Avant le début d'opérations terrestres "ciblées" au Liban, le décès de Hassan Nasrallah, chef emblématique du Hezbollah, avait marqué un premier point culminant dans la série d'actions spectaculaires qu'a entreprises Israël au cours des derniers mois.
Le vendredi 27 septembre, l'armée israélienne a localisé le haut dirigeant chiite dans la banlieue sud de Beyrouth et plus précisément dans un quartier général bunkerisé et enfoui sous un complexe d'appartements. Pour l'atteindre et pour être certain de l'éliminer, l'aviation aurait largué jusqu'à 80 bombes, selon des informations des médias israéliens.
Mais comment l'Etat hébreu a été en mesure de le localiser? Après l'intervention, les dirigeants israéliens se sont targués d'avoir su en tout temps où se trouvait Hassan Nasrallah. Samedi, le lieutenant-colonel Nadav Shoshani, porte-parole de Tsahal, a ainsi déclaré aux journalistes lors d'un briefing que l'armée avait une "connaissance en temps réel" des déplacements du leader du Hezbollah.
Pourtant, le secrétaire général et leader religieux du mouvement libanais était depuis longtemps sur ses gardes. Soupçonné de vivre essentiellement sous terre, dans un complexe de bunkers et de tunnels, il avait depuis la guerre de 2006 avec Israël réduit au maximum ses apparitions en public. De plus, un très petit nombre de personnes avait un accès direct au leader. Pour plusieurs experts, sa sécurité et sa clandestinité avaient sans doute encore été renforcées depuis l'explosion des bipeurs le 17 septembre dernier. Des précautions qui n'auront donc pas suffi à échapper à Israël.
Des guerres révélatrices
Ce n'est cependant pas la première fois que l'Etat hébreu essayait d'éliminer Hassan Nasrallah. Lors de la guerre de 2006, l'armée israélienne a ainsi tenté à au moins trois reprises de le tuer à l'aide de frappes aériennes. Par deux fois, les bombes n'ont pas réussi à percer le bunker du chef du Hezbollah, alors qu'une troisième frappe a pu traverser le béton armé, mais sans toucher sa cible, qui s'était déjà enfuie.
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Dans une longue enquête publiée dimanche, le Financial Times a pu interroger de nombreux responsables israéliens et spécialistes pour comprendre ce qui avait changé depuis 2006. Pour eux, la transformation majeure réside dans "la profondeur et la qualité des renseignements" sur lesquels Israël peut désormais s'appuyer. D'après eux, l'échec cuisant de 2006 a poussé Israël à "réorienter ses efforts de collecte" d'informations sur le Hezbollah. Pendant près de vingt ans, la direction du renseignement militaire et l'unité 8200, spécialisée dans le renseignement électromagnétique, se sont focalisées sur "de vastes quantités de données" afin de "cartographier la milice".
Interrogée par le célèbre quotidien britannique, Miri Eisin, une ancienne haute responsable du renseignement militaire, explique qu'il y a eu un véritable changement conceptuel dans l'approche. D'abord confinée à son volet militaire, l'étude du Hezbollah s'est développée pour saisir plus en profondeur sa politique, ses ambitions ou ses liens avec l'Iran.
Mais c'est toutefois un autre conflit qui a permis à Israël de récolter un maximum d'informations sur le mouvement: la guerre syrienne. En déployant ses forces en Syrie en 2012 pour soutenir le régime de Bachar al-Assad, le Hezbollah a en effet offert à Israël une occasion rêvée d’analyser son fonctionnement. Cette intervention a permis de récolter des informations stratégiques sur la chaîne de commandement, les promotions internes et les comportements douteux au sein de l’organisation. Bien que les combattants du Hezbollah aient gagné en expérience sur le terrain, la guerre prolongée a aussi fragilisé le groupe, en l'obligeant à recruter de nouveaux membres. Une occasion là aussi unique pour infiltrer le mouvement ou repérer de potentiels déserteurs.
