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"La Russie craint qu'une forme de contagion démocratique ne s'étende autour d'elle"

Une manifestation pro-européenne à Tbilisi (Géorgie), le 20 octobre 2024. [EPA / Keystone - DAVID MDZINARISHVILI]
Moldavie et Géorgie: bataille d'influence dans l'espace post-soviétique / Tout un monde / 13 min. / mercredi à 08:12
La population moldave a dit oui de justesse dimanche au principe d'une adhésion à l'Union européenne. Parallèlement, la population géorgienne doit s'exprimer le 26 octobre dans des législatives qui ressemblent à un choix entre Bruxelles et Moscou. Invité mercredi dans Tout un monde, Régis Genté, spécialiste de l'espace post-soviétique, a livré son analyse.

Pour Régis Genté, au vu du contexte, le résultat serré n'est pas vraiment surprenant. "La Moldavie est un pays très divisé, presque un pays tampon" entre l'influence russe et européenne, note-t-il.

"Ce résultat montre que la bataille est effectivement difficile. Les Russes, semble-t-il, ont tâché de peser sur le vote en achetant des voix. Mais l'Europe aussi a voulu peser dans le débat en donnant de l'argent, un peu à la dernière minute, à la Moldavie. Une vraie bataille d'influence se joue", a expliqué le spécialiste de l'espace post-soviétique au micro de Tout un monde.

En outre, s'il existe bel et bien des preuves de l'ingérence russe dans cette votation, il ne faut pas réduire la situation uniquement à cela, tient à souligner Régis Genté. "Il s'agit aussi d'une dépendance ancienne, profondément ancrée dans les gènes politiques du pays".

>> Relire : En Moldavie, courte victoire du oui au référendum sur le principe de l’adhésion à l’UE

Maintenir une zone tampon

Pour Moscou, chaque pays revêt une importance stratégique, même lorsqu'il s'agit de petits Etats comme la Moldavie, avec ses 2,5 millions d'habitants. Cela s'applique également à la Géorgie et à l'Arménie, qui font également partie de l'ancien bloc soviétique. "La Russie tient à maintenir une sorte de zone tampon autour de ses frontières, composée des anciennes républiques soviétiques, souvent annexées sous le régime tsariste", poursuit Régis Genté.

L'Europe incarne la prospérité et l'Etat de droit

Régis Genté, spécialiste de l'espace post-soviétique

Elle considère ces territoires comme faisant partie de sa sphère d'influence et souhaite les préserver de toute menace, officiellement pour des raisons de sécurité, mais aussi pour des motifs de politique intérieure. "Si la Russie observe ces pays se démocratiser, elle craint qu'une forme de contagion démocratique ne s'étende autour d'elle, risquant ainsi de menacer son propre régime".

Des pays qui aspirent à rejoindre l'Europe

Moscou ne lâchera donc pas prise, vu l'ampleur et la symbolique de l'enjeu. "Imaginez que, dans les semaines à venir, la Moldavie et la Géorgie retombent sous l'influence russe: ce serait un signal politique fort adressé aux Arméniens, aux Ukrainiens, aux Biélorusses et aux Kazakhs. Ce serait également un avertissement global, signifiant qu'il est vain de soutenir les anciennes républiques soviétiques, car, tôt ou tard, la Russie reprendra le dessus".

D’un autre côté, cela présage aussi des conflits et de l’instabilité pour les décennies à venir, car ces pays aspirent depuis longtemps à rejoindre l'Europe. "Pas toujours par idéologie, mais parce que l'Europe incarne la prospérité et l'Etat de droit. On voit bien qu'il y a une tendance dans ces populations à vouloir passer du côté occidental".

Quid de la Géorgie?

En Géorgie, les élections législatives du 26 octobre s'annoncent de leur côté comme un véritable référendum sur l'Europe. Alors que 80% de la population est pro-européenne, selon les sondages, le parti au pouvoir "Rêve géorgien" penche clairement vers Moscou.

Cette situation s'explique en grande partie par l'influence d'un puissant oligarque pro-russe, Bidzina Ivanichvili, qui contrôle le gouvernement. "Il a une fortune équivalente au tiers du PIB national et tient toutes les institutions, que ce soit la Banque nationale ou les services de sécurité", souligne Régis Genté.

Et d'ajouter: "Moi qui travaille beaucoup sur les élites russes, je ne connais aucun oligarque ou milliardaire qui puisse échapper au pouvoir très autoritaire ou dictatorial de la Russie, ça n'existe pas".

Les élections législatives à venir sont perçues comme la votation de la dernière chance pour les pro-européens alors que le parti au pouvoir a menacé d'interdire toute opposition en cas de victoire le 26 octobre.

Le puissant oligarque pro-russe, Bidzina Ivanichvili, est considéré comme l'homme fort du gouvernement moldave. [Anadolu via AFP - DAVIT KACHKACHISHVILI]
Le puissant oligarque pro-russe Bidzina Ivanichvili est considéré comme l'homme fort du gouvernement moldave. [Anadolu via AFP - DAVIT KACHKACHISHVILI]

Propos recueillis par Eric Guevera-Frey

Article web: Hélène Krähenbühl

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Le petit oui moldave, une victoire au goût de "trop peu" pour l’UE 

Le "oui" moldave, bien que positif, est perçu comme une victoire au goût d'inachevé pour Bruxelles, bercé par le rêve européen porté par le camp de la présidente moldave Maia Sandu. Signe de l’embarras, il aura fallu attendre la fin d’après-midi pour avoir le communiqué de félicitations de Josep Borrell, le vice-président de la Commission européenne.

Les diplomates en poste sur place n'étaient toutefois pas dupes. Ils disposaient de remontées de terrain de leurs observateurs sur l’énorme phénomène de désinformation et d’achat de plusieurs centaines de milliers de votes commandités par la Russie, notamment dans certaines régions et communautés plus défavorisées.

Plusieurs enjeux pour l'UE

Mais alors à quoi faut-il s'attendre désormais de la part de l'UE? La réponse va dépendre d’abord du résultat de l’élection présidentielle. La présidente de la Moldavie Maia Sandu a en effet gagné le premier tour dimanche; le deuxième aura lieu le 3 novembre prochain.

Une victoire sera le signe que la voie européenne se confirme pour la Moldavie. "A nous de capitaliser et de montrer les avantages que le pays tirera du rapprochement avec nous", commente un observateur contacté par la RTS.

Mais si elle perd, l’UE jugera sur pièce les décisions de la nouvelle administration. Si elles sont contraires aux valeurs européennes, elle devra alors appuyer sur le "bouton pause".