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"Le rapprochement avec la Russie fait partie de la stratégie de la Corée du Nord"

Geopolitis
Corées, l’impasse / Geopolitis / 27 min. / demain à 13:15
Entre tirs de missiles, ballons d’ordures et démonstrations de force, les menaces entre Corée du Nord et Corée du Sud sont à nouveau montées d'un cran. En se rapprochant de la Russie, Pyongyang confirme sa volonté de développer toujours plus son arsenal militaire et nucléaire.

Depuis son accession au pouvoir, Kim Jong-un a procédé à plus de 250 tirs de missiles, bien plus que son père et son grand-père réunis. A lui seul, ce chiffre laisse entrevoir les ambitions militaires du leader nord-coréen. Ces dernières années, il a accéléré ses tests d'armement, y compris des essais de missiles intercontinentaux et de missiles hypersoniques. Pyongyang affirme avoir déployé 250 lanceurs de missiles balistiques à sa frontière méridionale.

Lorsque Kim Jong-un est arrivé au pouvoir en 2011, il a mis en place "une ligne politique et stratégique qui s'appelle le pyonjin", ce qui équivaut à "développer conjointement la capacité militaire et l'économie", rappelle dans Géopolitis Valérie Gelézeau, géographe spécialiste de la Corée du Nord. "C'est quelque chose qui avait été déjà lancé par son grand-père Kim Il-sung, mais qui prend là une dimension particulière, parce que la Corée du Nord, dans une certaine mesure, se sent vulnérable", poursuit la directrice d'études à l'EHESS.

Sur le volet nucléaire, Valérie Gelézeau souligne d'une part la volonté du régime de développer son arsenal militaire, mais aussi un programme civil "en réponse à des problèmes d'énergie très importants". En moins de 10 ans, la Corée du Nord a multiplié par dix son stock d’ogives nucléaires, passant de 5 en 2016, à 50 actuellement. Le pays a récemment montré, pour la première fois, des images de ses installations d'enrichissement d'uranium.

En moins de 10 ans, la Corée du Nord a multiplié par dix son stock d’ogives. [RTS - Géopolitis]
En moins de 10 ans, la Corée du Nord a multiplié par dix son stock d’ogives. [RTS - Géopolitis]

Kim et Poutine, une nouvelle ère

En juin dernier, Pyongyang avait réservé à Vladimir Poutine un accueil à la hauteur de leurs nouvelles relations. Sous sanctions internationales, les deux dirigeants viennent de signer un accord de coopération militaire qui prévoit une assistance mutuelle en cas d’agression. Le président russe n'a pas exclu la possibilité de fournir des armes à la Corée du Nord. Selon Séoul, Pyongyang aurait déjà livré quelque 7000 conteneurs d'armes à la Russie pour sa guerre contre l'Ukraine.

Alors comment comprendre ce rapprochement avec la Russie ? "L'Union soviétique était un pays frère, qui a contribué par son aide militaire, par ses techniciens, à la construction de l'Etat socialiste nord-coréen", souligne Valérie Gelézeau, en rappelant que l'URSS et la Corée du Nord ont aussi entretenu "des relations économiques pendant très longtemps, jusqu'au début des années 1990."

"Le rapprochement avec la Russie fait partie de la stratégie toute particulière de la Corée du Nord, qui joue en fait avec ses deux grands voisins/amis, mais en jouant parfois de l'un contre l'autre", poursuit la chercheuse qui évoque l'intérêt pour la Corée du Nord de renforcer ses relations avec la Russie, lorsque celles-ci se dégradent avec la Chine, et vice versa. "En l'occurrence, puisque le développement nucléaire de Pyongyang pose un problème à la Chine, ce rapprochement avec la Russie est intéressant", dit-elle. Sans oublier "l'intérêt de Poutine à se rapprocher également de la Corée du Nord."

Séoul sur pied de guerre

En guise de représailles à l’envoi de prospectus anti-Kim par des militants sud-coréens, Pyongyang a envoyé ce printemps des centaines de ballons remplis d'ordures et d'excréments d’animaux en Corée du Sud. Certains ont même atteint le palais présidentiel. Les campagnes de propagande par haut-parleurs continuent aussi au nord comme au sud.

Séoul a repris ses exercices à balles réelles près de la frontière. L'an dernier, la Corée du Sud organisait son premier défilé militaire depuis 10 ans. Dans ses dernières manœuvres militaires annuelles conjointes avec les Etats-Unis, le nombre de soldats a doublé. Principal allié de Séoul en matière de sécurité, Washington continue de lui livrer des armes et des équipements militaires. Quelque 28'500 militaires américains sont toujours stationnés dans le pays.

>> Présence militaire américaine en Corée du Sud : Camp Humphreys, en Corée du Sud, est la plus grande base militaire américaine à l'étranger. [RTS - Géopolitis]
Camp Humphreys, à 60 km de Séoul, est la plus grande base militaire américaine à l'étranger. [RTS - Géopolitis]

L'actuel président sud-coréen Yoon Suk-yeol adopte une ligne plus dure vis-à-vis de Pyongyang, rompant avec la politique de dialogue amorcée par son prédécesseur, le progressiste Moon Jae-in. "Yoon Suk-yeol ne fait que poursuivre finalement le retour en arrière qui a succédé à la grande période de rapprochement entre les deux Corées, 1998-2008, et qui avait été initié par des gouvernements plus progressistes", précise Valérie Gelézeau.

En 2018, le rapprochement historique entre Séoul et Pyongyang, puis entre Pyongyang et le grand ennemi américain, avaient permis l'espoir d'une réconciliation. Mais l'échec des négociations, notamment du sommet de Hanoï entre Kim Jong-un et Donald Trump, a ravivé le climat hostile. Les rêves de réunification semblent bien loin. Après l’armistice de la guerre de Corée en 1953, aucun traité de paix n’a été signé. Nord et Sud sont toujours techniquement en guerre. 

Mélanie Ohayon

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