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Les dirigeants de l’UEFA ménagent un directeur épinglé pour sexisme

UEFA: les dirigeants ont couvert un cadre accusé de sexisme aggravé
UEFA: les dirigeants ont couvert un cadre accusé de sexisme aggravé / Forum / 3 min. / le 7 février 2024
Une enquête externe suggérait de licencier un haut cadre, notamment pour ses nombreux sous-entendus à caractère sexuel. Mais les patrons du football européen ont écarté cette recommandation. Les révélations du Pôle enquête de la RTS.

A l'UEFA, le respect, c'est sacré. Le président de l'instance dirigeante du football européen, le Slovène Aleksander Ceferin, l'écrivait encore dans le "Rapport de l’UEFA sur le respect" 2021-22 : "Ces temps troublés nous rappellent avec acuité que le monde est bien meilleur lorsque nous savons véritablement nous soucier et être à l'écoute les uns des autres. Sans respect et compréhension mutuels, jamais nous ne pourrons surmonter les problèmes qui menacent l'humanité."

Ces paroles, l’UEFA semble pourtant les avoir oubliées dans une histoire qui fait beaucoup de bruit à l'interne. Cette affaire met en cause un de ses directeurs les plus puissants, mais rejaillit sur ses deux plus hauts responsables, le président Aleksander Ceferin et le secrétaire général Theodore Theodoridis, successeur de Gianni Infantino, devenu président de la FIFA en 2016.

L'affaire, jamais médiatisée à ce jour, est assez simple à résumer: une assistante dénonce officiellement l'attitude de son chef; l'UEFA ordonne une enquête externe; les experts mandatés recommandent de licencier le directeur ou de lui retirer ses attributions managériales; l'UEFA ne tient aucunement compte de ces recommandations.

Selon les informations recoupées du Pôle enquête de la RTS, le scandale éclate en 2019 lorsque l'assistante du directeur, qui travaille sous ses ordres depuis environ un an, se plaint de son comportement. La direction de l'UEFA, dont le siège social est à Nyon, dans le canton de Vaud et qui emploie plus de 700 personnes, semble prendre le cas au sérieux.

Il faut dire que dans la maison, sur le papier en tout cas, on ne badine pas avec la conduite. En 2017, l'instance a ainsi adopté des "Directives relatives à la gestion des conflits sur le lieu de travail et à la lutte contre le harcèlement au sein de l’UEFA", un document de cinq pages paraphé par le secrétaire général.

"Il lui arrivait de pleurer"

Après la plainte de l'assistante, la direction envoie donc à plusieurs employés, principalement des femmes, une "convocation à une audition".

"Suite à des allégations d'un collaborateur, la direction a pris la décision de procéder à une enquête administrative", écrit-elle dans sa lettre. "La direction se doit de vérifier si le cadre de travail est adéquat et protège la personnalité de ses collaborateurs, et si le devoir de loyauté/fidélité est appliqué et respecté. Afin de mener cette procédure dans de bonnes conditions et d'assurer tant une distance qu'une neutralité adéquate, il a été décidé de confier cette enquête administrative à un organisme externe représenté par Mme Isabelle Fiset et M. Marc Rosset."

L'UEFA transmet une quinzaine de noms aux enquêteurs. Entre octobre et novembre 2019, tous ces employés sont convoqués à Prangins, dans un hôtel situé à quatre kilomètres du siège de l'organisation faîtière de plus de cinquante associations nationales de football. Un des deux enquêteurs pose les questions, un greffier prend le procès-verbal et le collaborateur convoqué doit le signer après avoir relu ses propos. Certains interrogatoires sont menés par une femme et un homme pour éviter les accusations de parti pris.

Devant les experts, l'assistante dit être isolée, marginalisée et dénigrée. Elle fait aussi état de propos à connotation sexuelle. Comme la fois où elle aurait pris place près de son chef en séance et où il lui aurait demandé si elle lui faisait des avances. Il y a aussi la fois où elle lui aurait demandé son timbre de signature. Il lui aurait alors suggéré de se le tamponner sur le front pour que les gens sachent qu'elle lui appartenait. Des propos contestés par le principal intéressé en cours d'enquête. Devant les enquêteurs, plusieurs collègues de l'assistante décrivent une femme "terrorisée", "renfermée", "il lui arrivait de pleurer", "on voyait sur son visage qu'elle n'allait pas bien".

"Cette blondasse ne sait rien faire"

Aux yeux des personnes en charge des interrogatoires, les actes du directeur ont porté atteinte aux droits de la personnalité de l’assistante et eu des conséquences sur son état de santé. Les enquêteurs considèrent également qu'à plusieurs reprises, face à elle mais aussi devant des tiers, il a fait des remarques sur son apparence physique ou des sous-entendus à caractère sexuel. Un constat contesté par le directeur.

