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Le décès d'Ebrahim Raïssi va-t-il ouvrir une période de bouleversements en Iran?

Une femme complètement voilée à Téhéran en Iran. [Keystone/AP Photo - Vahid Salemi]
Les conséquences concrètes du décès d’Ebrahim Raïssi sont difficiles à évaluer / Le 12h30 / 2 min. / le 20 mai 2024
Les experts restent prudents lundi sur les conséquences possibles du décès d'Ebrahim Raïssi, tant au niveau national qu'international. Si certains jugent qu'il était avant tout un exécutant des décisions du Guide suprême et que cette disparition ne changera rien, d'autres jugent que cela pourrait ouvrir une période de bouleversements.

Le gouvernement iranien a assuré lundi dans un communiqué que la mort du président Ebrahim Raïssi n'allait pas entraîner "la moindre perturbation dans l'administration" du pays.

Ce décès ouvre toutefois une période d'incertitude pour le pouvoir central iranien, même si le vice-président Mohammad Mokhber a rapidement été désigné pour lui succéder.

Interrogé lundi dans La Matinale, le spécialiste de l'Iran Majid Golpour estime que la disparition d'Ebrahim Raïssi va induire une période de bouleversements aussi bien à l'intérieur du pays que pour les relations internationales. D'autres experts pensent que les changements resteront minimes et parient sur une forme de continuité au sommet de l'Etat iranien.

>> L'interview de Majid Golpour dans La Matinale :

Un homme regarde les informations sur le décès d'Ebrahim Raïssi. [AFP - Atta Kenare]AFP - Atta Kenare
Décès d'Ebrahim Raïssi: l'analyse de Majid Golpour, chercheur associé à l’Université Libre de Bruxelles / La Matinale / 9 min. / le 20 mai 2024

>> Lire le suivi de la situation en Iran : Les autorités iraniennes confirment la mort du président Ebrahim Raïssi dans un accident d'hélicoptère

Probablement une forme de continuité

Selon Ali Vaez, spécialiste de l'Iran pour l'International Crisis Group, interrogé par l'AFP, il semble probable qu'un successeur aussi conservateur et loyal au système que l'était Raïssi émerge.

Mais des luttes internes pourraient aussi apparaître. "Les factions du régime devront, dans une rivalité féroce, jouer leur destin non seulement pour une nouvelle élection présidentielle, mais également pour le remplacement du guide suprême Ali Khamenei", détaille aussi le chercheur associé à l’Université Libre de Bruxelles et spécialiste de l'Iran.

En revanche, aux yeux de Majid Golpour, ce décès soudain serait plutôt un soulagement pour la population. "L'Iran vit une crise majeure, sur le plan financier, économique, géopolitique, sociétal et identitaire, avec une répression massive et totale. Aujourd'hui, on ne peut pas dire qu'il s'agit de la fin de la répression, mais c'est un espoir d'ouverture pour les Iraniens. Peut-être allons-nous voir des changements au sein de la société civile iranienne."

>> L'interview de Jonathan Piron, spécialiste de l'Iran, dans Forum :

Les élections en Iran maintiendront-elles un conservateur au pouvoir? Interview de Jonathan Piron (vidéo)
Les élections en Iran maintiendront-elles un conservateur au pouvoir? Interview de Jonathan Piron (vidéo) / Forum / 4 min. / le 20 mai 2024

Des répercussions internationales

Majid Golpour estime aussi que cette disparition va avoir des répercussions sur les relations internationales, dans un sens ou dans l'autre.

"Ce décès est notamment une grande perte pour Vladimir Poutine. La République islamique avait instauré des 'corridors' de business et de sécurité avec la Russie, notamment sur le plan de l'armement militaire dans la région. Or, le rapport de force dans les négociations en cours entre l'administration américaine et la République islamique pourraient être complètement renversé, au détriment de l'intérêt russe."

Concernant la situation dans la région, Jason Brodsky, expert au Middle East Institute, s'attend à un statu quo: "Les Gardiens de la révolution rapportent au Guide suprême et assurent le contact avec le Hezbollah, les Houthis, le Hamas et les autres milices de la région. Le modus operandi et la grande stratégie de la République islamique restera la même", a-t-il expliqué à la BBC.

Accident ou attentat?

Même s'il dit ne pas "accréditer la thèse du complot", l'expert sur l'Iran Majid Gelpour s'interroge sur l'éventuelle intentionnalité du crash. "Aucun accident n'est hasardeux en Iran. Je ne peux donc pas affirmer qu'il n'y a pas un pouvoir étranger derrière cet évènement, qui aurait pu être programmé depuis maintenant plus de trois ans."

"Mais en même temps, en Iran, il y a souvent des problèmes techniques, un manque d'expertise, sans compter que les conditions météorologiques ne permettaient pas un tel décollage", nuance toutefois Majid Gelpour.

