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Les primes d'engagement dans l'armée explosent dans les différentes régions de Russie

Des conscrits russes appelés au service militaire se préparent à partir pour les garnisons d'un centre de recrutement, à Bataysk, dans la région de Rostov (sud), le 16 mai 2024 (image d'illustration). [REUTERS - Sergey Pivovarov]
Des conscrits russes appelés au service militaire se préparent à partir pour les garnisons d'un centre de recrutement, à Bataysk, dans la région de Rostov (sud), le 16 mai 2024 (image d'illustration). - [REUTERS - Sergey Pivovarov]
Augmentation de la solde, compensation en cas de blessure ou de mort, rentes mensuelles de veuves ou encore supplément de retraite. A mesure que les pertes humaines s'accumulent en Ukraine, l'Etat russe tente de rendre son armée attractive financièrement. Dernièrement, ce sont les primes à l'engagement qui ont connu un bond spectaculaire.

Tout comme Kiev, la Fédération de Russie ne communique pas officiellement sur le nombre de ses soldats blessés ou tués depuis le début de son invasion de l'Ukraine en février 2022. Les projections et estimations de la plupart des spécialistes du conflit décrivent toutefois une guerre extrêmement meurtrière, plus coûteuse en vies humaines que tous les conflits combinés qu'a connus la Russie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Publiée le 5 juillet dernier, une enquête du média russe indépendant Meduza, basée sur l'analyse des avis de décès diffusés sur les réseaux sociaux et sur les registres de succession, parvient à la conclusion que Moscou aurait perdu entre 106'000 et 140'000 soldats de fin février 2022 à fin juin 2024. Des chiffres proches de ceux communiqués en mai 2024 par Stéphane Séjourné, ministre français des Affaires étrangères, d'après qui la Russie aurait perdu 150'000 hommes.

>> Revoir le reportage du 12h45 du 21 septembre 2022 sur la mobilisation partielle qui avait été annoncée par Vladimir Poutine :

Vladimir Poutine annonce une "mobilisation partielle" en Russie, 300'000 réservistes seraient concernés
Vladimir Poutine annonce une "mobilisation partielle" en Russie, 300'000 réservistes seraient concernés / 12h45 / 1 min. / le 21 septembre 2022

A ces pertes définitives s'ajoutent également les soldats grièvement blessés qui, dans la plupart des cas, ne seront pas en mesure de repartir au combat. Selon le magazine britannique The Economist, qui se base sur des fuites du Département américain de la défense, ils seraient entre 462'000 et 728'000 dans cette situation, d'après des calculs arrêtés au milieu du mois de juin 2024.

Pour regarnir le front, la Russie se retrouve donc dans l'obligation de recruter de nouveaux soldats de manière continue. Fort d'un avantage démographique significatif par rapport à l'Ukraine (38 millions d'habitants pour l'Ukraine en 2022, 144 millions pour la Russie, ndlr), elle semble y parvenir pour l'instant sans trop de problèmes. Ainsi, selon des sources officielles américaines, 25'000 à 30'000 nouvelles recrues seraient enrôlées chaque mois.

Un prêtre orthodoxe bénit des conscrits russes appelés au service militaire avant leur départ pour les garnisons d'un centre de recrutement à Sébastopol, en Crimée, le 6 juillet 2023 (image d'illustration). [REUTERS - ALEXEY PAVLISHAK]
Un prêtre orthodoxe bénit des conscrits russes appelés au service militaire avant leur départ pour les garnisons d'un centre de recrutement à Sébastopol, en Crimée, le 6 juillet 2023 (image d'illustration). [REUTERS - ALEXEY PAVLISHAK]

Mais pour y arriver, Vladimir Poutine semble privilégier des mesures incitatives à une nouvelle mobilisation partielle. La dernière en date, déclarée à l'automne 2022, s'était avérée extrêmement impopulaire un peu partout dans le pays. Elle avait d'ailleurs poussé un nombre important d'hommes en âge de combattre à fuir le territoire.

Ces mesures, avant tout financières, semblent donc pour l'instant avoir porté leurs fruits, permettant d'alimenter sans interruption le front ukrainien.

Des primes de 4000 à 15'000 francs

Depuis le début de la guerre, le salaire moyen des soldats est passé d'à peu près 40'000 roubles (un peu plus de 400 francs) à 200'000, voire 300'000 roubles (2000 à 3000 francs environ).

