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La pénurie d'antimoustique en Argentine fâche alors que les cas de dengue flambent

Pénurie d'antimoustique en Argentine lors de l’épidémie de dengue. [Keystone - AP Photo/Natacha Pisarenko]
Pénurie d'antimoustique: les failles de la politique sanitaire en Argentine / Tout un monde / 4 min. / le 23 mai 2024
Alors que l'Argentine fait face à la pire épidémie de dengue jamais enregistrée dans le pays, elle connaît également une pénurie d'antimoustique, un traitement préventif qui peut s'avérer efficace. Cette nouvelle crise met en lumière les failles de la politique sanitaire du gouvernement de Javier Milei.

Au cours du premier trimestre 2024, plus de 475'000 personnes ont été infectées en Argentine par cette maladie transmise par les moustiques (par l'Aedes aegypti) et 325 en sont mortes, selon les chiffres de l'Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS).

"Il n'y a pas de répulsif antimoustiques", peut-on lire en lettres capitales rouges sur la porte vitrée d'une pharmacie du centre de Buenos Aires. "Il n’y a aucun moyen de s'en procurer. Nous travaillons avec trois fournisseurs et aucun n'en a plus depuis un mois, deux mois même!", lance l'un de ses pharmaciens dans l'émission Tout Un monde de jeudi.

L'antimoustique, utilisé pour lutter contre la dengue notamment, est introuvable dans les commerces depuis plusieurs semaines. Si certains pensaient que s'en procurer sur internet était la solution, ils se sont vite rendu compte que son prix y avait explosé. Pour en trouver, d'autres se rendent jusque dans les pays voisins. Selon l'AFP, les altercations pour les rares quantités restantes ont augmenté.

Certains flacons d'antimoustiques se vendent à 70'000 pesos (71,92 francs)

Une acheteuse d'antimoustique en ligne

Désintérêt du gouvernement

Une cliente a réussi à se procurer sur internet quelques flacons à 22'000 pesos l'unité, soit environ 22,6 francs. "C'est bon marché, assure-t-elle. Certains se vendent à 70'000 pesos (71,92 francs)!"

Pour faire baisser le prix et mettre fin à la pénurie, le gouvernement de Javier Milei a supprimé le 4 avril, et pour 30 jours, les taxes sur l'importation du produit. La mesure est insuffisante et tardive, déplore cette cliente.

"Pour moi, l'Etat devrait être plus présent. Les hôpitaux sont saturés. Il faut parfois attendre cinq heures aux urgences, pour terminer par être renvoyé chez soi. Le gouvernement ne fait rien. On dirait qu'il s'en fiche."

Derrière son comptoir, le pharmacien interrogé par la RTS s'indigne aussi de la passivité du gouvernement face à ce qui est déjà la pire épidémie de dengue jamais enregistrée par l'Argentine. Il estime que l'absence d'une réelle campagne de prévention trahit le désintérêt du gouvernement libertarien sur ce sujet.

Le gouvernement ne propose pas de solution, il n'y a pas de vaccins. Il néglige le problème.

Un pharmacien argentin

"Il n'y a aucune information. L'autre jour, j'écoutais le ministre de la Santé, qui conseillait de ne pas porter des t-shirts à manches courtes ou des shorts pour éviter les piqûres de moustiques. C'est totalement insolite! Quand j'ai entendu ça, j'ai eu honte. Le gouvernement ne propose pas de solution, il n'y a pas de vaccins. Il néglige le problème."

Le gouvernement de Javier Milei se refuse en effet à intégrer à la stratégie de vaccination nationale le sérum du laboratoire Takeda. Il est même allé jusqu'à mettre en doute l'efficacité de ce vaccin pourtant approuvé par l’autorité sanitaire argentine l'an passé.

Sans état d'urgence sanitaire, les provinces s'organisent

Médecin infectiologue, Tomas Orduna a dirigé pendant 20 ans le service de maladies tropicales de l'hôpital Muniz à Buenos Aires. Il critique la passivité du gouvernement face à l'ampleur de l'épidémie.

