Modifié

Les forces russes aux portes des derniers bastions du Donbass en Ukraine

Une vue aérienne montre la ville minière de Toretsk (au nord de Donetsk) après une frappe russe. [via REUTERS - Patrol Police of Ukraine]
Une vue aérienne montre la ville minière de Toretsk (au nord de Donetsk) après une frappe russe. - [via REUTERS - Patrol Police of Ukraine]
Après le retrait de l'armée ukrainienne de la ville d'Avdiivka en février 2024, puis la perte de Voulhedar début octobre, les forces russes continuent à avancer un peu partout dans le Donbass. Elles menacent désormais les dernières places forte de l'oblast de Donetsk, objectif prioritaire du Kremlin.

Après avoir résisté plus de deux ans et infligé des pertes conséquentes aux assaillants russes, les forces ukrainiennes ont donc dû se résoudre à abandonner au début du mois d'octobre la petite ville minière de Voulhedar, située au sud-ouest de Donetsk, dans l'oblast du même nom.

La ville de Voulhedar, qui protégeait notamment les centres de Kurakhove et de Pokrovsk, situés plus au nord, a été prise par les forces russes au début du mois d'octobre. [https://deepstatemap.live/ - RTSinfo]
La ville de Voulhedar, qui protégeait notamment les centres de Kurakhove et de Pokrovsk, situés plus au nord, a été prise par les forces russes au début du mois d'octobre. [https://deepstatemap.live/ - RTSinfo]

Nichée sur une petite colline, la cité, qui comptait 14'000 habitants avant le début des hostilités, était devenue un verrou à même de protéger les centres de transports régionaux de Kurakhove et Pokrovsk, situés plus au nord. Au fil du temps, ce bastion s'était même transformé en symbole, tant les Russes s'y étaient cassé les dents. En 2023, Moscou avait ainsi tenté à plusieurs reprises d'attaquer cette petite ville depuis le sud mais avait à chaque fois subi de lourdes pertes. En janvier et en février 2023, plus de 100 chars et autres véhicules blindés russes avaient notamment été détruits, touchés par l'artillerie ukrainienne ou explosant sur des champs de mines.

>> Réécouter également dans La Matinale l'interview de Nadiia Kudriavtseva, démineuse :

Une machine anti-mines nettoie un champ en Ukraine, dans la région de Kharkiv. [Keystone - Andrii Marienko]Keystone - Andrii Marienko
Conférence à Lausanne pour le déminage humanitaire de l’Ukraine: interview de Nadiia Kudriavtseva, démineuse / La Matinale / 1 min. / le 18 octobre 2024

Pour Moscou, la prise de Voulhedar est donc devenue une victoire de prestige, tout comme la chute d'Avdiivka, à quelques kilomètres au nord de Donetsk, l'a été au mois de février. Mais les deux cités étaient surtout des points d'ancrage précieux pour le système défensif ukrainien, notamment du fait de leur topographie avantageuse.

>> Notre suivi de la guerre en Ukraine : Le chef du Pentagone, à Kiev, annonce une aide militaire de 400 millions de dollars à l'Ukraine

Pour Moscou, la reprise complète du Donbass doit donc passer par la prise de ces bastions ukrainiens. Après Voulhedar et Avdiivka, il en reste encore quelques-uns, mais la Russie est déjà à la manoeuvre pour s'en emparer également.

A Tchassiv Yar, le canal est traversé

Tchassiv Yar est depuis plusieurs mois la cible des forces russes. En octobre 2024, ces dernières ont réalisé une avancée notable, bien que modeste en termes de superficie. Après de longs mois à buter contre un canal qui constitue un obstacle naturel en contrebas de la ville, les troupes russes semblent désormais avoir réussi à le franchir en plusieurs points, notamment au nord et au sud, selon des analyses provenant de sources ouvertes et d'images satellites.

La ville de Tchassiv Yar défend la grande cité industrielle de Kramatosk, située un peu plus au nord-ouest. [https://deepstatemap.live/ - RTSinfo]
La ville de Tchassiv Yar défend la grande cité industrielle de Kramatosk, située un peu plus au nord-ouest. [https://deepstatemap.live/ - RTSinfo]

Si ces gains se mesurent en hectares, ils représentent néanmoins un tournant stratégique pour l'armée russe, qui avait jusque-là rencontré des difficultés à surmonter ce type de barrières naturelles. Cette percée pourrait marquer le début d'une tentative d'encerclement de Tchassiv Yar, une manœuvre similaire à celle qui a conduit à la prise de Vouhledar. En franchissant ce canal, les forces russes augmentent donc la pression sur la garnison ukrainienne, renforçant ainsi leur position dans cette région clé du Donbass.

Une prise de Tchassiv Yar permettrait aux Russes de perturber les canaux logistiques qui traversent la ville. Dans un deuxième temps, une conquête de ce bastion ouvrirait à l'armée du Kremlin les portes de Kramatorsk, grande ville industrielle située à une vingtaine de kilomètres plus au nord. Puis, hypothétiquement, celles de Sloviansk.