>> L'analyse de Siavosh Ghazi, correspondant à Téhéran, dans le 12h45 :

Le décès du président Ebrahim Raïssi ébranle la société iranienne. Le point avec Siavosh Ghazi, correspondant à Téhéran
Le décès du président Ebrahim Raïssi ébranle la société iranienne. Le point avec Siavosh Ghazi, correspondant à Téhéran / 12h45 / 1 min. / le 20 mai 2024

>> Voir toutes les réactions internationales : Deuil national, solidarité, condoléances... L'international réagit à la mort d'Ebrahim Raïssi

Victorien Kissling et Frédéric Boillat avec afp

Propos recueillis par Valérie Hauert

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Le vice-président Mohammad Mokhber désigné président par intérim

Le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, a désigné le vice-président Mohammad Mokhber comme président par intérim du pays, après le décès d'Ebrahim Raïssi.

Le vice-président Mohammad Mokhber désigné président par intérim de l'Iran. [AFP - -]
Le vice-président Mohammad Mokhber désigné président par intérim de l'Iran. [AFP - -]

"Conformément à l'article 131 de la Constitution, Mohammad Mokhbar est chargé de diriger le pouvoir exécutif" et il doit, en concertation avec les chefs des pouvoirs législatif et judiciaire, organiser "l'élection d'un nouveau président dans un délai maximum de 50 jours", a indiqué le chef de l'Etat dans un communiqué.

L'ayatollah Ali Khamenei a également décrété un deuil de cinq jours.

Un président ultra-conservateur

Toujours coiffé d'un turban noir et vêtu d'un manteau de religieux, le président Ebrahim Raïssi a mené depuis 2021 l'Iran dans un contexte troublé à l'international et de contestation interne avant de décéder brutalement.

Agé de 63 ans, l'ayatollah Raïssi était considéré comme l'un des favoris pour être élevé au poste le plus important de la République islamique, celui de Guide suprême, occupé depuis 35 ans par l'ayatollah Ali Khamenei, âgé de 85 ans.

Ebrahim Raïssi était considéré comme l'un des piliers des camps conservateur et ultraconservateur, qui contrôlent tous les leviers du pouvoir depuis 2020.

>> Voir le portrait d'Ebrahim Raïssi dans le 19h30 :

Depuis 2021, l'ultraconservateur Ebrahim Raïssi préside l'Iran, et pourrait succéder à l'actuel guide suprême de la Révolution islamique
Depuis 2021, l'ultraconservateur Ebrahim Raïssi préside l'Iran, et pourrait succéder à l'actuel guide suprême de la Révolution islamique / 19h30 / 1 min. / le 19 mai 2024

Elu en 2021

Se présentant comme le champion des classes défavorisées et de la lutte contre la corruption, il avait été élu le 18 juin 2021 dès le premier tour d'un scrutin marqué par une abstention record pour une présidentielle, et l'absence de concurrents de poids. Il avait succédé au modéré Hassan Rohani, qui l'avait battu à la présidentielle de 2017 et ne pouvait plus se représenter après deux mandats consécutifs.

Arrivé au milieu de son mandat, Ebrahim Raïssi était sorti renforcé des législatives tenues en mars, premier scrutin national depuis le mouvement de contestation qui a secoué l'Iran fin 2022 à la suite du décès de Mahsa Amini, une jeune femme arrêtée pour non-respect du code vestimentaire strict de la République islamique.

Le président iranien s'était alors félicité d'"un nouvel échec historique infligé aux ennemis de l'Iran après les émeutes" de 2022, faisant ainsi référence aux pays occidentaux et aux opposants installés à l'étranger.

Adversaire résolu d'Israël

Ces derniers mois, Ebrahim Raïssi s'était présenté comme un adversaire résolu d'Israël, l'ennemi juré de la République islamique, en apportant son soutien au mouvement islamiste palestinien Hamas depuis le début, le 7 octobre, de la guerre qu'Israël lui livre dans la bande de Gaza.

Il avait ainsi justifié l'attaque inédite lancée par l'Iran le 13 avril contre Israël, avec 350 drones et missiles, dont la plupart ont été interceptés avec l'aide des Etats-Unis et de plusieurs autres pays alliés.

Ebrahim Raïssi figurait sur la liste noire américaine des responsables iraniens sanctionnés pour "complicité de graves violations des droits humains", accusations balayées comme nulles et non avenues par les autorités de Téhéran.

Sans grand charisme et toujours coiffé d'un turban noir de "seyyed" (descendant de Mahomet), M. Raïssi, barbe poivre et sel et fines lunettes, a suivi les cours de religion et de jurisprudence islamique de l'ayatollah Khamenei.

Marié à Jamileh Alamolhoda, professeure de sciences de l'éducation à l'université Chahid-Béhechti de Téhéran, avec laquelle il a eu deux filles diplômées du supérieur, M. Raïssi était le gendre d'Ahmad Alamolhoda, imam de la prière et représentant provincial du Guide à Machhad, deuxième ville d'Iran.