"L'une des formes du populisme en Afrique, c'est voir une manipulation de l'Occident partout"
Depuis son indépendance en 1960, le Sénégal fait figure de modèle démocratique en Afrique, avec des transitions pacifiques du pouvoir et un respect des calendriers électoraux. La décision du président Macky Sall, début février, de reporter les élections a donc constitué un choc et soulevé de fortes inquiétudes.
"Ce qui s'est passé est relativement inexplicable pour le moment", souligne Souleymane Bachir Diagne, invité lundi dans l'émission Tout un monde. "Il fallait un motif très grave pour prendre une telle décision. Et jusqu'ici, on a du mal à le voir."
La réaction de la société civile sénégalaise est encourageante, c'est le signe d'une culture démocratique qui s'est visiblement bien transmise
D'après le philosophe sénégalais, Macky Sall voulait peut-être peser davantage sur le processus de succession. Toujours est-il que la situation s'est depuis normalisée: le Conseil constitutionnel a fixé une nouvelle date pour le scrutin et la campagne électorale a pu commencer.
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"Heureusement, l'épreuve a montré que les institutions sénégalaises sont solides", commente Souleymane Bachir Diagne. Et même si le dégât d'image est réel pour le pays, cette "sortie ratée" de Macky Sall a permis de faire le constat d'une société civile attachée à la démocratie. Or, ce n'est pas le cas partout sur le continent.
"La réaction de la société civile sénégalaise est encourageante, c'est le signe du véritable ancrage d'une culture démocratique qui s'est visiblement bien transmise", observe-t-il. "Ailleurs, on a vu des jeunesses africaines qui étaient plutôt sceptiques envers la démocratie."
"Trop d'importance" accordée à l'Occident
D'après le professeur de l'Université de Columbia (New York), les différents coups d'Etat en Afrique de l'Ouest ont mis un "coup d'arrêt" à l'adhésion populaire pour les transitions démocratiques des années 1990. Des transitions qui ont pourtant apporté, selon lui, des changements réels. "Désormais, les populations plus jeunes semblent considérer que la démocratie en soi n'a pas une grande valeur", estime-t-il.
Ce scepticisme démocratique est entretenu par des jeux d'influence et une guerre de l'information entre les différentes puissances présentes sur le continent africain. Et Souleymane Bachir Diagne relève un autre facteur préoccupant: le sentiment du "tous pourris" vis-à-vis de la classe politique, et l'impression que l'Occident tire toutes les ficelles. Une vision que le philosophe qualifie de "complotiste".
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"Une des formes prises par le populisme en Afrique, c'est de voir une manipulation de l'Occident partout. Je peux parfaitement comprendre un discours de l'affirmation d'une souveraineté, d'un nationalisme, de panafricanisme. Mais avoir l'impression que l'Occident est tout-puissant et qu'au fond il décide de tout, c'est une manière de nier sa propre capacité de décision, à diriger son pays. Ce discours-là, paradoxalement, accorde beaucoup trop d'importance à l'Occident", estime-t-il.
L'universel au défi du tribalisme
Et selon lui, s'il faut aujourd'hui sortir de la vision purement occidentale de l'universalisme telle qu'elle a été imposée au reste du monde, l'affirmation d'une identité africaine n'est de loin pas incompatible avec une nouvelle forme d'universel commun, dont le monde a un urgent besoin. "Nous avons besoin de sortir d'un tribalisme généralisé, mondial", juge-t-il.
"On l'a vu avec la pandémie: nous sommes une même humanité. Et le grand défi, c'est celui de la planète. Nous n'avons jamais eu autant besoin d'universel. Je veux bien que dans un climat décolonial, avec une sorte d'exaltation des identités et des particularités, on semble se méfier de tout ce qui ressemble à de l'universel ou de l'humanisme. Mais pourquoi l'Afrique n'aurait-elle pas un message universel à apporter au monde?"
Sujet radio: Patrick Chaboudez
Texte web: Pierrik Jordan