Une entrée dans la ville de Toretsk

Une semaine après la chute de Voulhedar, les troupes russes ont continué à avancer vers le nord, en entrant notamment aux abords de la ville de Toretsk, située à 80 kilomètres.

Les combats sont actuellement intenses, les troupes du Kremlin cherchant à rejoindre le centre de la ville, perchée elle aussi au sommet d'une colline et offrant de belles opportunités de défense à l'armée ukrainienne. Pour Moscou, une prise de la ville permettrait donc de désamorcer un peu plus encore le dispositif de défense de Kiev, mais aussi et surtout d'entraver les routes d'approvisionnement ukrainiennes vers la ligne de front.

Une chute de Toretsk constituerait un nouveau revers important pour Kiev. Elle offrirait également aux troupes russes la possibilité d'ouvrir de nouvelles voies en direction des villes capitales de Pokrovsk, Kramatorsk et Sloviansk.

>> Réécouter aussi dans Forum l'interview de Tony Fortin, chargé de cours à l'Observatoire des armements de Lyon :

La Russie a revendiqué la prise de deux villages dans l'est de l'Ukraine. [Keystone / AP Photo - Eckehard Schulz]Keystone / AP Photo - Eckehard Schulz
Le secteur de l'armement est en plein boom: interview de Tony Fortin / Forum / 4 min. / le 20 octobre 2024

Pokrovsk en ligne de mire

A Pokrovsk, la situation est aussi de plus en plus tendue. Depuis plusieurs mois, les Russes se sont dangereusement rapprochés de la ville, ne se trouvant la plupart du temps qu'à quelques kilomètres.

Les forces ukrainiennes semblent néanmoins avoir réussi à stabiliser la situation, même si les soldats du Kremlin continuent à grignoter ici et là de petites localités situées aux environs de la ville.

Une prise totale de Pokrovsk avant l'arrivée de l'hiver paraît improbable, ce qui constituerait un échec pour le Kremlin. Un revers temporaire toutefois, car la Russie pourrait repartir à l'attaque dès le printemps. Pour Moscou, la prise de Pokrovsk infligerait une défaite cinglante à Kiev, car la ville est devenue un centre logistique clé, qui permet de soutenir les forces ukrainiennes d'une longue ligne de front, allant du sud au nord de l'oblast de Donetsk. Seule la grande ville de Kramatorsk, située plus au nord, permet de remplir cette même fonction logistique dans le Donbass.

Les villes de Pokrovsk et Kramatorsk sont vitales pour assurer la logistique des troupes ukrainiennes dans le Donbass [https://deepstatemap.live/ - RTSinfo]
Les villes de Pokrovsk et Kramatorsk sont vitales pour assurer la logistique des troupes ukrainiennes dans le Donbass. [https://deepstatemap.live/ - RTSinfo]

La fin de la diversion de Koursk?

Débutée en août, l'incursion terrestre ukrainienne dans l'oblast russe de Koursk, qui avait certainement pour objectif de dégarnir une partie des forces russes déployées sur le front est, ne semble quant à elle pas avoir atteint ses objectifs.

Malgré ces efforts, le rythme des avancées russes dans le Donbass n’a pas été freiné. Au contraire, la mobilisation de soldats ukrainiens en Russie a permis aux forces russes d'avancer plus rapidement que d'habitude dans certaines zones du front.

Au pic de cette opération, l'armée ukrainienne contrôlait 1320 km2 de territoire en Russie. Toutefois, après deux contre-offensives consécutives, cette superficie a été réduite de moitié, ne laissant plus que 650 km2 sous contrôle ukrainien. Un retournement de situation qui soulève des questions sur l’efficacité de la stratégie adoptée par les forces ukrainiennes.

Pas d'effondrement, mais un émiettement

Mais la Russie est loin d'avoir conquis l'intégralité de la région de Donetsk, où elle contrôle actuellement environ les deux tiers du territoire. Pour s'emparer du tiers restant, l'armée russe devrait percer plusieurs lignes de défense ukrainiennes qui sont désormais établies et qui comprennent tranchées et fossés antichars.

Les forces russes devraient également se frayer un chemin à travers des centres urbains densément peuplés. Un type de combat compliqué et jugé exténuant par plusieurs responsables américains, qui estiment auprès du New York Times que l'armée russe est incapable de le faire à court terme.

Malgré cela, l'avancée lente mais régulière des troupes russes depuis le début de l'année a permis à Moscou de capturer ou de menacer plusieurs bastions ukrainiens clés. Ces points stratégiques, souvent situés sur des terrains avantageux comme des zones surélevées, sont essentiels à la défense ukrainienne de la région. Les gains réalisés par le Kremlin ont donc placé ses forces dans une position potentiellement favorable pour une conquête complète de l'oblast de Donetsk à l'avenir, selon les analystes militaires.

Tristan Hertig

Publié Modifié