Le nouveau président iranien Massoud Pezeshkian s’est rendu à Bagdad ce mercredi pour sa première visite à l’étranger. Il a signé quatorze protocoles d’accord avec l’Irak, notamment dans le domaine de l’éducation, l’agriculture et des ressources naturelles. Ce réformateur modéré a pris ses fonctions fin juillet, après avoir remporté les élections anticipées à la suite du décès de son prédécesseur Ebrahim Raïssi dans le crash de son hélicoptère en mai dernier.
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Massoud Pezeshkian s’est engagé à consolider les relations avec ses voisins afin d’atténuer l’isolement international de l’Iran et limiter l’impact des sanctions américaines sur son économie.
Un pays exsangue
L’Iran subit depuis des années des sanctions occidentales, en particulier depuis le retrait unilatéral des Etats-Unis en 2018 de l’accord international sur le nucléaire iranien, sous la présidence de Donald Trump. L’économie du pays traverse une crise aiguë. "Le régime accuse les sanctions qui ne sont pas sans effet évidemment sur l'économie, mais en réalité le mal est plus profond", estime David Rigoulet-Roze, chercheur attaché à l'Institut français d'analyse stratégique, dans l’émission Géopolitis, avant de préciser que ce mal "est aussi dû à l'incurie de la gouvernance du régime, à la corruption. Cette situation, à laquelle s’ajoute une pression extérieure avec les sanctions, fait que la situation économique est absolument désastreuse."
L’Iran fait en effet face à une inflation qui avoisine les 40% sur base annuelle, à un chômage élevé et à la dépréciation record du rial, la monnaie nationale, par rapport au dollar. La précarité augmente, la population est lasse et en colère. Particulièrement la jeune génération, selon le spécialiste du Moyen-Orient: "Cette jeunesse est totalement désabusée, elle ne croit plus du tout en la politique, contrairement à ses parents. Il y a la perception que le régime n'est pas réformable. Le pouvoir iranien gouverne un peu hors sol d’une certaine manière et c'est cette déconnexion évidemment qui accentue les clivages et le désespoir de la population."
Un mécontentement qui s’exprime toujours plus ouvertement, malgré la répression. "Le régime est, entre guillemets, condamné" sur le fond, mais il tient grâce à la répression, surtout parce qu'il n’y a pas d'alternative politique qui serait susceptible de le remplacer pour l'instant", analyse David Rigoulet-Roze.
L’épineuse question de la succession
Candidat acceptable et accepté par le régime, Massoud Pezeshkian dispose de peu de marge de manœuvre dans un système politique verrouillé. En Iran, "le président n'a quasiment pas de pouvoir, il est en vérité le président exécutif au sens stricto sensu, c'est-à-dire qu’il exécute des directives qui ne peuvent pas s'éloigner de celles formulées par le guide (…) En dernier ressort toutes les questions stratégiques sont déterminées par celui-ci", explique le chercheur associé à l'IRIS.
C’est le guide suprême qui détermine les grandes lignes politiques du pays, commande les forces armées, nomme le responsable du pouvoir judiciaire et les chefs de l’appareil sécuritaire et militaire, dont le commandant du puissant corps des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique du régime. Il nomme aussi la moitié des membres d’un organe central, le Conseil des gardiens, qui contrôle les lois votées par le Parlement et valide les candidatures pour les élections présidentielles et législatives.
L’ayatollah Khamenei, 85 ans, occupe cette fonction depuis 1989, après la mort du fondateur de la République islamique, l’ayatollah Khomeini. "Le véritable enjeu, c'est sa succession: qu'est-ce qui va se passer après sa disparition? Les tensions internes au système affleurent de manière discrète mais elles sont très fortes pour savoir comment pérenniser le régime au moment de sa disparition", analyse David Rigoulet-Roze.
Natalie Bougeard et Elsa Anghinolfi
Où en est le programme nucléaire iranien ?
L’Iran continue d’accroître ses capacités nucléaires, a estimé en juin l’Agence internationale de l’énergie atomique. Selon l’AIEA, l’Iran est le seul Etat non doté d’armes nucléaires à enrichir de l’uranium jusqu’au niveau élevé de 60%, tout en continuant à accumuler d’importants stocks de ce matériau. "Aujourd'hui, avec l'augmentation des stocks d'enrichissement 30 fois supérieurs à la limite autorisée et notamment à un degré de 60% - qui permet très rapidement de passer au stade militaire de 90% - théoriquement, sur le plan technique, la question de la fabrication d'une bombe est possible. Ce n'est plus un problème technique, c'est une décision politique… qui n'aurait pas été prise, mais cela inquiète évidemment tout le monde", explique David Rigoulet-Roze.
L’accord de Vienne, signé en juillet 2015, avait permis de contenir et stabiliser le programme nucléaire iranien à un niveau bien plus bas qu’aujourd’hui. Le retrait américain de l’accord, annoncé par Donald Trump en mai 2018, a eu pour effet de relancer les activités nucléaires de la République islamique. Depuis, elle enrichirait l’uranium bien au-delà du seuil des 3.67% négociés lors de l’accord et possède bien plus d’uranium que la quantité imposée.
Le pays aurait désormais assez de matière pour produire plusieurs bombes. "L'enjeu est considérable en termes de déstabilisation et de prolifération, parce qu'évidemment cela impliquerait des conséquences au niveau régional avec un phénomène de mimétisme potentiel de la part d'autres pays et donc une logique de prolifération et d'instabilité régionale renforcée", s’inquiète le spécialiste.
Les informations sur le dossier nucléaire sont "un trou noir" puisque l’Iran a drastiquement restreint sa coopération avec l’AIEA: les inspections ont été réduites depuis quelques années, les caméras de surveillance débranchées, l'accréditation d'experts retirée en septembre dernier. Le directeur de l'AIEA, Rafael Grossi, espère pouvoir s'entretenir avec le président iranien Massoud Pezeshkian d'ici novembre afin d'améliorer la coopération entre l'Iran et l'agence onusienne.