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La Pologne peine à se défaire de son héritage ultra-conservateur

Le Premier ministre polonais Donald Tusk. [Keystone - EPA/Pawel Supernak]
Pologne, ou la difficulté de se débarrasser d'un héritage ultra-conservateur / Tout un monde / 4 min. / hier à 08:14
Lors de son élection, le nouveau Premier ministre polonais Donald Tusk avait fait campagne sur une réforme du système judiciaire, la dépénalisation de l’avortement, la liberté des médias ou encore l'union civile pour les couples homosexuels. Une année plus tard, le bilan est plutôt mitigé.

Elu en décembre 2023, le centriste pro-européen Donald Tusk voulait tourner la page des huit années du règne des conservateurs et eurosceptiques du PiS. Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement s’est notamment empressé de dépolitiser la télévision publique que le PiS avait transformée en instrument de propagande.

Pour Bart Staszewski, l’activiste LGBT le plus célèbre de Pologne, il s'agit d'une mesure encourageante. Après avoir été pendant longtemps la cible préférée des médias publics, il a été invité à la télévision pour la première fois en huit ans. "Le présentateur de l'émission s'est excusé en direct pour les attaques et la discrimination monstrueuses que notre communauté a subies ces dernières années", explique-t-il dans l'émission Tout un monde.

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Un an après, Bart Staszewski constate cependant que la situation n’a pas beaucoup avancé. "Malheureusement, rien n'a changé", regrette-t-il. "La modification du Code pénal visant à protéger les personnes LGBT des discours de haine n'est pas entrée en vigueur. Quant à l'union civile pour tous, le Parlement n'a même pas commencé à l'examiner".

"Coup de couteau dans le dos des femmes"

Bart Staszewski n'est pas le seul à être déçu. Selon lui, les activistes pour les droits des femmes partagent son sentiment: "celui de s'être fait arnaquer". Même si le ministère de la Santé a lancé un projet de pilotage permettant à certaines pharmacies de délivrer la pilule du lendemain sans ordonnance, quatre propositions de loi sur l’accès à l’avortement dorment toujours dans les cartons du Parlement.

"C’est tout simplement un coup de couteau dans le dos des femmes polonaises qui se sont battues pour changer de gouvernement, qui l’ont porté au pouvoir, et ce dernier les laisse tomber", affirme Antonina Lewandowska de l’association Federa, qui oriente les femmes souhaitant recourir à l’IVG en Pologne.

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Elle se dit déçue et dénonce un manque de volonté politique sur le sujet. Les quatre grands partis de la coalition ne parviennent en effet pas à s'entendre sur les projets de société. "La confiance envers la coalition au pouvoir est basse, elle est faiblement soutenue par la population", ajoute Antonina Lewandowska. "Ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes pour ne pas avoir tenu leur promesse concernant l’accès à l’avortement".

Face à toutes ces promesses non-tenues, le monde de la culture continue de s'engager. "J’avais peur de ne plus avoir de quoi dessiner maintenant qu’un gouvernement démocratique est arrivé au pouvoir, mais ce n’est pas le cas", explique le dessinateur satirique Bartlomiej Kielbowicz. "Il y a toujours beaucoup à faire sur le thème de la frontière avec la Biélorussie, les droits des femmes, les droits des personnes LGBTQ+, ce sont des choses qui ne sont pas réglées".

Veto présidentiel

Concernant la refonte du système judiciaire, que le gouvernement précédent avait mis au pas, la situation est aussi au point mort. Le président Andrzej Duda, issu du PiS, oppose systématiquement son veto à toute tentative de démonter l'œuvre de son parti.

"Toutes les lois visant à révoquer les nominations politiques dans les tribunaux sont bloquées et la coalition n'a pas assez de voix à l'Assemblée pour passer outre le veto présidentiel", indique le politologue Jan Misiuna. "Donc en attendant l'élection présidentielle de mai, et à moins qu'un président d'un autre parti que le PiS soit élu, rien ne pourra légalement changer".

Si l’arrivée au pouvoir de Donald Tusk a permis à la Pologne de récupérer les fonds européens dont elle était privée, aucune mesure législative n’a pour l’instant été prise pour restaurer concrètement l’Etat de droit. Aujourd’hui, 40% des Polonais affirment avoir une mauvaise opinion du gouvernement. Ce constat pourrait rebattre les cartes, à six mois des élections présidentielles.

Adrien Sarlat/edel

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