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Le vieillissement de la population, bombe à retardement en Chine

Le vieillissement de la population, bombe à retardement en Chine. [NURPHOTO VIA AFP]
La Chine va devoir s'occuper de 450 millions de seniors dans les campagnes / Tout un monde / 6 min. / le 26 août 2024
La Chine a annoncé son intention de renforcer la sécurité sociale pour les personnes âgées et de développer l'industrie des soins du troisième âge. Alors qu'un Chinois sur cinq a plus de 60 ans et que ce chiffre va encore augmenter, les experts annoncent une crise démographique, notamment dans les campagnes.

"Je ne me souviens plus de mon année de naissance. Mon cerveau s'embrume parfois. Je suis âgée, vieille et solitaire. Je vis seule ici. Mon sort est si misérable": recueilli en 2019 par une chaîne de télévision australienne, le témoignage de Kang Zhifan a refait surface sur les réseaux sociaux chinois le printemps dernier avant de disparaître.

Le sort de cette femme, fervente partisane de la révolution communiste de Mao Zedong à l'époque, a suscité de nombreuses réactions en ligne. "La mère patrie m'a oubliée, malgré ma dévotion. Le pays m'a négligé. Le pays aurait dû prendre soin de moi depuis longtemps. J'ai toujours soutenu les politiques nationales. Notre pays est devenu si riche. Comment se fait-il que je sois si pauvre?", s'interrogeait Kang Zhifan.

Peu après le décès de son mari, son fils a été emporté par un accident de la route. "Là, au fond, c'était son lit. Je pleure chaque fois que je le regarde… Mon fils, où es-tu?", disait-elle en larmes.

Un fardeau pour les jeunes générations

La tradition qui veut que la descendance prenne soin des aînés est mise à mal par la chute drastique des naissances, accentuée par la politique de l'enfant unique abolie en 2015. Un seul individu est chargé de s'occuper de ses parents, voire de ses grands-parents, un fardeau qui pèse lourdement sur les jeunes générations, souvent parties vivre en ville. En Chine, trois quarts des 280 millions d'individus de plus de 60 ans vivent à la campagne.

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Ye Yizhi vit lui à Hangzhou, à l'est de la Chine. Ce vétéran de l'armée, frappé par la maladie d'Alzheimer, a quitté son village il y a cinq ans pour emménager chez sa fille unique. "Je dois prendre beaucoup de médicaments. Mais je n'arrive pas à les distinguer les uns des autres, alors elle doit m'aider à les trier et à les prendre chaque matin et tout au long de la journée. C'est un vrai travail; elle est sous pression. De mon point de vue, c'est désolant pour elle. Mais on n'a pas le choix", témoigne-t-il lundi dans l'émission de la RTS Tout un monde.

 Nous sommes allés visiter une maison de retraite près d'ici (...) Mais c'est beaucoup trop cher, entre 3000 et 4000 francs par mois

La fille de Ye Yizhi

Sa fille n'a pas hésité à sacrifier sa carrière pour le soigner. "J'ai 45 ans. À cet âge, je ne retrouverai jamais une position de manager. Et personne ne m'engagera pour un emploi moins qualifié. Mais c'est comme ça. Avec mon mari, on en avait les moyens et avec cette maladie mon père a besoin d'être encadré par la famille. Je dois l'aider, c'est mon père", raconte-t-elle.

Avec une maigre pension, la couverture médicale de son père ne prend en charge qu'à peine 15% des frais de santé. Proche-aidante à plein temps, elle avoue être fatiguée: "C'est difficile de s'organiser autrement. Nous sommes allés visiter une maison de retraite près d'ici. L'environnement était vraiment très bon: beaucoup de verdure - des montagnes au loin, les plantations de thé, une bonne qualité de l'air… Mais c'est beaucoup trop cher, entre 3000 et 4000 francs par mois."

Peu de maisons de retraite dans les campagnes

Les publicités pour des institutions privées de luxe, proposant confort, cuisine raffinée et activités à la carte, s'affichent jusque dans les stations de métro. Les investisseurs ont saisi l'opportunité offerte par le vieillissement accéléré de la population et la chute des naissances. Les autorités encouragent aussi le développement des structures destinées au troisième âge, mais les zones rurales, qui concentrent la majeure partie des besoins, restent à la traîne.

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M.Jian, qui gère une petite maison de retraite dans la province du Jiangsu, explique: "Nous avons vingt chambres. Une vingtaine de personnes vivent maintenant ici."

Les conditions sont rudimentaires: des murs nus, un sol en béton, une cuisine sommaire et des pensionnaires souvent alités à plusieurs dans une pièce. "Là, c'est la salle de bain commune. Ça suffit: ils n'ont pas besoin de se doucher tous les jours. Les personnes âgées ne transpirent pas. Elles ne sont pas comme nous. Elles ne bougent pas beaucoup."

Malgré des conditions loin d'être idéales, M.Jian se défend: "Sans aide des autorités ou d'investisseurs, difficile de faire mieux."

Une petite maison de retraite dans la province du Jiangsu en Chine. [MICHAEL PEUKER]
Une petite maison de retraite dans la province du Jiangsu en Chine. [MICHAEL PEUKER]

"Beaucoup d'institutions défaillantes"

Avec des tarifs de 300 à 400 francs par mois, cette maison de retraite reste relativement abordable pour les familles. "Le processus à suivre pour ouvrir une maison de retraite est relativement simple, explique M.Jian. On obtient facilement un certificat en s'inscrivant en ligne. Beaucoup d'institutions sont défaillantes, ne répondent pas aux critères. Mais les gens sont quand même mieux là que dans leurs pauvres maisons. Les autorités ferment donc les yeux sur certains manquements, abaissent les standards. Les pensionnaires sont toujours mieux encadrés ici que chez eux."

Seules, précarisées et parfois abandonnées, les personnes âgées en milieu rural connaissent un taux de suicide bien plus élevé que toutes les autres tranches d'âge en Chine.

En 2013, une loi a été adoptée, obligeant les enfants à veiller à l'état de santé physique et psychologique de leurs parents sous peine d'amende. Cependant, cette mesure ne résout pas le problème du vieillissement à long terme. D'ici à dix ans, les plus de 60 ans seront près de 450 millions, soit 35% de la population. Un défi colossal pour les autorités, surtout dans un contexte de ralentissement économique accéléré.

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Michael Peuker/vajo

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