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Le CIO menace de retirer les JO 2034 à Salt Lake City pour faire céder l'agence antidopage américaine

Le président du CIO Thomas Bach (à gauche) et le vice-président John Coates lors de la 142e session du CIO le 24 juillet 2024.
Le CIO menace de retirer les JO à Salt Lake City pour faire céder l'USADA, l'agence antidopage américaine / Le Journal horaire / 31 sec. / le 25 juillet 2024
Le CIO a confirmé l'attribution des JO d'hiver 2034 à la ville américaine de Salt Lake City, mais avec une clause d'annulation "au cas où l'autorité suprême de l'Agence mondiale antidopage n'est pas pleinement respectée". Visé par cette mesure, le chef de l'antidopage américain a dénoncé des "menaces choquantes".

Votée à une écrasante majorité par la 142e session du Comité international olympique (CIO), la désignation de la capitale de l'Utah pour accueillir ses deuxièmes Jeux d'hiver après ceux de 2002 aurait dû être un long fleuve tranquille. Prospère et déjà dotée de toutes les infrastructures requises, la cité des mormons est déjà prête. "Tout est en place", s'est félicité le patron de la candidature Fraser Bullock, qui dispose d'une confortable avance de dix ans sur l'échéance.

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Mais la bataille lancée par les autorités américaines autour des 23 nageurs chinois testés positifs en 2021, puis blanchis par l'Agence mondiale antidopage (AMA) sans que l'affaire ne soit portée à la connaissance du public, s'est invitée mercredi dans l'attribution des JO 2034 à Salt Lake City.

Vers un bras de fer

Tout en vantant un dossier "extraordinaire", le CIO a introduit dans le contrat de la ville-hôte une clause d'annulation "au cas où l'autorité suprême de l'Agence mondiale antidopage n'est pas pleinement respectée", a indiqué John Coates, vice-président de l'instance olympique.

A l'origine de cette précaution sans précédent? L'ouverture il y a quelques semaines par la justice américaine d'une enquête pénale sur la gestion par l'AMA du cas des 23 nageurs chinois contrôlés positifs en 2021 et jamais sanctionnés [lire premier encadré]. Révélée ce printemps par une enquête du New York Times et de la chaîne allemande ARD, l'affaire a pris une tournure géopolitique.

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De nouveaux éléments dévoilés il y a moins d'une semaine remettent encore davantage en cause la thèse de la contamination alimentaire qui a permis de blanchir les sportifs chinois, notamment le fait que les 23 nageurs incriminés ne logeaient pas tous dans l'hôtel où la contamination aurait eu lieu.

Le patron de l'antidopage américain (USADA) Travis Tygart [lire second encadré] ne cesse d'accuser l'AMA d'avoir "permis à la Chine de glisser des cas positifs sous le tapis", ravivant un conflit toujours latent entre l'organisation basée à Montréal et la première puissance mondiale. Financée pour moitié par le CIO et par les gouvernements – dont la Chine, l'un de ses principaux bailleurs selon Radio-Canada – l'AMA fait face depuis quelque temps à des accusations de manque d'indépendance vis-à-vis des instances sportives et des Etats.

Les Etats-Unis accusés de fragiliser l'AMA

Pour le monde olympique, le déclenchement début juillet de cette enquête du FBI basée sur le "Rodchenkov Act", loi controversée par laquelle les Etats-Unis se sont attribués fin 2020 une compétence extraterritoriale en matière de dopage, a fait déborder le vase. Avant même la session, CIO et fédérations internationales s'étaient plaints de voir les Américains fragiliser l'AMA, créée à l'origine pour permettre une lutte cohérente selon les sports et les pays.

"Quand les pays adoptent leur propre système, cela sape le système mondial antidopage", a renchéri mercredi le Sud-Coréen Kim Jae-youl, président de la Fédération internationale de patinage, parmi une salve d'interventions pour fustiger l'offensive jugée "inacceptable" des Etats-Unis contre l'AMA.

Le patron de l'AMA Witold Banka a lui ciblé le double standard américain en matière de dopage, rappelant que ni les ligues professionnelles (basket, hockey, football américain et baseball), ni le puissant sport universitaire n'appliquent le Code mondial antidopage. "Et l'USADA n'a rien fait pour corriger cette situation", a-t-il lancé.

Forte pression sur Travis Tygart

Dans la foulée de la décision du CIO, le patron de la candidature de Salt Lake City et le président du comité olympique américain ont multiplié les assurances de leur soutien à l'AMA "comme autorité ultime de l'antidopage". "Les Etats-Unis ne peuvent pas nettoyer le sport tout seuls", a pour sa part abondé le gouverneur de l'Utah Spencer Cox face à la presse.

Leur travail ne fait que commencer, car le CIO, par la voix de John Coates, les a priés "de s'engager dans les discussions qui doivent être tenues avec diverses autorités aux Etats-Unis pour que celles-ci respectent pleinement l'autorité de l'AMA". En clair: il s'agit de faire pression sur l'USADA de Travis Tygart, sur l'administration américaine actuelle et sur la future administration.

"Il est choquant de voir le CIO lui-même s'abaisser à des menaces, dans un effort apparent pour faire taire ceux qui cherchent des réponses", a vertement répliqué Travis Tygart peu après dans un communiqué de l'USADA.

Vincent Cherpillod avec l'afp

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Des tests positifs restés confidentiels pendant plusieurs années

Début janvier 2021, plusieurs des meilleurs nageurs chinois sont réunis à Shijiazhuang, ville de la province du Hebei, au sud-ouest de Pékin, pour une compétition de natation. Lors des tests antidopage effectués durant les épreuves, 23 nageurs sont contrôlés positifs à la trimetazidine (ou TMZ), médicament utilisé dans le traitement de certaines maladies cardiaques et qui figure depuis 2014 sur la liste des substances dopantes.

