La fondatrice de Radio Begum, la voix des Afghanes: "Nous sommes sans cesse confrontées à des embûches"
Le régime des talibans a imposé des règles draconiennes aux journalistes, et plus encore aux femmes. "Il faut être très persévérantes et patientes, avoir beaucoup de foi et une rage incroyable pour pouvoir continuer, parce que c'est très compliqué de travailler dans cet environnement", explique Hamida Aman. "Nous sommes sans cesse confrontées à des embûches et des interdits. Quand ce n'est pas l'administration, c'est au niveau du recrutement. C'est un combat permanent", ajoute la fondatrice et directrice de Radio Begum, qui émet depuis Kaboul.
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Vaille que vaille, son média, qui est animé par des femmes, continue à émettre près de trois ans après la prise de la capitale afghane par les talibans, en août 2021. La station cherche en particulier à instruire les filles, chassées des classes à partir du niveau secondaire. "La mission principale de notre radio, c'est d'éduquer et d'apporter l'école à la maison, puisque l'école est interdite. Nous diffusons donc des cours radiophoniques. Nous venons de lancer une plateforme digitale avec tout le programme scolaire en vidéo. En ce moment, nous diffusons depuis Paris une chaîne éducative qui passe en boucle ces vidéos des cours du niveau secondaire", détaille Hamida Aman.
Malgré les obstacles, Radio Begum rencontre un joli succès, à entendre l'entrepreneuse: "La radio continue d'exister et nous avons réussi à déployer plus d'antennes dans le pays. Nous couvrons plus des trois quarts du pays et espérons continuer cette extension. Nous sommes devenus la première radio d'Afghanistan", assure-t-elle.
Une ségrégation acceptée avec fatalisme
La Suisso-Afghane se désole de la banalisation de la privation de droits que subissent les Afghanes: "C'est malheureusement en train de passer dans la norme. Il y a une sorte de fatalisme et d'acceptation de la population", déplore-t-elle. "Après 12 ans, les filles ne vont pas à l'école. Le 23 mars, c'était la rentrée scolaire. Les garçons sont allés à l'école, mais leurs sœurs étaient à la maison. Des mères m'ont raconté que cela devient problématique, parce que les petits garçons, même plus jeunes que leurs sœurs, leur disent qu'elles ne valent rien, puisque tout leur est interdit. Je suis très inquiète pour la suite."
"Il y a plus de répression et plus de dureté", lâche-t-elle encore. Et de pointer un effet délétère pour l'Afghanistan: la fuite des cerveaux. "Des familles entières quittent le pays pour donner un avenir à leurs enfants", relève-t-elle.
Mais il n'est pas question pour elle de baisser les bras: "Je ne veux pas qu'on accepte cette situation. Il faut continuer à se battre et ne pas oublier ce qui se passe dans le pays, ce crime contre l'humanité, cet apartheid des genres."
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Hamida Aman se montre toutefois confiante. Selon la journaliste, le vent va tourner pour les talibans: "Rien ne dure dans ce pays. Aucun régime n'a vraiment beaucoup duré. Je ne mise pas non plus beaucoup sur celui-là. C'est une question de temps, il faut que l'on soit patients. Mais demander aux jeunes d'attendre, c'est un crime…"
Propos recueillis par Philippe Revaz
Texte web: Antoine Michel