Cette année-là, l'opposition turque avait infligé son pire revers électoral au chef de l'Etat en raflant la mégapole et la capitale, Ankara, tenues depuis vingt-cinq ans par son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) et ses prédécesseurs islamistes.
L'opposition, partie unie il y a cinq ans, avance cette fois en ordre dispersé, minée par sa défaite à la présidentielle de 2023. Le parti pro-kurde DEM (ex-HDP), troisième force au Parlement, présentera des candidats dans toutes les grandes villes de ce pays de 85 millions d'habitants.
"Avec la permission de Dieu, envoyons-les à la retraite le 31 mars à Ankara, Istanbul et Izmir", a lancé dimanche dernier Recep Tayyip Erdogan en visant les maires d'opposition des trois principales villes turques.
La bataille d'Istanbul
Mais c'est à Istanbul que ses troupes concentrent leurs efforts et là aussi que l'AKP semble le plus à même de l'emporter, même si les sondages créditent le maire sortant Ekrem Imamoglu (CHP, social-démocrate) d'une légère avance. L'édile, opposant médiatique, avait été élu en 2019 après que l'AKP, arguant d'irrégularités lors du scrutin, eut exigé un nouveau vote et suscité en réaction un raz de marée en sa faveur.
Recep Tayyip Erdogan espère unir ses soutiens derrière Murat Kurum, le très technocrate ex-ministre de l'Environnement qu'il a désigné pour reprendre Istanbul. Pour convaincre les électeurs, le président promet une “transformation urbaine”, dont le but est de reconstruire sur des bases solides la plus grande ville de Turquie pour protéger ses habitants du séisme annoncé.
Istanbul est une ville avec d'énormes ressources municipales qui fournit des services à seize millions de citoyens
"La reconquête d'Istanbul est extrêmement importante pour Erdogan et pas seulement pour des raisons symboliques", explique Berk Esen, politiste à l'Université Sabanci d'Istanbul.
"Évidemment, c'est sa ville et il en a été le maire. Mais au-delà, Istanbul est une ville avec d'énormes ressources municipales qui fournit des services à seize millions de citoyens", dont onze millions d'électeurs susceptibles d'ajuster leur vote aux scrutins nationaux selon la qualité de ces services, souligne-t-il.
Le président, qui dispose d'un temps d'antenne illimité, enchaîne les meetings jour après jour, les grandes chaînes de télévision ne laissant que des miettes à l'opposition. Mais il doit composer avec une inflation à près de 70% et une concurrence issue des rangs ultraconservateurs.
Le sud-est favorable aux pro-kurdes
Dans les 81 provinces du pays, ces élections sont avant tout une affaire d'hommes: l'AKP ne compte que 2,2% de femmes parmi ses candidats, le CHP 9,3% et le parti DEM 31%.
Selon les observateurs, le parti DEM, accusé par les autorités de liens avec les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) - ce qu'il dément -, va rafler de nouveau plusieurs grandes villes du sud-est à majorité kurde, dont Diyarbakir, sa capitale informelle.
Dans cette région, une cinquantaine de maires élus en 2019 sous l'étiquette du HDP (devenu DEM) ont été remplacés par des administrateurs nommés par l'Etat, ce qui pourrait jouer sur la mobilisation. "Certains électeurs pourraient se dire : 'si c'est pour qu'un administrateur soit nommé, pourquoi se rendre aux urnes encore et encore?'", estime Eren Aksoyoglu.
asch avec afp