main dans la main avec la Fondation.

"Aucun problème"

Fin août, quelques semaines après cette rencontre, la Fondation décide de retirer la certification à l’UEFA et de le signaler temporairement sur son site internet avec la mention "certification withdrawn", "certification retirée" en français.

Interpellée par la RTS sur ce retrait de certification, l’UEFA assure que c’est elle, et non la Fondation, qui a décidé de mettre un terme à la collaboration. "Il n’y a dès lors aucun problème", estime l’UEFA.

Une chose est pourtant sûre: sept mois après les révélations de la RTS sur la décision de l’UEFA d’épargner un directeur épinglé pour sexisme, l’affaire provoque toujours des remous.

Fabiano Citroni, Pôle Enquête RTS

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La Fondation Equal-Salary a déjà procédé à plus de 150 certifications

Fondation à but non lucratif fondée en 2010, Equal-Salary a son siège à Vevey (VD). Elle assure avoir réalisé plus de 150 procédures de certification dans plus de 90 pays depuis sa création. Des certifications à durée déterminée mais renouvelables.

Selon les informations figurant sur le site internet de la Fondation, le processus de certification comprend deux phases. Dans un premier temps, des experts effectuent une analyse statistique des données salariales. Si l’écart salarial global est égal ou inférieur à 5%, la deuxième phase commence.

Un cabinet d’audit mène alors une enquête plus approfondie notamment à travers des entretiens avec des employés.

Ces dernières années, la Fondation a entre autres certifié la Loterie Romande, le groupe Richemont, Vacheron Constantin, Ferrari, les Services industriels de Genève, Lidl, DHL ou les Hôpitaux universitaires de Genève.

En mars 2024, elle a réussi à attirer à sa présidence l’ancienne conseillère fédérale Simonetta Sommaruga.

Une employée de l’UEFA: "C'est une claque dans le visage des femmes"

Au cours de notre enquête, nous avons discuté avec plusieurs personnes travaillant pour l’instance dirigeante du football européen. A leurs yeux, pour avoir ménagé un directeur épinglé pour sexisme, leur employeur ne mérite plus sa certification.

Une employée a accepté de témoigner pour le 19h30, sous le sceau de la confidentialité. "L’UEFA répète souvent que les droits de femmes sont importants. Mais en protégeant un directeur qui a eu un comportement discriminatoire à l’égard des femmes, elle montre qu’il y a deux poids, deux mesures. Les puissants sont au-dessus des lois", déplore notre interlocutrice.

"C’est triste et décevant. Dans le cadre de l’audit externe, plusieurs personnes ont osé témoigner, mais leurs témoignages n’ont servi à rien. Si je suis victime de harcèlement un jour, je ne ferai rien parce que je sais que ça ne servira à rien. Protéger un directeur qui dysfonctionne, c’est une claque pour les femmes, c’est une claque dans le visage des femmes", confie l’employée.

Pour elle, "le monde du sport, le monde du foot, c’est un monde très masculin, plein de testostérone. Il n’y a pas d’égalité. Cette histoire le démontre."

L’avocate: "Des indices peuvent justifier un retrait de certification"

Céline Moreau est avocate à Genève et consultante pour le Bureau international du travail pour les questions d’égalité au travail. Elle n’a pas de lien avec la Fondation Equal-Salary ni avec l’UEFA.

De manière générale, elle estime que "si une fondation a vocation à certifier l’égalité des chances et l’égalité salariale, elle peut de manière assez logique tenir compte du système de lutte contre des comportements qui seraient discriminatoires à l’encontre des femmes. Si un environnement de travail ne lutte pas efficacement contre ces comportements, les femmes vont être en difficulté pour faire reconnaître la valeur de leur travail et aspirer à une égalité salariale qui leur est due."

A ses yeux, et sans se prononcer sur le cas précis, "si une entité de certification a des indices selon lesquels les comportements discriminatoires ne sont pas pris en compte et ne sont pas sanctionnés, cela peut être un élément déterminant pour retirer une certification".

L’avocate ajoute que "si une entreprise ne fournit pas les informations demandées par l’entité de certification, cette entité se doit aussi, par précaution, de retirer la certification".

L’UEFA: "L’égalité salariale et des chances reste un objectif prioritaire"

Après la fin de son partenariat avec Equal-Salary, l’UEFA annonce collaborer désormais avec l’Association Fair-ON-Pay, "qui promeut activement l’égalité salariale dans les entreprises et leur permet de prouver de manière durable leur engagement dans ce domaine".

Pour l’instance dirigeante du football européen, "la décision de poursuivre la collaboration avec un nouveau partenaire ne remet aucunement en question les engagements de l’UEFA en matière de diversité et d’inclusion".

En réponse à l’une de nos questions, l’association sportive assure que "l’égalité salariale et des chances reste un objectif prioritaire. Les résultats des audits réalisés par PwC (n.d.l.r. : en 2021) pour le compte de la Fondation Equal-Salary sont venus confirmer la crédibilité des démarches entreprises par l’UEFA à cet égard."