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Le président argentin Javier Milei s'attaque aux organisations d'aide sociale

Les soupes populaires nécessaires à la survie des personnes pauvres et défavorisées des bidonvilles d'Argentine ont été suspendues par les réformes pro-austérité du gouvernement d'extrême-droite néolibérale de Javier Milei, et près de 5'000 tonnes de denrées alimentaires qui pourrissent sont aujourd'hui enfermées dans des entrepôts depuis 6 mois. [Keystone/AP Photo - Rodrigo Abd]
L'offensive du président argentin contre les organisations sociales / Tout un monde / 3 min. / mercredi à 08:14
Le président argentin Javier Milei a lancé une offensive judiciaire contre ce qu'il appelle "le négoce de la pauvreté", visant directement les organisations d'aide sociale. Dans les quartiers populaires, ces organisations représentent le dernier recours pour des millions d'Argentins touchés par la crise.

Il est à peine midi, mais déjà de nombreuses personnes attendent devant la lourde porte coulissante de Viviana Rodriguez. "Il y a une trentaine de personnes qui viennent et chacune emporte trois, quatre, sept, jusqu'à huit repas", explique-t-elle dans l'émission de la RTS Tout un monde.

Chaque samedi, cette habitante du quartier Carlos Mugica, le plus grand bidonville de Buenos Aires, organise une distribution de repas dans sa maison, qui fonctionne également comme centre communautaire affilié à l'organisation sociale Libres del Sur.

Parmi celles et ceux qui tendent leur tupperware devant la grande casserole, on trouve de nombreux retraités, mais aussi des mères de famille comme Sandra. "Cela fait peu de temps que je viens ici, à cause de la situation sociale et économique. Je travaille sur le marché du quartier, mais cela ne suffit pas, il faut réussir à survivre. J'ai des enfants et je dois les nourrir", confie-t-elle.

Plus de la moitié de la population dans la misère

Depuis l'élection de Javier Milei à la présidence, en novembre dernier, les nouvelles têtes se multiplient chez Viviana Rodriguez. La récession économique et la politique d'austérité du gouvernement ont fait basculer près de trois millions d'Argentins dans la pauvreté en six mois, selon l'Université catholique argentine.

>> Relire : La classe moyenne argentine ébranlée par Javier Milei, après l'avoir plébiscité dans les urnes

Désormais, 55% de la population vit dans la misère, un chiffre inédit depuis la grande crise de 2001, époque à laquelle Viviana Rodriguez s'était installée dans la capitale de l'Argentine. "Quand je suis arrivée à Buenos Aires seule avec mes deux petites sœurs, j'ai appris à dormir dans la rue, et j'ai vu les gens fouiller les poubelles pour trouver quelque chose à manger. Et aujourd'hui, tout est pareil, on est revenu à cette époque que j'ai connue dans ma jeunesse", se souvient-elle.

L'aide alimentaire suspendue

En dépit de cette situation sociale critique, Javier Milei a suspendu en décembre l'aide alimentaire aux quelque 45'000 soupes populaires du pays, sous prétexte de mener un audit des organisations sociales qui les font fonctionner.

"Depuis l'arrivée du nouveau gouvernement, rien ne va plus pour moi, Avec le peu de nourriture que je trouve, je peux seulement faire une distribution de repas le samedi. Avant, on faisait le mercredi, le vendredi et le samedi. J'essaie de trouver de l'aide dans le quartier, mais je n'y arrive pas. C'est vraiment très triste", déplore Viviana Rodriguez.

Le gouvernement garde plein de nourriture dont j'aurais besoin!

 Viviana Rodriguez, organisatrice d'une distribution de nourriture à Buenos Aires

La situation a pris un tournant dramatique lorsque, fin mai, une enquête journalistique a révélé que le gouvernement retenait depuis six mois plus de 5000 tonnes de denrées alimentaires dans des entrepôts, au risque de les laisser se périmer. "Le gouvernement garde plein de nourriture dont j'aurais besoin! Combien en ont-ils? J'ai besoin de cette farine, j'ai besoin de ce lait, j'en ai besoin! Pourquoi ne les distribuent-ils pas?", s'indigne-t-elle.

La justice argentine est finalement intervenue pour obliger le gouvernement à distribuer sans délai l'aide alimentaire en sa possession. De son côté, l'exécutif s'est justifié en affirmant que son audit avait révélé que la moitié des soupes populaires n'existait en réalité pas.

>> Relire aussi : Le gouvernement argentin sommé par un juge de distribuer de l'aide alimentaire aux plus démunis

Le "négoce de la pauvreté"

Pour Natalia Undiciatti, membre de Libres del Sur, le gouvernement est de mauvaise foi. "La réalité, ce n'est pas que les soupes populaires n'existent pas, c'est qu'elles ne peuvent plus affronter leurs charges. Payer un loyer quand on ne reçoit plus de nourriture, c'est impossible. Beaucoup de centres communautaires ont fermé et le gouvernement utilise cela pour dire qu'il y a des centres fantômes."

Le gouvernement n'en démord pas et sa croisade contre le "négoce de la pauvreté" et les organisations sociales a conduit mi-mai à des perquisitions et des actions judiciaires contre ces "soupes populaires fantômes" pour détournement de l'aide sociale.

Cela nous a fait beaucoup de mal, car c'est vrai qu'il y a des malversations, mais il y a aussi ceux qui font bien les choses et qui aujourd'hui sont ceux qui maintiennent la situation à bout de bras

Natalia Undiciatti, membre de Libres del Sur

Si Natalia Undiciatti admet que des malversations peuvent exister, elle regrette que cela jette l'opprobre sur les organisations sociales dans leur ensemble. "Cela nous a fait beaucoup de mal, car c'est vrai qu'il y a des malversations, mais il y a aussi ceux qui font bien les choses et qui aujourd'hui sont ceux qui maintiennent la situation à bout de bras."

Les organisations sociales sont nées de la crise économique et de l'explosion sociale de 2001, marquée par des pillages et des affrontements avec la police qui ont fait plus de 30 morts.

>> Revoir le sujet du 19h30 sur la politique d'austérité menée en Argentine :

En Argentine, les premiers effets de la politique d'austérité du président Javier Milei se font sentir
En Argentine, les premiers effets de la politique d'austérité du président Javier Milei se font sentir / 19h30 / 2 min. / le 7 janvier 2024

Théo Conscience/vajo

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