La "loi d'invasion de La Haye", une étrange loi qui permet aux Etats-Unis d'envahir les Pays-Bas
Il est de notoriété publique que les Etats-Unis n'ont jamais adhéré au jeu de la justice internationale. Tout comme la Chine, l'Inde ou la Russie, ils n'ont jamais ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).
Mais ce que l'on sait moins, c'est qu'ils disposent d'une loi autorisant, en théorie, le recours à la force pour contrer cette institution si un citoyen américain ou un allié venait à être poursuivi. Il s'agit de l'American Service-Members' Protection Act (ASPA), surnommée officieusement "loi d'invasion de La Haye".
Adoptée en 2002, cette loi permet aux Etats-Unis d'utiliser "tous les moyens nécessaires et appropriés" pour libérer un ressortissant ou un allié détenu par la CPI, basée à La Haye, aux Pays-Bas. Cela pourrait inclure un militaire, un fonctionnaire ou même le dirigeant d'un pays allié comme Israël.
Juridiquement possible
Le surnom ironique de la loi vient de la possibilité donnée au président des Etats-Unis d'aller jusqu'à déclencher une opération militaire pour délivrer cette éventuelle personne, soit une "invasion de La Haye". Si l'idée semble farfelue et peu réaliste dans les faits, elle symbolise la défiance des Etats-Unis envers une institution qu'ils considèrent comme politisée et dangereuse pour leur souveraineté.
Ce scénario, s'il paraît absurde, est pourtant juridiquement possible. Et avec les récents mandats d’arrêt internationaux émis contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant pour des crimes de guerre présumés dans les territoires palestiniens, la question redevient d'actualité.
>> Relire : La CPI émet des mandats d'arrêt contre Benjamin Netanyahu et le chef de la branche armée du Hamas
"Un tribunal kangourou"
Il y a quelques jours, sur les réseaux sociaux, le sénateur républicain Tom Cotton ne s'est d'ailleurs pas gêné d'invoquer la "loi d'invasion de La Haye", comme l'ont relaté plusieurs médias américains.
"La CPI est un tribunal kangourou et Karim Khan (le procureur de la CPI, ndlr) est un fanatique dérangé. Malheur à lui et à tous ceux qui tentent d'appliquer ces mandats illégaux. Permettez-moi de leur rappeler amicalement que ce n'est pas pour rien que la loi américaine sur la CPI est connue sous le nom de "loi sur l'invasion de La Haye". Pensez-y", a-t-il écrit sur X.
Une loi controversée
Si l'administration Biden a rapidement rejeté la décision de la CPI, elle n'a pas été jusqu'à invoquer cette loi controversée que Human Rights Watch avait qualifiée à l'époque de son adoption de "tentative d'intimidation".
"Nous restons profondément préoccupés par la précipitation avec laquelle le procureur a demandé des mandats d'arrêt et par les erreurs de procédure troublantes qui ont conduit à cette décision. Les Etats-Unis ont clairement indiqué que la CPI n'était pas compétente en la matière. En coordination avec nos partenaires, y compris Israël, nous discutons des prochaines étapes", a déclaré à la presse un porte-parole du Conseil national de sécurité.
Lindsey Graham, sénateur et partisan du président élu Donald Trump, a pour sa part qualifié la CPI de "plaisanterie dangereuse". "Il est maintenant temps pour le Sénat américain d'agir et de sanctionner cet organe irresponsable", a-t-il souligné, sans évoquer la "loi d'invasion de La Haye".
"Si nous n’agissons pas avec force contre la décision de la CPI, nous commettons une énorme erreur", a-t-il déploré encore sur X. "Israël n'est pas membre de la CPI, pas plus que les Etats-Unis. (...) Israël et les Etats-Unis ont un système juridique très solide. Si nous ne nous opposons pas à l'attaque de la CPI contre Israël, cela revient à reconnaître que la CPI a compétence sur nous."
Les pays divisés sur la question
Pour que le mandat d'arrêt international contre le Premier ministre israélien et son ancien ministre de la Défense puisse être mis à exécution, encore faudrait-il qu'ils décident de voyager dans un des 124 pays reconnaissant la CPI. Et dans cette hypothèse, il faudrait ensuite que ces Etats, même s'ils ont ratifié le Statut de Rome, prennent la décision de les arrêter.
Ce que plusieurs pays, dont l'Argentine, la Hongrie et la Slovaquie, ont d'ores et déjà annoncé qu'ils ne feraient pas. Sans compter les pays qui ont évité de répondre à la question de savoir s'ils appliqueraient la décision de la CPI. La France a par exemple qualifié l'exécution des mandats de "juridiquement complexe", tandis que l'Italie a déclaré qu'elle "évaluerait avec ses alliés ce qu'il convient de faire et comment interpréter cette décision".
Pour sa part, la Suisse devrait en principe arrêter le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'il venait en Suisse. En tant qu'Etat partie au statut de Rome, elle est tenue de coopérer avec la Cour pénale internationale (CPI), a indiqué l'Office fédéral de la justice.
Ce qui semble le plus probable, selon John Quigley, professeur de droit à l'Université d'Etat de l'Ohio, c'est que les Etats-Unis prennent prochainement des mesures ciblées contre certains fonctionnaires de la CPI, notamment contre l'actuel procureur Karim Khan, comme il l'a expliqué au média The New Arab.
Selon lui, une fois que le président élu Donald Trump prendra ses fonctions en janvier, il pourrait leur interdire d'entrer aux Etats-Unis, comme il l'avait fait en 2019 avec l'ancienne procureure Fatou Bensouda, en lien avec une enquête sur des exactions de soldats américains en Afghanistan. Cependant, selon lui, "il n'y a rien que les Etats-Unis puissent faire pour empêcher la Cour de traiter une affaire ou de faire ce qu'elle doit faire dans tous les cas."
Fabien Grenon