La guerre en Syrie a ainsi mis à mal les systèmes de contrôle internes du Hezbollah. Les services de renseignement israéliens ont également tiré parti de données publiques en lien avec la guerre syrienne, comme les avis de décès et les funérailles, offrant un aperçu des réseaux internes du groupe. Cité par le Financial Times, un ancien responsable libanais ayant requis l'anonymat estime que cette perte de confidentialité a été le "prix" à payer pour le Hezbollah pour son soutien à Bachar al-Assad. Un soutien qui l'a de facto obligé à collaborer étroitement avec des services syriens souvent corrompus, mais aussi russes, la plupart du temps déjà placés sous surveillance par les Etats-Unis.
En d'autres termes, l'implication du Hezbollah dans la guerre syrienne s'est révélée être une véritable mine d'or en termes de renseignements humains pour Israël, qui ont sans doute été cruciaux, tant pour l'opération des bipeurs piégés que pour l'assassinat de Hassan Nassralah.
Une supériorité technologique écrasante
Outre le renseignement humain, Israël a aussi considérablement développé ses technologies de surveillance depuis 2006, jusqu'à acquérir une supériorité écrasante sur le Hezbollah.
A l'aide de satellites espions, de capacités de piratage ou de drones discrets et sophistiqués, l'Etat hébreu peut transformer des téléphones portables en dispositifs d'écoute. Une vaste collecte de données est alors gérée par des unités spécialisées, comme l'unité 9900, qui doit même concevoir des algorithmes dédiés pour analyser et trier l'énorme quantité d'images et d'autres informations afin de détecter des "anomalies", qui peuvent prouver la construction de bunkers ou encore la présence d'engins explosifs improvisés.
Les responsables israéliens contactés par le Financial Times expliquent que lorsqu'un agent du Hezbollah est identifié, ses habitudes sont intégrées à une base de données. Les informations peuvent provenir de multiples sources: micros dans les téléphones, dans les télécommandes de TV connectées, caméras de surveillance piratées ou drones survolant la zone. Un simple changement de la routine de la personne surveillée peut alors déclencher une alerte.
Cette stratégie, bien que lente à mettre en place, a permis à Israël de constituer une immense base de "cibles potentielles". Selon les experts, lors des trois premiers jours de sa campagne aérienne contre le Hezbollah, Tsahal a ainsi frappé jusqu'à 3000 cibles, selon les déclarations officielles de l'armée israélienne.
Conscient de cet avantage gigantesque, le Hezbollah a essayé de se tourner vers de la technologie de basse intensité pour échapper aux radars israéliens: les bipeurs et les talkie-walkies, avec le résultat que l'on connaît.
Pointés du doigt pour ne pas avoir su anticiper l'attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre 2023, les services secrets israéliens semblent donc pour l'instant très efficaces dans le cas du Hezbollah, tant en ce qui concerne le renseignement humain, que cyber, d'imagerie ou encore l'interception des communications électroniques.
Un Hezbollah déboussolé mais toujours dangereux
Au cours des derniers jours, Israël a donc été capable de décapiter une grande partie des leaders et officiels importants du Hezbollah. La plupart des experts décrivent un mouvement déboussolé et désorganisé depuis les frappes de l'Etat hébreu.
Grand allié et financier du Hezbollah, la République islamique d'Iran serait en train d'essayer de stabiliser la situation. Interrogés par le New York Times, deux Gardiens de la Révolution ont déclaré de manière anonyme au grand quotidien américain que Téhéran tentait de "remettre sur pied" le mouvement chiite, en l'aidant à nommer un successeur à Hassan Nasrallah, en reconstruisant une nouvelle structure de commandement et surtout en créant un nouveau réseau de communications plus sûr.
L'Iran hésite sur le niveau de son engagement auprès de son allié libanais, la préservation de son régime restant sa priorité. Sonné, le Hezbollah se retrouve donc en position difficile face aux troupes israéliennes. Mais "le Parti de Dieu" dispose encore de ressources. Selon les estimations américaines et israéliennes, il comptait près de 40'000 combattants avant l'escalade actuelle, un réseau de tunnels très dense proche de la frontière israélienne et un stock d'armes bien supérieur à celui du Hamas.
"Le Hezbollah n’a pas disparu au cours des 10 derniers jours – nous l'avons frappé fortement et il est actuellement dans une phase de chaos (...) mais il dispose encore de nombreuses capacités très menaçantes", conclut ainsi Miri Eisin dans le Financial Times.
Tristan Hertig