Après avoir auditionné plus de quinze employés, les investigateurs se forgent la conviction que ce haut cadre n'a pas dérapé qu'avec son assistante, mais qu'il a une manière très singulière de parler de ses subordonnés. Les exemples sont nombreux. Il y aurait cette employée traitée de "gouine" à la cafétéria, cette autre qui serait "psychorigide", une autre encore "qui ne dirait pas non", celle-ci dont, "de toute façon, personne ne veut", mais aussi celle qui est "vraiment trop moche", sans oublier "cette blondasse qui ne sait rien faire" et celle qui "a une jupe trop courte". Les témoignages font aussi état d'un "bonjour les chaudasses" pour s'adresser à des collègues.

Craintes de vengeance

Le directeur ne déraperait pas qu'avec ses subordonnés, mais aussi avec ses chefs. Selon des témoins auditionnés, l'un aurait été traité de "con", l'autre de "bébé". Dans leur rapport, les enquêteurs relèvent les remarques déplacées du directeur, ses moqueries, ses réactions démesurées, mais aussi son attitude revancharde.

Pour les enquêteurs, son comportement vis-à-vis de ses subordonnés, mais aussi de ses chefs, constitue une violation des droits de la personnalité et peut être perçu comme discriminatoire à l'encontre des femmes. Ils estiment qu'en raison des faits retenus en cours d'enquête, mais aussi du regard que le directeur porte dessus (il mettrait, selon eux, beaucoup de propos sur le compte de l'humour), il n'est pas à sa place et doit être licencié.

La recommandation numéro un est donc de se séparer de lui. Les enquêteurs en formulent une seconde si la première ne devait pas être suivie: le priver d'attributions managériales ou réduire sa marge de manœuvre à la portion congrue. Mais ils soulignent que si cette solution était retenue, il risquerait de se venger des personnes ayant témoigné. Ils plaident donc pour son renvoi.

"Enquête alibi"

En décembre 2019, le rapport est envoyé au domicile du secrétaire général Theodore Theodoridis pour des raisons de confidentialité.

Le rapport est accablant, mais le secrétaire général et le président ne tiennent pas compte des recommandations: le directeur n’est pas mis à la porte et il garde ses nombreuses attributions managériales. Aujourd’hui, il chapeaute sept divisions de l’UEFA.

Selon les informations de la RTS, avant de mettre les recommandations sous le tapis, la direction de l'UEFA n'a même pas jugé utile de s'entretenir oralement avec les auteurs du rapport. Une pratique qui peut surprendre. Plusieurs spécialistes d'enquêtes externes contactés expliquent que la restitution orale des rapports rendus est courante et permet notamment de répondre aux questions du client.

Tout aussi étonnant, lorsque le rapport a été rendu, la direction de l'UEFA a convoqué plusieurs employés qui avaient témoigné. Elle souhaitait leur faire un retour, mais elle a tu les recommandations formulées. "On ne m’a jamais dit que les experts demandaient le licenciement du directeur. On m'a simplement annoncé qu'il aurait un blâme", confie une personne entendue en cours d’enquête.

Epinglé par les experts, le directeur a donc gardé son poste. L'assistante qui l'a dénoncé, elle, a été déplacée. Contactée par la RTS, elle n'a pas souhaité s'exprimer.

Contactés eux aussi, les enquêteurs Isabelle Fiset, trente ans de métier et présidente de la Chambre suisse des personnes de confiance en entreprise, et Marc Rosset, médiateur professionnel depuis quelque vingt-cinq ans, n'ont pas souhaité répondre à nos questions.

Au bout du fil, une personne entendue en cours d'enquête et qui découvre les conclusions des experts par l’entremise de la RTS, a du mal à cacher son désarroi: "J’ai vraiment l’impression d'avoir participé à une enquête alibi. Elle n'a servi à rien."

>> Les explications de Fabiano Citroni dans le 19h30 :

Le journaliste Fabiano Citroni revient sur l'affaire de sexisme qui éclabousse l'UEFA.
Le journaliste Fabiano Citroni revient sur l'affaire de sexisme qui éclabousse l'UEFA. / 19h30 / 59 sec. / le 7 février 2024

Fabiano Citroni et Raphaël Leroy, Pôle enquête RTS

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L’UEFA assume sa décision

Dans le cadre de cette enquête, la RTS a transmis par courriel huit questions précises au service de presse de l’UEFA. Trois adressées au président, trois au secrétaire général et deux au directeur mis en cause.