Dans le même temps, l'Etat russe a prévu des compensations conséquentes en cas de décès ou de blessure. L'épouse d'un défunt et ses enfants peuvent ainsi se voir verser près de 5 millions de roubles, soit plus de 50'000 francs, auxquels peuvent s'ajouter des montants allant jusqu'à 30'000 francs provenant des autorités régionales.

"Il y a aussi les indemnités mensuelles pour une veuve ou un supplément de retraite pour les parents. Au total, cela peut représenter plus de 12 millions de roubles (121'000 francs, ndlr)", expliquait dans Les Echos en août 2023 l'économiste russe Vladislav Inozemtsev.

Ces montants ont sans grande surprise attiré un nombre important de volontaires au cours des plus de deux années de guerre écoulées. En Russie, le salaire moyen n'est que d'environ 58'000 roubles (589 francs), et bien inférieur encore dans les régions les plus pauvres du pays.

>> Réécouter également le reportage de la Matinale d'avril 2023 sur la campagne publicitaire de l'armée russe :

La Russie lance une vaste campagne de recrutement militaire [NurPhoto via AFP - Celestino Arce]NurPhoto via AFP - Celestino Arce
La Russie a lancé une série de spots télévisés pour doper les engagements militaires volontaires / La Matinale / 1 min. / le 27 avril 2023

Mais ces avantages économiques pourraient ne plus être suffisants pour convaincre de potentielles nouvelles recrues. C'est en tout cas ce que semble suggérer l'augmentation très nette des primes à l'enrôlement au cours des derniers mois. En plus des soldes et des compensations, les régions de Russie offrent en effet des bonus à la signature d'un contrat avec l'armée russe.

Selon des chiffres officiels de 9 oblasts et régions du pays analysés et publiés sur X par "James B", spécialiste dans le renseignement en sources ouvertes (OSINT), l'augmentation des primes s'est accélérée un peu partout à partir d'avril 2024, y compris dans l'arrière-pays, plus pauvre.

Selon Richard Vereker, spécialiste dans l'analyse des pertes matérielles russes, ces augmentations spectaculaires (+1200% dans la République de Karatchaïévo-Tcherkessie, +550% au Tatarsan, +87,5% dans l'oblast de Moscou ou encore +120% dans celui de Léningrad) pourraient indiquer "qu'il faut désormais beaucoup plus pour inciter les gens à adhérer à l'armée qu'auparavant".

Une autre hypothèse probable est que les quotas de recrues par région exigés par le pouvoir central aient sensiblement augmenté. Une décision qui les aurait alors pousser à mettre en place des mesures encore plus incitatives. Allant de 400'000 (environ 4000 francs) à 1,5 million de roubles (plus de 15'000 francs), les primes de chaque région représentent désormais presque toutes plusieurs mois de salaire.

Des mesures complémentaires

Combler les pertes abyssales de soldats en Ukraine sans avoir recours à une nouvelle mobilisation semble être devenu peu à peu une tâche de chaque instant pour les autorités russes.

Outre les avantages financiers accordés directement aux militaires et à leur famille, certaines régions comme le Tatarstan offrent désormais aussi des bonus aux personnes qui arriveraient à en convaincre d'autres de s'engager. Dans cette République située sur le bassin de la Volga, une personne qui peut persuader un ami de prendre les armes peut se voir octroyer plus de 88'370 roubles (896 francs).

Plus globalement, l'armée russe est dans une campagne publicitaire constante pour former de nouvelles troupes aux combats. Les affiches de propagande sont omniprésentes aux quatre coins du pays, l'éducation "patriotique" bat son plein dans les écoles, et sur internet, on n'hésite pas non plus à tenter de recruter dans le Caucase, au Kazakhstan ou même jusqu'au Népal.

On promet là aussi d'alléchantes primes à la signature du contrat, mais aussi des résidences ou encore des naturalisations express.

>> Réécouter à ce sujet le reportage de Tout un monde :

La Russie envoie sur le front ukrainien des Népalais. [Keystone - EPA/NARENDRA SHRESTHA]Keystone - EPA/NARENDRA SHRESTHA
Ces Népalais que la Russie envoie au front / Tout un monde / 4 min. / le 7 mars 2024


Confrontée à une résistance toujours aussi farouche en Ukraine et voyant ses stocks de matériel militaire s'épuiser, la Russie garde ainsi toujours comme avantage majeur, le nombre de ses effectifs sur le front.

>> Relire également : Sur le champ de bataille ukrainien, l'équipement militaire russe est de plus en plus obsolète et L'immense majorité des tanks russes en réserve nécessitent des réparations considérables

Tristan Hertig

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