Marseille est régulièrement le théâtre de meurtres liés au narcotrafic, mais ces problèmes s’étendent également à des villes plus petites comme Grenoble, située à une centaine de kilomètres de la Suisse.
Invité mardi dans l’émission Tout un Monde de la RTS, Michel Gandilhon, expert associé au département sécurité-défense du Conservatoire national des Arts et métiers à Paris, explique que, depuis plusieurs années, le recrutement de jeunes adolescents est relativement connu à Marseille.
"Ces jeunes occupaient généralement les positions les plus basses dans le trafic, notamment les emplois de guetteurs". Le fait que des trafiquants recrutent désormais des jeunes de quatorze ans "pour servir de tueur à gages, c’est relativement récent et choquant", souligne-t-il.
L'explosion du marché des drogues qui bouleverse la France
Depuis une vingtaine d’années, la France fait face à une explosion de son marché des drogues. Le nombre de consommateurs de cocaïne a presque doublé en sept ans, passant de 600'000 en 2017 à un million en 2024. Cette augmentation concerne également les drogues de synthèse.
En mai dernier, un rapport du Sénat français alertait sur une situation échappant progressivement au contrôle de l’Etat et menaçant la stabilité des institutions.
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Ce qui distingue la France, par rapport à d’autres pays européens, c’est l’occupation territoriale par des enclaves criminelles contrôlées par des narcotrafiquants, explique l'expert.
Pour les habitants, c’est une sorte de scandale démocratique, puisqu'il y a des zones dans lesquelles ils n’ont pas droit à la sécurité et à la tranquillité
Selon lui, il ne s’agit pas d’une légende, la police ne se rend plus dans certains quartiers, sauf pour des opérations coup de poing. Ces interventions sont souvent militarisées et ponctuelles, "mais il est extrêmement difficile d’y intervenir au quotidien, car ces quartiers sont des enclaves contrôlées par des narcotrafiquants armés", ajoute-t-il.
Une évaluation récente a identifié environ 4000 gros points de deal en France. "Pour les habitants, c’est une sorte de scandale démocratique, puisqu'il y a des zones dans lesquelles ils n’ont pas droit à la sécurité et à la tranquillité, vivant sous la coupe des narcotrafiquants", s’inquiète Michel Gandilhon.
Quarante ans de politiques publiques en échec
L'expert en sécurité-défense, rappelle qu’à Marseille, en 2023, le nombre d’homicides et de blessés liés aux règlements de compte a atteint des niveaux record, avec 49 morts et près de 123 blessés. Il observe aussi que la violence liée au trafic de drogue s’étend désormais au-delà des grandes villes françaises.
Des policiers parlent de mexicanisation
Michel Gandilhon estime qu’il sera extrêmement difficile pour l’Etat de reprendre le contrôle des enclaves criminelles. Ce phénomène, qui a émergé il y a environ quarante ans, a prospéré en raison d’une faillite des politiques publiques en France.
"Des policiers parlent de mexicanisation. Evidemment, c’est très exagéré, mais c’est une manière de donner l’alerte devant un phénomène qui se développe et qui ne concerne plus seulement l’axe Lille-Paris-Lyon-Marseille", précise-t-il.
Selon lui, la lutte contre les drogues est complexe en raison de la dimension mondiale du problème, ce qui nécessite une coopération internationale.
Il souligne que pour être efficace, il est nécessaire d’agir sur plusieurs fronts, particulièrement en renforçant la présence policière.
Finalement, il ajoute que l’Etat français est débordé à tous les niveaux, avec un manque de magistrats et de policiers, notamment dans les services d’enquêtes de police judiciaire, ce qui pose un problème de réponse pénale.
Propos recueillis par: Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Miroslav Mares