Washington craint la captation de données par le réseau social chinois et l’utilisation de son algorithme pour influencer des élections. Ces peurs provoquent des réactions très vives aux Etats-Unis, où certains estiment que TikTok est un instrument aux mains de Pékin et constitue une menace pour la sécurité nationale.
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Ces craintes sont fondées, estime mardi dans l'émission Tout un monde Charles Thibout, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques. "En tant qu'entreprise chinoise, ou du moins extrêmement liée au parti d'Etat chinois, TikTok, ou plutôt sa maison-mère ByteDance, est dans l'obligation de nouer des coopérations avec les services de l'Etat."
"Il y a plusieurs législations qui les obligent à cela et notamment la loi sur le contre-espionnage de 2014 et la loi sur le renseignement de 2017, qui impose à tout citoyen et toute organisation chinoise de transmettre les informations que leur demandent les services de sécurité de l'Etat", détaille l'expert.
Plusieurs étapes avant une interdiction
Le patron de TikTok affirme qu’aucune donnée n’a été transmise à la Chine et assure avoir mis en place un pare-feu, le "projet Texas", une initiative sans précédent pour que les données des Américains sur TikTok soient protégées et que la plateforme soit à l'abri de toute influence extérieure.
La manière la plus simple et la plus efficace de parvenir à contrôler TikTok, c'est soit de l'interdire, soit de la faire passer en mains américaines
Charles Thibout n'est pas convaincu. "Malgré ces garde-fous, des données avaient malgré tout transité jusqu'en Chine. Donc non, ce n'est pas sécurisé à ce point-là. Après, effectivement, il y a la question de l'impact de TikTok sur l'opinion publique. Aujourd'hui, un tiers des adultes de moins de 30 ans s'informent sur TikTok."
Et de continuer: "Il y a un enjeu tout à fait primordial dans le cadre de l'élection présidentielle. Et la manière la plus simple et la plus efficace de parvenir à contrôler cette entreprise, c'est soit de l'interdire, soit de la faire passer à un propriétaire purement américain."
S’il est possible d’interdire TikTok sur son territoire – comme l’a fait l’Inde par exemple – ce serait plus compliqué aux Etats-Unis. Le Sénat doit encore se prononcer sur ce projet de loi. Il y aurait probablement ensuite des procédures juridiques, faisant valoir par exemple le premier amendement qui garantit la liberté d’expression.
Quant à la possibilité de rachat, des investisseurs américains sont déjà intéressés, mais il faudrait que Pékin donne le feu vert à la compagnie-mère ByteDance pour qu'elle vende TikTok, ce qui est loin d'être acquis.
Pékin reste réservé
Pour l'instant, la Chine évite de surenchérir et s'est contentée de condamner sobrement le projet de loi adopté par la Chambre des représentants. Pékin sait que le texte doit encore franchir de nombreuses étapes. La Chine temporise d'autant plus que l'élection présidentielle américaine pourrait changer la donne.
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"Dans ce dossier, Donald Trump s'oppose ouvertement aux projets de loi susceptibles de bannir TikTok", rappelle Michael Peuker, correspondant de la RTS à Shanghai. "Et ce malgré le fait qu'il ait lui-même ouvert les hostilités en 2020 via un décret visant à l'époque à forcer la vente de TikTok à une entité américaine. Proche d'un gros investisseur du réseau social et donateur du Parti républicain, Donald Trump a donc retourné sa veste."
Les positions radicales de Donald Trump encouragent son appétence pour des plateformes moins mainstream, à l'instar de TikTok, qui exercent moins de contrôle
Donald Trump a justifié son revirement en argumentant que si TikTok était interdit, les gens iraient sur Facebook, plateforme de laquelle il a été banni, qui est selon lui "bien pire". Selon Charles Thibout, ce changement de position s'explique avant tout par des considérations politiques.
"Ses positions radicales encouragent son appétence pour des plateformes moins mainstream, à l'instar de TikTok, qui pourraient effectivement le favoriser davantage qu'une plateforme comme Facebook, qui impose des contrôles exigés par le fait que c'est une entreprise de droit américain."
Sujet radio: Patrick Chaboudez
Version web: Antoine Schaub
La désinformation sur TikTok absente des débats
La question de la désinformation est largement absente des discours politiques sur l'interdiction de TikTok aux Etats-Unis, soulignent les experts.
"La désinformation devrait faire partie du débat sur TikTok" alors que la popularité de l'application lui offre une large caisse de résonance, estime Aynne Kokas, chercheuse spécialiste des médias à l'université de Virginie.
Or, une nouvelle tendance préoccupante a fait son apparition sur TikTok, où des utilisateurs monétisent des vidéos étayant des théories du complot, relève l'organisation Media Matters. Sur fond de musique inquiétante, les vidéos, qui recensent pour la plupart des millions de vues, mettent en scène des théories extravagantes, déroulées par des voix graves générées par l'intelligence artificielle.
Ces vidéos, généralement postées par des comptes anonymes, utilisent souvent des images générées par de l'intelligence artificielle, dit Abbie Richards de Media Matters.