Les murs qui séparent les territoires ont un objectif "défensif", "politique" et "de filtre"
Les murs, qui peuvent de nos jours aussi bien être physiques que technologiques, existaient déjà à l'époque romaine. Celui d'Hadrien, érigé pour protéger la frontière nord de la province romaine de Bretagne (Grande-Bretagne d'aujourd'hui) des attaques des "barbares", et la Grande Muraille de Chine en sont des exemples anciens.
S'il n'existait qu'une douzaine de ces murs à la fin de la Guerre froide, on en dénombre aujourd'hui une septantaine à travers le monde, comme entre la Hongrie et la Serbie, entre les Etats-Unis et le Mexique ou entre l'Inde et le Bangladesh.
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Les murs contemporains sont aussi des filtres des mobilités transfrontalières désirables et indésirables
Selon Damien Simonneau, maître de conférences en sciences politiques à l'INALCO, tous les murs n'ont pas une fonction uniquement défensive, même ceux du passé. "Ils étaient aussi des lieux de tri (...) Il y avait des interactions entre les citoyens romains et les 'barbares' au niveau des limes (frontières de l'époque romaine qui servaient à se protéger des invasions et à contrôler les flux de personnes et de marchandises, ndlr)", explique-t-il mardi au micro de Tout Un Monde.
"Les murs contemporains non plus ne sont pas que des outils défensifs. Ce sont aussi des filtres des mobilités transfrontalières désirables - par exemple pour des besoins économiques - et indésirables - pour des raisons de sécurité, de contrebande ou d'immigration clandestine", poursuit-il.
Pour les Israéliens, le mur entre Israël et la Cisjordanie a permis de mettre à distance une population jugée dangereuse. Pour les Palestiniens, c'est un outil supplémentaire d'occupation
Perception différente
La perception de ces murs varie selon le côté du mur où l'on se trouve, indique l'invité de la RTS. Par exemple, celui qui a été érigé entre Israël et la Cisjordanie en 2002 a une "dénomination différente en hébreu et en arabe", argumente-t-il. Les Israéliens l'appellent Geder HaBitachon, soit "barrière de sécurité", alors que les Palestiniens le nomment Jidar al-Fasl al-‘Unsuriyy, qui se traduit par "Mur de séparation raciale" ou "Mur de l'apartheid".
"Pour les Israéliens, cette barrière leur a permis de mettre à distance une population considérée comme dangereuse, notamment avec la multiplication des attentats terroristes de la part de groupes palestiniens. Mais pour les Palestiniens, c'est un outil supplémentaire d'occupation qui les oblige à passer par des checkpoints, notamment pour aller travailler", détaille Damien Simonneau.
L'expert ajoute que ce mur sert aussi "des objectifs politiques" pour les Israéliens. "Le Premier ministre qui a décidé sa construction, Ariel Sharon, disait que c'était un projet populiste. Il avait véritablement conscience qu'il permettrait de rassurer les populations (...) en donnant l'illusion d'offrir la sécurité."
Pour le mur européen, Viktor Orban s'appuie sur des termes extrêmement identitaires (...) comme 'le fait de préserver, dit-il, les racines chrétiennes de l'Europe'
Des murs politiques
Le mur peut également servir à défendre l'identité: c'est par exemple l'argument du Premier ministre hongrois Viktor Orban concernant le mur visant à protéger la civilisation européenne, comme il le dit. "Il s'appuie sur des termes extrêmement identitaires pour convaincre de la nécessité de constituer un mur entre son pays et la Serbie en 2015, comme 'le fait de préserver, dit-il, les racines chrétiennes de l'Europe'. Il tape bien évidemment sur les musulmans par la même occasion", détaille le maître de conférences qui cite aussi le "même jeu identitaire de Donald Trump vis-à-vis de l'immigration mexicaine".
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Pour "comprendre les murs dans nos sociétés démocratiques", il est essentiel de considérer le contexte qui les entoure, notamment les discours qui les justifient, souvent teintés de repli identitaire, et qui peuvent parfois "flirter avec des idées racistes, xénophobes ou anti-migrants", résume Damien Simonneau.
Propos recueillis par Patrick Chaboudez
Article web: Julie Marty
La technologie des murs, un marché juteux pour les entreprises
Les murs séparant les territoires ne sont pas uniquement physiques et constitués de béton ou d'acier. "Les murs contemporains sont avant tout fondés sur des technologies de pointe", expose Damien Simonneau, qui cite par exemple le contrôle des migrations effectué via des "technologies d'enregistrement biométrique, via des bases de données partagées entre les consulats et les polices de différents pays."
C'est un marché particulièrement juteux pour les entreprises, ajoute-t-il. "Beaucoup d'entreprises informatiques (...) en font leurs choux gras. Et en Europe et aux Etats-Unis, certaines exportent ces technologies au reste du monde, comme l'entreprise EADS (Airbus Group, ndlr) qui équipe les frontières de l'Arabie saoudite ou des entreprises israéliennes qui se retrouvent également à d'autres endroits du monde: à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique ou en Inde."