"Pourquoi ne pas déclarer l'état d'urgence sanitaire, même pour une période limitée d'un ou deux mois, lorsqu'il y a plus de 55'000 nouveaux cas en une seule semaine? Cela permettrait de débloquer des fonds fédéraux et de les donner aux provinces", assure-t-il.

Certaines provinces argentines ont essayé de combler le vide laissé par l'Etat central par leurs propres moyens. Celles de Buenos Aires et de Formosa ont lancé leur propre production de répulsifs antimoustiques, tandis que d'autres ont acheté des vaccins pour les distribuer gratuitement à certaines populations à risques.

"Notre système fédéral a permis que des provinces comme Salta, Misiones ou, plus récemment, Cordoba puissent acheter des vaccins par elles-mêmes. Chaque province a dû organiser sa propre réponse à l'épidémie. Je pense qu'il faut inscrire cela dans un cadre idéologique et politique", avance Thomas Orduna.

Anarcho-capitalisme dans la politique sanitaire

Ce cadre idéologique, c'est l'anarcho-capitalisme dont se revendique Javier Milei. Depuis son élection, le président argentin n'a eu de cesse de couper dans les dépenses publiques pour réduire l'Etat à sa portion congrue et laisser la main invisible du marché organiser la société. Selon le médecin infectiologue, le chef de l'Etat argentin applique aussi ce paradigme à la politique sanitaire.

>> Lire également : Ultralibéral, antisystème, outrancier: qui est Javier Milei, le nouveau président argentin?

"Je pense que l'épidémie de dengue est le cadet des soucis du président, comme l'avait été la pandémie de Covid. A l'époque, il avait remis en cause l'usage du masque et, plus généralement, toutes les mesures qui étaient prises, comme la distanciation sociale. Donc, je ne pense pas que la dengue soit un problème à ses yeux."

Les critiques de Javier Milei sur la gestion de la pandémie et les restrictions liées au Covid-19 ont largement contribué à la montée en puissance médiatique qui a précédé ses débuts en politique en 2021. Six mois après son arrivée au pouvoir et le début de l'épidémie de dengue, il aura fallu une polémique liée à la pénurie de répulsif pour que son gouvernement se décide à agir.

Sujet radio: Théo Conscience

Adaptation web: Julie Marty

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L'Argentine face à l'épidémie de dengue la plus importante jamais enregistrée dans le pays

La nouvelle épidémie de dengue en Argentine s'est déclarée en août 2023. C'est dans la région du Centre (qui comprend les provinces de Buenos Aires, CABA, Córdoba, Entre Ríos et Santa Fe) qu'elle a été la plus forte, avec 308'654 cas recensés sur l'année 2023 et 308'117 en 2024.

Si le pays connaît des épisodes de dengue chaque année depuis une dizaine d'années, il n'a jamais recensé autant de cas. Et ses pays voisins, le Brésil, le Paraguay, le Pérou et la Bolivie connaissent eux aussi une hausse des cas de dengue.

Selon Jarbas Barbosa, le directeur de l'Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS), il pourrait s'agir de la "pire épidémie de dengue jamais enregistrée en Amérique".

Le 10 mai 2024, l'OPS a indiqué que "plus de 6,1 millions de cas suspects de dengue (principalement au Brésil)" avaient été signalés dans le cône sud du continent, "ce qui représente une augmentation de 333% par rapport à la même période en 2023".

L'Argentine est particulièrement frappée en raison des fortes températures et des fortes pluies du dernier été austral (de décembre à février), qui ont entraîné la prolifération de moustiques.

Le phénomène climatique El Niño favoriserait également l'apparition de la maladie, selon une étude parue dans la revue MDPI qui porte sur le Sri Lanka. Les chercheurs de DENGUETOOLS ont découvert que les conditions El Niño dans le Pacifique précèdent de six mois une intensification des épidémies de dengue au Sri Lanka. Or, le phénomène climatique a également touché l'Argentine.