Les civils à Gaza sont "privés de leur dignité humaine", témoigne le médecin de guerre Raphaël Pitti
Raphaël Pitti revient de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, où il a travaillé dans l'Hôpital européen. Il a également pu se rendre plusieurs fois dans la ville de Rafah, un peu plus au sud, où ont fui plus d'un million de Palestiniens. Le médecin explique que les habitants de cette ville vivent "dans une situation d'extrême pauvreté".
"Ils font la queue pour toute chose. Ils font la queue pour le pain, pour avoir de l'eau. Ils sont dans une situation de dénuement terrible. Ils vivent sur des trottoirs, ils ont créé des abris sur tous les espaces libres. La ville est sale. Les immondices ne sont pas ramassées parce que 1,4 million de personnes vivent dans cette ville qui était prévue pour 250'000 personnes à la base. Les évacuations sont bouchées, avec la pluie, ça stagne de tous les côtés. Les gens ne peuvent pas se laver. C'est une situation catastrophique sur le plan humanitaire. "
Il y a pire que de tuer quelqu'un, c'est de lui enlever sa dignité humaine, et c'est ce qui est en train de se passer à Rafah
Le médecin emploie des mots forts: "Je n'arrête pas de dire qu'il y a pire que de tuer quelqu'un, c'est de lui enlever sa dignité humaine, et ça, c'est vraiment ce qui est en train de se passer. On est en train de déshumaniser cette population de 1,4 million de personnes. Vous avez des gens de très haut niveau, vous avez des avocats, des médecins, qui sont dans cette situation-là et qui ne sont pas habitués à vivre dans cette grande précarité".
Nombreuses amputations
Raphaël Pitti détaille également les conditions extrêmement précaires de l'hôpital dans lequel il a travaillé à Khan Younès. "Nous étions la seule structure sur le plan médical. De fait, il était impossible pour cet hôpital d'assurer les besoins sanitaires de base de la population, liés aux maladies saisonnières, au froid, aux infections, aux maladies chroniques, tout en recevant les victimes des bombardements, des snipers, des drones tueurs, etc".
Toutes les plaies du crâne, toutes, étaient condamnées à mourir. Tous les blessés très graves étaient condamnés à mourir
"C'était un chaos véritable, dans lequel on ne peut pas soigner. Vous êtes dans une situation où vous recevez des patients, vous devez essayer de les stabiliser, puis de les traiter. Dans ce cas-là, et compte tenu du peu de moyens dont vous disposez, le tri donne la chance à celui qu'on peut vraiment sauver. C'est ainsi que toutes les plaies du crâne, toutes, étaient condamnées à mourir. Tous les blessés très graves étaient condamnés à mourir."
L'hôpital ne compte que six lits de réanimation, explique Raphaël Pitti. "Donc dans votre triage, du fait même du nombre de patients, il y a des morts qu'on laisse, qu'on abandonne à eux-mêmes. D'abord parce qu'on n'a pas les moyens de réparer. Il est beaucoup plus simple de mettre un fixateur externe que d'envisager de réparer une artère. On ampute très rapidement. On coupe plus qu'on ne traite."
Pire qu'en Syrie
Raphaël Pitti est habitué à exercer dans des conditions de guerre. Il a travaillé en Ukraine, où le système hospitalier arrive globalement à suivre, et en Syrie. Selon lui, la situation à Gaza n'a rien à voir. "En Syrie, nous gardions la possibilité d'évacuer sur la Turquie, et la Turquie prenait sans rechigner tous les blessés très graves que nous ne pouvions pas traiter. D'une certaine manière, on donnait plus de chances aux gens."
Les Israéliens ne laissant pas sortir les blessés graves, vous avez énormément de gens qui meurent de manière illégitime
"Là, non. Impossible d'évacuer. Les Israéliens s'y sont opposés totalement. Le bateau hôpital français n'a reçu qu'environ cent victimes en tout, et des victimes secondaires, les Israéliens ne laissant pas sortir les blessés graves. Vous avez donc énormément de gens qui meurent de manière illégitime. "
Mourir faute de traitements de base
"Sans parler des effets collatéraux, c'est-à-dire des pathologies aiguës et chroniques." Et de prendre en exemple l'histoire d'une jeune femme de 24 ans, diabétique, enceinte de sept mois. Ne pouvant pas réguler son taux d'insuline, elle a basculé dans le coma, avant de perdre son enfant et de décéder le lendemain.
"Il n'y a plus de traitement pour les diabétiques, il n'y a pas de radiothérapie pour les patients cancéreux, il n'y a pas de traitement pour les épileptiques, pour les hyper-tendus. Il y a donc beaucoup de gens qui meurent du fait d'absence de possibilité de traitement et de suivi pour eux."
Propos recueillis par Renaud Malik
Version web: Antoine Schaub