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La Cour suprême des Etats-Unis épinglée pour son manque d'impartialité et son impunité

La Cour suprême des Etats-Unis. [AFP - Mandel NGAN]
Quand la Cour suprême des Etats-Unis s'écarte de la norme / Tout un monde / 7 min. / le 27 mai 2024
Aux Etats-Unis, l'affaire d'un juge de la Cour suprême qui a arboré chez lui un symbole des assaillants du Capitole pro-Trump ravive la controverse sur le manque d'impartialité de certains membres de l'instance juridique. L'impunité des juges est également critiquée.

Le drapeau américain à l'envers est devenu un signe de ralliement des partisans de l'ancien président Donald Trump qui ont attaqué le Capitole le 6 janvier 2021 et qui affirment, malgré les preuves, que l'élection présidentielle a été truquée.

Une personne porte un drapeau américain à l'envers lors d'une manifestation au Capitole de l'État de Californie, à Sacramento. [REUTERS - Kevin Bartram]
Une personne porte un drapeau américain à l'envers lors d'une manifestation au Capitole de l'État de Californie, à Sacramento. [REUTERS - Kevin Bartram]

Le quotidien New York Times a récemment révélé, photo à l'appui, que cette bannière flottait le 17 janvier 2021 devant la maison de Samuel Alito, l'un des neuf juges de la Cour suprême des Etats-Unis, l'instance garante de l'ordre constitutionnel du pays. Cette date n'est pas anodine, souligne la journaliste du New York Times, puisqu'elle s'inscrit dans une "période très chargée" entre la tentative de prise d'assaut du Capitole et l'investiture du président Joe Biden.

Nommé en 2006 par l'ancien président George W. Bush, le juge conservateur a renvoyé la responsabilité à sa femme, qui aurait déployé ce drapeau en réaction à "un affichage insultant dans le jardin d'un voisin". Ces tentatives d'explications peinent à convaincre, un autre drapeau controversé, connoté pro-Trump, ayant flotté pendant trois mois l'été dernier dans la résidence d'été de Samuel Alito.

Un devoir d'impartialité

Selon Idris Fassassi, professeur en droit public à l'Université Paris-Panthéon-Assas, la présence de telles bannières est "très grave". "Le fait d'avoir ce drapeau [inversé], alors même que la Cour suprême va trancher deux affaires impliquant ce qui s'est passé le 6 janvier, traduit un manque au devoir qui incombe à un juge et une rupture de l'obligation d'impartialité", note-t-il dans l'émission Tout un monde de la RTS.

"Les juges, et particulièrement les juges de la Cour suprême, qui doivent trancher des questions politiques et sociétales très importantes, ont une obligation de neutralité", abonde Nicole Bacharan, politologue spécialiste des Etats-Unis. "Nous décelons en général quelles sont leur origine politique et leurs sensibilités dans la manière dont ils interprètent le droit, mais ils ne doivent pas les afficher de manière aussi claire et crue sur une question aussi controversée."

La Cour suprême américaine doit notamment se prononcer d'ici fin juin sur la demande d'immunité présidentielle totale dont se prévaut Donald Trump dans l'assaut du Capitole.

Un autre juge de l'instance judiciaire est également sur la sellette. Selon la presse américaine, Clarence Thomas a reçu, sans les déclarer, des cadeaux de la part d'un milliardaire soutenant le Parti républicain. Son épouse est aussi très active dans le mouvement qui estime que l'élection présidentielle de 2020 a été volée à Donald Trump.

Les neuf juges de la Cour Suprême sont les seuls juges fédéraux à échapper à un code de conduite explicite [Keystone - J. Scott Applewhite - AP Photo]
Les neuf juges de la Cour Suprême américaine. En bas, de gauche à droite, Sonia Sotomayor, Clarence Thomas, le président de la Cour John Roberts, Samuel Alito et Elena Kagan. En haut, de gauche à droite, Amy Coney Barrett, Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Ketanji Brown Jackson. [Keystone - J. Scott Applewhite - AP Photo]

Une "érosion des normes"

Pour Idris Fassassi, ces scandales "traduisent une véritable crise de la Cour suprême". Les récentes révélations sur le juge Samuel Alito démontrent qu'"il y a une normalisation de l'exceptionnel et de ce qui ne devrait pas se produire". Elles reflètent un changement d'époque et de ligne éthique, poursuit le professeur.

"En 1969, un juge de la Cour suprême avait démissionné parce qu'il avait été révélé qu'il avait reçu une somme de 20'000 dollars. Nous sommes bien loin des sommes avancées l'an dernier par la presse américaine [à propos de Clarence Thomas]. Il y a une érosion des normes relatives au bon comportement des juges: ce qui semblait relever de l'évidence auparavant ne l'est plus aujourd'hui."

Le drapeau américain renversé est projeté sur la Cour suprême des États-Unis à Washington pour dénoncer la partialité des juges et demander une réforme de l'instance juridique. [Getty Images via AFP - PAUL MORIGI]
Le drapeau américain renversé est projeté sur la Cour suprême des États-Unis, à Washington, pour dénoncer la partialité des juges et demander une réforme de l'instance juridique. [Getty Images via AFP - PAUL MORIGI]

La décision de la Cour d'abroger le droit constitutionnel à l'avortement et de laisser les Etats libres de légiférer sur cette question est un autre point attestant du discrédit des juges, ajoute Nicole Bacharan. "Plusieurs juges se sont dédits de leur engagement. Au moment des auditions pour confirmer la nomination par le président Trump, ils ont assuré qu'ils ne toucheraient pas à l'avortement, car cela faisait 50 ans qu'il y avait jurisprudence. Ils ont menti devant le Sénat, c'est tout de même très grave."

Les juges pourraient se récuser, comme le demandent les démocrates pour l'affaire concernant les événements du 6 janvier 2021. Mais Nicole Bacharan est catégorique: "Puisqu'il n'y a qu'eux qui peuvent prendre cette décision, la probabilité qu'ils se récusent est de zéro". Si un code de bonne conduite a été adopté l'an dernier, l'application de ce règlement dépend néanmoins des juges eux-mêmes et il n'est donc pas contraignant. Nommés à vie, les juges n'ont en outre pas de limite de mandats et décident seuls de prendre leur retraite.

Sujet radio: Patrick Chaboudez

Adaptation web: Isabel Ares

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