Les "surprises d'octobre", révélations de dernière minute qui bouleversent les présidentielles américaines
De la tentative d'assassinat de Donald Trump en juillet dernier à la décision de Joe Biden de se retirer de la course quelques jours plus tard, élevant Kamala Harris au sommet du ticket démocrate, la campagne de l'élection présidentielle 2024 a déjà eu droit à son lot d'événements surprenants.
Mais à moins de trois semaines du scrutin, devons-nous encore nous attendre à une nouvelle bombe, comme cela semble être traditionnellement le cas le mois précédent le jour J?
Aux Etats-Unis, les élections présidentielles sont en effet souvent marquées par ce que l'on appelle dans le jargon électoral une "October Surprise" ("surprise d'octobre"), autrement dit une révélation de dernière minute capable d'influencer l'opinion publique et de bouleverser le cours de la campagne.
Hasard ou coup monté
D'après Oscar Winberg, spécialiste de la politique américaine à l'Institut finlandais d'études avancées de Turku, il existe trois types de "surprises d'octobre": un succès diplomatique inattendu des Etats-Unis sur la scène internationale, un scandale politique ancien qui refait surface via une fuite, ou un événement national majeur, comme une catastrophe naturelle, détaille-t-il à France24.
Elle est parfois le fruit du hasard, notamment lorsqu'il s'agit de catastrophes naturelles, comme en 2012 avec l'ouragan Sandy. Des études suggèrent qu'à l'époque la couverture médiatique favorable de sa gestion par le président Barack Obama, alors en quête d'un second mandat, aurait contribué à renforcer ses chances de réélection.
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D'autres fois, il semblerait que ces surprises découlent d'une manœuvre délibérée d'un camp ou de l'autre. Objectif: galvaniser ses partisans tout en déstabilisant ses adversaires.
Otages iraniens
Bien que certains historiens aient découvert des exemples remontant aux années 1960, voire au 19e siècle, c'est en 1980 que le terme de "surprise d'octobre" a été popularisé, comme l'explique le professeur d'histoire, de journalisme et spécialiste de l'histoire politique et culturelle des Etats-Unis David Greenberg au magazine académique Rutgers Today.
Cette année-là, le président Jimmy Carter ne parvient pas à faire libérer des otages américains retenus dans l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran. "Cet échec est l'une des principales raisons pour lesquelles il perd dans les sondages face à Ronald Reagan. La 'surprise d'octobre' devait être son succès de dernière minute pour les faire libérer. De toute évidence, cela ne s'est jamais produit", rappelle l'expert.
Par la suite, il a été suggéré que la campagne de Reagan avait conspiré avec les Iraniens pour retenir les otages jusqu'à l'élection, poursuit-il. "Ce stratagème, qui n'a jamais été prouvé, a été appelé la "surprise d'octobre". Aujourd'hui, le terme fait référence à toute nouvelle majeure de dernière minute."
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Une vidéo de Ben Laden
En 2004, la "surprise d'octobre" porte le nom de Ben Laden. Le 29 octobre, la chaîne Al Jazeera diffuse une vidéo d'Oussama ben Laden dans laquelle il revendique à nouveau les attentats du 11-Septembre et menace le pays. Cet événement relance la campagne de George W. Bush, candidat à un second mandat, en ramenant la guerre contre le terrorisme au cœur du débat électoral. Le républicain sera réélu quelques jours plus tard.
L'affaire des e-mails d'Hillary Clinton
En 2016, autre époque, autre vidéo. Le 7 octobre, une vidéo de Donald Trump filmée 11 ans plus tôt refait surface. On y entend le candidat républicain décrire sa méthode pour agresser sexuellement les femmes. Le milliardaire doit s'excuser publiquement. Le camp républicain tremble.
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Cette révélation de dernière minute aurait pu lui coûter l'élection. Sauf que trois semaines plus tard, le 28 octobre, son adversaire Hillary Clinton n'est pas épargnée. Le directeur du FBI James Comey décide de réexaminer des e-mails sensibles écrits et reçus par la démocrate sur une messagerie privée non sécurisée quand elle était Secrétaire d'Etat.
Selon David Greenberg, ce pourrait être une des seules "surprises d'octobre" qui semble avoir eu un impact direct sur le résultat de l'élection. "Après cette annonce, l'avance de Hillary Clinton sur Trump s'est réduite et l'a mise à distance", souligne-t-il.
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Selon les estimations avancées par nos confrères de M6 Info, ces révélations surprises n'influencent toutefois que très légèrement les intentions de vote, de l'ordre de 1 à 2 points. Mais dans un pays où les résultats sont souvent très serrés, cela peut suffire à faire pencher la balance d'un côté comme de l'autre.
Fabien Grenon
Kamala Harris vs. Donald Trump: vers un scénario semblable à celui de 2016?
Si l'on se réfère à la moyenne des derniers sondages, c'est Kamala Harris qui l'emporterait le 5 novembre prochain, du moins en ce qui concerne le vote populaire.
Sauf qu'aux Etats-Unis, il est possible de récolter le plus de voix à l'échelle du pays mais de perdre d'élection, la faute au suffrage universel indirect. Car de l'autre côté de l'Atlantique, on ne vote pas sur l'ensemble du territoire en faveur du candidat de son choix, mais on vote au niveau de son Etat pour des délégués, ou grands électeurs, qui eux-mêmes éliront le président.
Il est ainsi possible qu'il y ait une déformation entre le vote populaire et le vote des grands électeurs, car le système américain veut que les petits Etats soient sur-représentés par rapport aux grands. Par exemple, en Californie, il faut environ 720'000 habitants pour un délégué, tandis que dans l'état voisin du Nevada, plus petit, il faut 530'000 habitants pour en avoir un.
On peut donc se retrouver dans une situation où le candidat est battu en étant majoritaire au niveau du nombre de voix obtenues. C'est ce qui était arrivé à Hillary Clinton en 2016: elle avait perdu alors qu'elle avait obtenu près de 3 millions de voix de plus que Donald Trump – une situation qui peut faire penser, en Suisse, à l'échec d'une initiative acceptée par la majorité de la population, mais refusée par la majorité des cantons.
A quelques semaines de l'élection, on comprend pourquoi tous les regards se tournent vers les "swing states", ou Etats pivots, qui peuvent faire la différence dans un sens ou dans l'autre. Il y en a notamment sept – parmi lesquels la Pennsylvanie, le Michigan, le Nevada ou encore le Nouveau-Mexique – dans lesquels l'écart de voix entre les deux candidats est très faible, souvent de moins de 1,5 point.
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Des sondages pas forcément fiables
Le sprint final de la présidentielle américaine s'accompagne d'innombrables sondages qui tentent tous de départager les candidats au coude à coude. Mais peut-on vraiment leur faire confiance?
Interrogé dans l'émission Forum de la RTS dimanche soir, le directeur de recherche à l'institut Ipsos Mathieu Gallard a souligné la méfiance qu'il faut conserver vis-à-vis des instituts de sondage américains. En cas d'élection incertaine, les instituts ont "plus de difficultés à départager les candidats", a-t-il pointé.
Pour juger si un sondage est fiable ou non, il est d'abord nécessaire de vérifier si l'institut est "rattaché ou collabore essentiellement avec un des deux partis", estime-t-il. La collaboration avec des médias ou des universités est également gage de neutralité.
La part d'indécis est également importante, puisqu'elle permet de visualiser si "les choses ne sont pas encore cristallisées" et si "le rapport de force peut évoluer", juge le spécialiste.