Jack Sullivan, proche conseiller du président américain Joe Biden, était en visite mardi à Pékin. Cette entrevue s'est inscrit dans une série de rencontres discrètes avec Wang Yi, le responsable chinois des affaires étrangères. Les deux hommes entretiennent un canal diplomatique en coulisses visant à stabiliser les relations tumultueuses entre les deux premières puissances mondiales. Rien n'a filtré sur la nature exacte des discussions. Côté chinois, l'entrevue devrait être l'occasion de s'enquérir de la grande inconnue du moment: Kamala Harris.
Car cette visite est intervenue à l'heure où les relations entre Pékin et Washington sont suspendues à la campagne présidentielle américaine. Face à l'incertitude du scrutin qui oppose désormais Donald Trump à Kamala Harris, les deux premières puissances mondiales temporisent.
Les Etats-Unis veulent pour l'heure éviter l'escalade avec le principal adversaire à quelques mois d'une passation de pouvoir. Embourbée dans les difficultés économiques, la Chine préfère quant à elle attendre le résultat de l'élection américaine pour affiner son approche face à Washington.
Initialement préparée à un nouveau duel entre Donald Trump et Joe Biden, la Chine anticipait l'arrivée au pouvoir d'un dirigeant au profil et au style connus. Les deux derniers présidents américains ont chacun mis en œuvre une politique dure, voire offensive à l'égard de Pékin.
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Nouvelle donne pour la Chine?
Le retrait du 46e président des Etats-Unis a cependant rebattu les cartes, ne serait-ce qu'en matière de propagande. Si les autorités évitent soigneusement de commenter le processus électoral, soucieux de ne pas s'immiscer dans la politique intérieure d'un Etat tiers, les médias d'Etat ne s'étaient pas privés de dépeindre la campagne américaine comme un symbole de l'état des démocraties occidentales: vieilles, dysfonctionnelles, incapables de se renouveler et de répondre aux défis de l'avenir.
Le chamboulement des dernières semaines dans le camp démocrate a largement contrarié cette rhétorique. Lorsque Joe Biden, dirigeant de la première puissance mondiale, a annoncé abandonner le pouvoir pour le bien de son parti et l'avenir de son pays, certains internautes chinois ne se sont pas privés de faire le lien avec un certain Xi Jinping, âgé de 71 ans. De quoi accroître la vigilance des censeurs et des médias. L'annonce a d'ailleurs été couverte plutôt discrètement.
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Le Parti communiste chinois n'a pas réagi. "Il s'agit d'une affaire domestique. Nous ne commentons pas", a déclaré récemment un représentant du ministère chinois des Affaires étrangères. Kamala Harris n'en reste pas moins une énigme pour Pékin. La candidate n'a jamais mis les pieds en Chine. Elle n'a rencontré Xi Jinping qu'une seule fois, en marge d'un sommet. En comparaison, Joe Biden avait déjà passé près de 90 heures avec le président chinois avant d'être élu à la Maison Blanche.
L'actuelle vice-présidente américaine a en outre été peu exposée à la politique internationale, contrastant là encore avec Joe Biden, chevronné de longue date en la matière. A quoi faut-il donc s'attendre en cas d'élection de Kamala Harris? Faut-il prévoir un changement de ton, voire de politique?
Vers une continuité
Sans adresser directement le dossier chinois, Kamala Harris a déjà esquissé un semblant de réponse à ces questions. Elle déclare en effet vouloir assurer la continuité de Joe Biden sur les dossiers sociaux, économiques et internationaux. Par conséquent, rien n'indique que la Californienne soit par exemple prête à abolir les taxes commerciales, héritage de la présidence de Donald Trump et qui ont été renforcées par son successeur.
A propos de Taïwan, la candidate démocrate a déjà exprimé un soutien clair avec l'Etat insulaire et condamné l'attitude chinoise en mer de Chine du Sud.
Au final, que ce soit Donald Trump ou Kamala Harris le 5 novembre prochain, la politique américaine à l'égard de la Chine ne devrait pas connaître de bouleversement tant le dossier fait consensus entre démocrates et républicains.
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Contrairement au candidat républicain, la démocrate éviterait probablement les coups d'éclat et favoriserait la continuité du dialogue en coulisse, tout en poursuivant une politique ferme et coûteuse pour la Chine.
Donald Trump reste, lui, imprévisible. Son approche "mercantile", basée sur le marchandage, pourrait peut-être offrir certaines opportunités à la Chine. Isolationniste, le milliardaire torpillerait certainement le système d'alliances internationales reconstruit et renforcé par Joe Biden.
L'affaiblissement des partenariats américains serait une aubaine pour la Chine. Cette dernière devrait toutefois composer avec le style fougueux et imprévisible de Donald Trump. A l'heure où le Parti communiste se débat avec une crise économique à domicile, le chaos engendré par une nouvelle présidence Trump est surtout source de préoccupation pour le pouvoir chinois.
Michael Peuker/jfe