Son utilisation a déjà conduit plusieurs sportifs à des condamnations pour dopage, dont le prodige russe du patinage artistique Kamila Valieva.

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Après enquête, la Fédération chinoise de natation parvient à la conclusion que ces cas positifs ont pour origine une contamination alimentaire, des résidus de trimetazidine ayant été retrouvés dans la cuisine de l'hôtel où les sportifs mis en cause avaient séjourné. Le rapport de la Fédération chinoise est accepté par l'Agence mondiale antidopage, qui clôt le dossier.

Décisions contraires aux usages

Contrairement aux usages en la matière, les athlètes concernés n'ont pas été suspendus temporairement pendant la durée de l'enquête, et les cas positifs n'ont pas été portés à la connaissance du public. C'est une enquête conjointe publiée en mai 2024 par le New York Times et la chaîne publique allemande ARD qui révélera l'affaire.

Le patron de l'association regroupant les fédérations internationales des sports d'été Ingmar de Vos a défendu l'Agence mondiale antidopage, en rappelant qu'un procureur indépendant mandaté par l'AMA n'avait relevé "aucune ingérence ni irrégularité" dans la gestion du dossier par les instances chinoises et dans sa validation par l'AMA. "Ce n'était pas du tout une affaire de dopage [...], c'était une affaire de contamination de l'environnement" via les cuisines de l'hôtel où séjournaient les nageurs, a-t-il répété.

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Le nageur chinois Sun Yang (ici en 2019) avait été contrôlé positif à la  trimétazidine en 2014 et suspendu trois mois. [REUTERS - ANTONIO BRONIC]
Le nageur chinois Sun Yang (ici en 2019) avait été contrôlé positif à la trimétazidine en 2014 et suspendu trois mois. [REUTERS - ANTONIO BRONIC]

Présence inexplicable dans le restaurant

Plusieurs experts interrogés par les deux médias ont toutefois expliqué que les faibles taux de trimetazidine retrouvés lors des tests ne s'expliquent pas forcément par une contamination accidentelle, mais peuvent tout aussi bien signifier que les athlètes se trouvaient à la fin de la période d'excrétion du médicament au moment du test.

Malgré une enquête poussée, les instances antidopage chinoises n'ont pas pu expliquer comment de la trimetazidine, qui n'existe que sous forme de comprimés médicamenteux, a pu se retrouver en plusieurs endroits du restaurant.

Travis Tygart, l'homme qui a fait tomber Lance Armstrong

Le directeur de l'Agence américaine antidopage (USADA) Travis Tygart est loin d'être un inconnu. A la tête de l'instance depuis 2007, c'est sous son impulsion qu'a été lancée l'enquête qui a abouti à la culpabilité pour dopage de l'ex-septuple vainqueur du Tour de France Lance Armstrong.

Alors qu'aucune affaire n'avait réussi à faire tomber le cycliste américain – pas même les six échantillons du Tour de France 1999 déclarés positifs à l'EPO en 2005 après un test rétroactif rendu possible par la détection de l'EPO dès 2001 – , l'action de Travis Tygart s'est avérée décisive.

>> Relire : En 1999, Lance Amstrong se serait dopé selon "L'Equipe"

18 janvier 2013 - "Oui, je me suis dopé." Vainqueur de sept Tour de France, Lance Armstrong avoue sa tricherie devant Oprah Winfrey. [KEYSTONE - George Burns]
18 janvier 2013 - "Oui, je me suis dopé." Vainqueur de sept Tour de France, Lance Armstrong avoue sa tricherie devant Oprah Winfrey. [KEYSTONE - George Burns]

L'USADA publie en effet en 2012 un rapport de plus de 1000 pages accusant l'Américain d'avoir mené "le programme de dopage le plus sophistiqué, le plus professionnalisé et le plus réussi que le sport ait jamais connu".

L'enquête va également mettre en lumière la complaisance de l'Union cycliste internationale (UCI) envers Lance Armstrong, l'aidant notamment à échapper aux contrôles. Confrontée aux conclusions sans appel de l'USADA, l'UCI n'a d'autre choix que de le sanctionner. Quelques mois plus tard, le coureur avoue s'être dopé durant la majeure partie de sa carrière.

>> Retour sur la chute du septuple vainqueur du Tour de France : Démasquer Armstrong, un succès sans prix

Travis Tygart a même mis nommément en cause le directeur du Laboratoire antidopage de Lausanne Martial Saugy, accusant l'UCI et le laboratoire d'avoir couvert un contrôle litigieux de Lance Armstrong à l'EPO lors du Tour de Suisse 2001. Le test – qui en était à ses balbutiements cette année-là – n'étant pas formellement positif selon les critères de l'époque, l'UCI a invité Lance Armstrong à venir discuter du résultat et l'affaire n'a pas été portée à la connaissance du public.

>> Lire à ce sujet : Le directeur du laboratoire de Lausanne mis en cause dans l'affaire Armstrong

Le principal intéressé a toujours contesté ces accusations, évoquant notamment un malentendu avec Travis Tygart. Le laboratoire de Lausanne n'a du reste pas été sanctionné.

>> Lire : Sanctions contre le laboratoire antidopage de Lausanne exclues

Travis Tygart a tapé du poing sur la table. [KEYSTONE - Valentin Flauraud]
Travis Tygart a tapé du poing sur la table. [KEYSTONE - Valentin Flauraud]