Les manifestations pro-palestiniennes dans les campus américains aggravent la fracture du camp démocrate
Le jeudi 18 avril, la police a fait irruption sur le campus de Columbia pour disperser un campement de tentes installé par des manifestants pro-palestiniens appelant à la fin de la guerre à Gaza. Une centaine d'entre eux sont alors interpellés.
>> Lire : Des manifestations pro-palestiniennes agitent plusieurs campus américains
L'intervention des forces de l'ordre, qui s'est faite à la demande de Minouche Shafik, présidente de la prestigieuse université et qui a évoqué des problèmes d'ordre sécuritaire, suscite un tollé.
La dirigeante est notamment accusée par le Sénat de Columbia — un organe consultatif représentant les quelque 36'000 étudiants et enseignants du célèbre établissement privé d’enseignement supérieur— d'avoir "porté atteinte à la liberté académique" et "négligé les droits à la vie privée et à la procédure régulière des étudiants et des membres du corps professoral."
Dans le même temps, Minouche Shafik subit aussi la pression politique des élus républicains les plus conservateurs. Mike Johnson, le président de la Chambre des représentants, a ainsi appelé à sa démission le mercredi 24 avril, estimant notamment que la présidente de l'université n'en faisait pas assez pour lutter contre "les actes antisémites" sur le campus. La dirigeante est aussi pointée du doigt pour n'avoir pas rappelé la police alors que des manifestants pénétraient à nouveau dans l'enceinte de l'établissement.
Une contestation qui s'élargit
Depuis les événements de Colombia, l'agitation sur les campus américains ne faiblit pas. Bien au contraire, le mouvement s'est élargi. Selon une carte dressée par le New York Times, plus de 80 campus dans 35 Etats connaissent des manifestations similaires.
Les arrestations se sont également multipliées. Plus de 800 personnes auraient été interpellées dans une vingtaine d'universités, d'après le grand quotidien américain.
Des policiers anti-émeutes font donc leur retour dans les universités américaines, une première depuis 1968. A l'époque, le pays était en plein milieu de la guerre du Vietnam et la contestation avait également eu pour premier épicentre l'Université de Columbia. Un mouvement qui avait ensuite gagné le pays et été marqué par des arrestations et des affrontements violents qui avaient fait des blessés et plus tard, des morts, comme en 1970, lors de la fusillade de l'Université d'Etat de Kent (Ohio).
La situation actuelle n'est toutefois pour l'instant pas comparable, même si les manifestants sont parfois expulsés de manière musclée, comme cela s'est produit récemment sur le campus de l'Ohio State University ou sur celui de l'Université Washington, à Saint-Louis, dans l'Etat du Missouri.
Des divergences entre élus démocrates
Face à ce phénomène, les directions des universités se trouvent bien souvent entre le marteau et l'enclume. Elles doivent d'un côté laisser les manifestants exercer leur droit à la liberté d'expression, valeur cardinale du système éducatif américain, et de l'autre, agir contre certains propos et actes antisémites qui ont été répertoriés au cours de ces rassemblements.
La réaction des universités n'est par ailleurs pas seulement scrutée de manière différente entre le camp démocrate et républicain. A l'intérieur même du Parti démocrate, des divergences notables émergent.
Sur le papier, la plupart des élus démocrates s'étant exprimés sur le sujet disent soutenir la liberté d'expression tout en condamnant fermement l'antisémitisme. Mais pour certains législateurs du parti, comme Jared Moskowitz, représentant des Etats-Unis pour la Floride qui s'est récemment rendu sur le campus de Columbia avec plusieurs autres législateurs de confession juive, "certains membres de son parti" minimisent la réalité.
"Il y a un déni de la part de mes amis de gauche (...) une opinion selon laquelle tout le monde est pacifique et il n'y a pas d'antisémitisme", a-t-il déclaré devant la presse.
Si l'élu n'a pas souhaité citer de nom, il s'est notamment disputé à ce sujet sur le réseau social X avec la représentante démocrate new-yorkaise Alexandria Ocasio-Cortez, connue pour ses positions très progressistes.
Quelles conséquences pour la présidentielle?
Pour la plupart des experts, la guerre entre Israël et le Hamas et les manifestations sur les campus américains mettent une fois de plus en exergue la fracture qui existe dans le parti, avec d'un côté des démocrates centristes et historiquement attachés au soutien à Israël, et de l'autre, une aile beaucoup plus à gauche et de moins en moins encline à supporter l'Etat hébreu coûte que coûte.
Pour Joe Biden, il s'agit donc de jongler et de concilier son attachement politique historique au soutien d'Israël à l'hostilité croissante de son parti à l'égard de la guerre en cours à Gaza. Une hostilité qui a surgi avant le début des manifestations dans les campus, des démocrates du Congrès exhortant par exemple à plusieurs reprises cette année l'administration américaine à restreindre l'aide militaire apportée à Israël.
Diverses enquêtes d'opinions montrent également un changement de tendance chez les électeurs démocrates. Ainsi, dans un sondage de la fin du mois de mars réalisé par l'Université Quinnipiac (Connecticut), près de deux tiers des démocrates se déclarent "opposés à l'envoi d'une aide militaire supplémentaire à Israël". Un chiffre confirmé par un sondage national de CBS News/YouGov, où l'on apprend également que près de la moitié des sondés veulent voir le président américain pousser Israël à mettre complètement fin à son action militaire.
Pour les stratèges du parti, le risque n'est pas que des démocrates mécontents de l'attitude américaine vis-à-vis de la guerre à Gaza votent Donald Trump, mais plutôt qu'ils se tournent vers un candidat tiers ou s'abstiennent de voter. "Je pense que cela complique l'image de Biden auprès des jeunes", explique au magazine The Altantic Ben Tulchin, qui était le principal sondeur des deux campagnes présidentielles du sénateur Bernie Sanders.
Interrogé dans le New York Times, Steve Israel, ancien représentant de l'Etat de New York qui a dirigé le Comité de campagne démocrate pour le Congrès, estime toutefois que le temps pourrait calmer les choses. "Les campus se vident généralement en été, l'énergie sur ce sujet risque de se dissiper (...) La question sera de savoir si elle reviendra à l'automne (...) et la réponse à cette question n’est pas ici, mais au Moyen-Orient", analyse-t-il.
Tristan Hertig