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La crise en Nouvelle-Calédonie exacerbée par son passé colonial

La question de la colonisation française au centre des émeutes kanak en Nouvelle-Calédonie (vidéo)
La question de la colonisation française au centre des émeutes kanak en Nouvelle-Calédonie (vidéo) / Forum / 5 min. / le 17 mai 2024
Depuis cinq jours, la Nouvelle-Calédonie est en proie à des émeutes. Déclenchées par une réforme du corps électoral local, cette crise trouve également sa source dans l'histoire coloniale du territoire français, estime l'historienne Sarah Mohamed Gaillard.

Depuis lundi, les violences en Nouvelle-Calédonie ont fait cinq morts et des centaines de blessés, selon les autorités. La crise a débuté par une mobilisation indépendantiste contre une réforme constitutionnelle du collège électoral, rejetée par les représentants du peuple autochtone kanak.

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Selon Sarah Mohamed Gaillard, historienne spécialiste de l'évolution politique institutionnelle en Nouvelle-Calédonie, cette réforme ravive les souvenirs de l'histoire coloniale vécue par les Kanaks. "La Nouvelle-Calédonie a été une colonie de peuplement. Il y a eu des vagues successives de gens extérieurs à la Calédonie qui s'y sont installés de gré ou de force", explique-t-elle dans l'émission Forum.

Au cours de leur histoire coloniale, qui a été particulièrement violente, les Kanaks ont été dépossédés de leurs terres, ségrégués, marginalisés et ils sont devenus minoritaires au sein de la population totale de l'archipel

Sarah Mohamed Gaillard, historienne

"Et au cours de cette histoire coloniale, qui a été particulièrement violente, les Kanaks ont été dépossédés de leurs terres, ségrégués, marginalisés et ils sont devenus minoritaires au sein de la population totale de l'archipel", poursuit-elle.

Réforme contestée

La réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales sur l'archipel. Les partisans de l'indépendance estiment que cette modification risque de réduire leur poids électoral et marginaliser "encore plus le peuple autochtone kanak".

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Actuellement, le corps électoral de ce scrutin est gelé: il se limite essentiellement aux électeurs inscrits sur les listes lors de la consultation locale sur l'accord de Nouméa en 1998 et à leurs descendants, excluant de facto les résidents arrivés après cette date et de nombreux natifs.

Au fil des ans, ces conditions restrictives ont augmenté la proportion d'électeurs privés de droit de vote au scrutin provincial alors qu'ils sont autorisés à voter aux élections nationales (présidentielle, municipales...). Pour y remédier, le gouvernement souhaite dégeler le corps électoral en l'ouvrant à tous les natifs et aux personnes domiciliées sur le territoire calédonien depuis au moins dix ans. Environ 25'000 électeurs pourraient alors être ajoutés aux listes.

Lutte pour l'indépendance

La majorité des Kanaks étant indépendantistes, "le corps électoral joue un rôle important dans la lutte pour l'indépendance", estime Sarah Mohamed Gaillard. Trois référendums à ce sujet ont déjà eu lieu et à chaque fois, le camp du "non" l'a emporté. Les partis indépendantistes avaient boycotté le dernier scrutin en 2021, car ils ne reconnaissent pas sa légitimité.

"Le troisième référendum d'autodétermination en 2021 a été organisé à une date qui ne convenait pas aux indépendantistes kanaks", indique Sarah Mohamed Gaillard, expliquant que l'archipel venait alors d'être fortement touché par la pandémie de Covid-19. "On était dans une période de deuil kanak qui dure un an", précise-t-elle.

Au final, l'Etat français n'a pas tenu compte de leur demande de repousser le référendum. "Cela a été perçu par les indépendantistes kanaks comme une sorte de rebuffade de la part de l'Etat, qu'ils ont perçu comme n'étant plus impartial, comme n'étant plus un arbitre du jeu calédonien, mais comme un acteur de cette équation calédonienne", affirme l'historienne.

La Nouvelle-Calédonie pourrait presque être vue comme un morceau de fédéralisme dans la République française

Sarah Mohamed Gaillard

Statut particulier

Le statut de la Nouvelle-Calédonie est en effet particulier. Né de l'accord de Nouméa de 1998 et inscrit dans la Constitution française, il confère une très large autonomie au territoire ultramarin. Signé entre l'Etat français, les non-indépendantistes et les indépendantistes, l'accord de Nouméa a mis sur les rails une décolonisation progressive, matérialisée par des transferts de compétences de l'Etat au gouvernement local.

"Ce processus a fonctionné pendant très longtemps et sur plein de domaines", estime Sarah Mohamed Gaillard. "La Nouvelle-Calédonie jouit au sein de la République française d'une très large autonomie, la France ne gardant, grosso modo, que les compétences régaliennes". "Elle pourrait presque être vue comme un morceau de fédéralisme dans la République française", dit-elle encore.

Capacité à innover

La crise actuelle ne surprend toutefois pas l'historienne, car "à la crise politique qui est ouverte depuis le troisième référendum d'autodétermination s'ajoute ces dernières semaines une crise économique très forte". La filière du nickel, le moteur économique de la Nouvelle-Calédonie, est en effet en crise.

A la crise politique qui est ouverte depuis le troisième référendum d'autodétermination s'ajoute ces dernières semaines une crise économique très forte

Sarah Mohamed Gaillard

Sarah Mohamed Gaillard relève cependant la "grande capacité à innover" du territoire, ainsi qu'à "inventer de nouvelles façons pour sortir du cadre colonial" et ce depuis les années 1980, qui ont été marquées par de fortes tensions et des violences autour de la question de l'indépendance.

"Si on veut avoir une vision un peu positive de la situation dans ces jours très sombres que traversent les Calédoniens, on peut espérer que la Nouvelle-Calédonie saura une fois encore inventer une nouvelle façon de sortir de la crise", conclut-elle.

Propos recueillis par Coraline Pauchard

Adaptation web: Emilie Délétroz avec agences

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Recul des violences constaté vendredi

Les autorités se sont réjouies vendredi d'un recul des violences en Nouvelle-Calédonie, désormais sous état d'urgence, même si certains quartiers de Nouméa restaient hors de contrôle, au 5e jour des émeutes.

Le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, a concédé que trois quartiers défavorisés de la plus grande agglomération du territoire, en majorité peuplés de Kanaks, restaient aux mains de "centaines d'émeutiers".

Dans la nuit de jeudi à vendredi, une nouvelle vague de renforts de policiers et de gendarmes est arrivée de l'Hexagone. Le gouvernement a annoncé l'envoi d'un millier d'entre eux pour épauler les 1700 déjà sur place.

Au total, depuis dimanche, 163 personnes ont été placées en garde à vue, dont 26 ont été déférées devant la justice, selon le parquet.

Ces émeutes ont déjà causé pour 200 millions d'euros de dégâts, selon des estimations locales.