Nous avons reçu une réponse globale qui n’aborde pas l’ensemble des points soulevés dans nos questions. Dans son courriel, l’UEFA écrit avoir "mis en place depuis de nombreuses années des procédures strictes visant à la protection de ses salariés. À la suite d’un signalement en 2019 par un membre du personnel de l’UEFA au sujet de son supérieur hiérarchique direct, l’UEFA a décidé de suivre les procédures à la lettre et a donc commandité une enquête indépendante."

L’instance souligne que le rapport "a écarté tout fait de harcèlement sexuel". Dans sa prise de position, l’UEFA écrit que "sur la base de ce rapport, dont les conclusions n’étaient que des recommandations et comportaient plusieurs options, et sur la base des faits en sa possession, la direction a décidé de ne pas licencier la personne concernée par l’enquête". Elle ajoute que "le président de l’UEFA avait bien été mis au courant de l’enquête, du rapport et de la décision finale".

Elle souligne également que le directeur mis en cause "conteste formellement les accusations portées à son encontre à l’époque".

Les trois questions suivantes posées par la RTS sont restées sans réponse:

- Monsieur le président, dans vos prises de paroles en public, vous avez souvent mis l’accent sur le respect, la compréhension et l’écoute. Il ressort de l’enquête administrative que le directeur mis en cause a violé les droits de la personnalité de plusieurs subordonnés mais aussi de supérieurs. Son maintien en poste ne va-t-il pas à l’encontre des valeurs que vous prônez en tant que président?

- Il a été dit aux personnes qui avaient témoigné dans le cadre de l’enquête administrative que le rapport ne contenait pas d’éléments justifiant le licenciement du directeur. Or, l’organisme externe recommandait précisément son licenciement. Pourquoi la direction de l’UEFA a-t-elle caché la réalité des faits aux personnes qui ont témoigné?

- Il est usuel que les organismes externes mandatés pour mener des enquêtes présentent également à l’oral les résultats de leurs travaux. Cela permet notamment de répondre aux questions du client. L’UEFA n’a pas souhaité entendre à l’oral les experts externes. Comment le comprendre?

"On parle de la famille du sport, sur une façon d'évoluer en vase clos"

Assistante diplômée à l'Institut des sciences du sport à l'Université de Lausanne, Carole Gomez était invitée jeudi pour réagir sur cette affaire. La chercheuse de l'UNIL effectue une thèse sur la gestion des violences de genre par les fédérations sportives internationale. Dans La Matinale, elle se dit "surprise" par le fait que l'UEFA n'a pas tenu compte des différentes conclusions de l'audit externe, mais aussi d'avoir caché les résultats à ses employés, avec une volonté de laver le linge en famille.

"On parle de la famille du sport, sur une façon d'évoluer en vase clos. Il y a un autre élément dans les fédérations qui est celui de la minimisation, en considérant que ce n'est pas si grave que ça, que c'est un fait isolé qui ne relève pas d'un problème structurel à l'organisation. C'est précisément ça le souci, souvent il s'agit de carences au niveau structurel, d'un manque de connaissances et d'encadrement qui permettent à ce genre de choses d'arriver", souligne-t-elle au micro de la RTS.

D'une manière générale, Carole Gomez relève que plusieurs fédérations sportives internationales en mis en place des plans d'action avec la volonté de se saisir de cette question. "En réalité, on se rend compte que ces plans sont mis en oeuvre de manière impartiale, qu'ils sont non-systématisés et que si des conclusions ne vont pas forcément dans le sens de ce qui était prévu par l'organisation, il peut y avoir des arrangements qui sont faits", tempère la doctorante.

Pour que les instances sportives évoluent, ne faudrait-il pas plus de femmes en leur sein? "C'est une des solutions, mais cela doit s'accompagner de plus de responsabilités, qu'elles puissent prendre des décisions pour engager une réforme en profondeur de la gouvernance du sport. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi former les personnes sur des questions de sensibilisation, car en réalité il y a une très mauvaise connaissance de ce qu'est un cas d'agression, de sexisme. Les victimes peinent à mettre des termes pénaux sur ces comportements."

>> Ecouter l'interview de Carole Gomez dans La Matinale :

Les dirigeants de l’UEFA ont couvert un directeur épinglé pour sexisme. [Keystone - Jean-Christophe Bott]Keystone - Jean-Christophe Bott
Les dirigeants de l’UEFA ont épargné un directeur épinglé pour sexisme: interview de Carole Gomez / La Matinale / 7 min. / le 8 février 2024