Mahnaz Shirali: "Les Iraniens n'ont pas l'intention de légitimer un régime qui est criminel à leurs yeux"
Les électeurs ont le choix entre six candidats, qui ont été sélectionnés par le Conseil des gardiens de la Constitution. Cet organe non élu, dominé par les conservateurs, a choisi les candidats parmi 80 personnalités ayant déposé leur candidature. Trois d'entre eux sont présentés comme les favoris: le président conservateur du Parlement Mohammad-Bagher Ghalibaf, l'ancien négociateur ultraconservateur du dossier nucléaire Saïd Jalili et le député réformateur Massoud Pezeshkian.
A la dernière présidentielle, en 2021, le pouvoir avait invalidé de nombreux réformistes et modérés, ce qui avait permis à Ebrahim Raïssi, le candidat du camp conservateur, d'être facilement élu et de succéder au président modéré Hassan Rohani.
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La participation n'avait atteint que 49%, soit le plus faible taux pour une présidentielle depuis la révolution islamique de 1979, montrant un certain désintérêt de la population.
Interrogée dans l'émission Tout un monde, la sociologue et politologue franco-iranienne Mahnaz Shirali ne s'attend pas à ce que ce soit différent pour cette nouvelle élection présidentielle. "Les problèmes entre la société civile et le pouvoir n'ont pas été résolus, ce dernier n'ayant pas voulu répondre ou accepter les revendications légitimes des Iraniens. La population est toujours en guerre contre cette République islamique. Elle a boudé la dernière élection et je ne pense pas que ce sera différent cette fois-ci."
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La participation, enjeu de légitimité
L'enjeu de la participation est particulièrement important pour le régime, au point que le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, a appelé la population à aller aux urnes. "Nous insistons sur l'importance d'une participation élevée (aux élections) car elle fait la fierté de la République islamique", a déclaré l'ayatollah Khamenei au cours d'un discours télévisé à trois jours du scrutin.
La République islamique a besoin d'avoir une assise populaire pour se justifier
Il en va d'une question de légitimité pour le régime iranien. "La République islamique est un régime politique issu d'une révolution et tout régime révolutionnaire a besoin d'avoir une assise populaire pour se justifier auprès de la communauté internationale et auprès de sa propre population", analyse Mahnaz Shirali.
Selon l'auteure de "Fenêtre sur l'Iran: le cri d'un peuple bâillonné", paru aux Editions Pérégrines, les Iraniens "l'ont bien compris". "Ils n'ont pas l'intention de légitimer un régime qui est criminel à leurs yeux, qui a tué leurs enfants, leurs filles, leurs garçons, leurs jeunes."
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Massoud Pezeshkian, un réformateur au discours de façade?
Parmi les candidats en lice pour l'élection présidentielle: Massoud Pezeshkian. Le député réformateur défend de meilleures relations avec l'Occident et récuse aussi l'obligation de porter le voile islamique. Il cherche aujourd'hui à mobiliser et intéresser les électeurs, notamment les jeunes.
Pour la spécialiste, il s'agit en quelque sorte d'un discours de façade. "Si j'étais à sa place, j'aurais arrêté de manifester ma fidélité envers le guide de la révolution qui est considéré comme le grand criminel. Tout d'un coup, il dit qu'il est contre le port du voile, tout en portant allégeance à l'ayatollah Khamenei qui défend justement le voile... Je ne vois pas comment il peut être aussi contradictoire dans ses paroles, et les Iraniens voient ces contradictions", relève-t-elle sur l'antenne de la RTS.
Massoud Pezeshkian n'est personne dans le paysage politique iranien
L'élection éventuelle de Massoud Pezeshkian ne devrait donc pas engendrer de grandes révolutions en Iran, estime Mahnaz Shirali. "La question de savoir s'il ne représente pas le meilleur espoir du changement n'est valable qu'à condition que le régime soit réformable ou qu'il ait la capacité de se réformer. Mais ces dernières années, il a prouvé une absence de flexibilité et de volonté de changer."
La politologue critique par ailleurs le profil du candidat qui se veut réformateur: "Dans la mesure où le régime reste totalement rigide, on ne peut pas espérer que quelqu'un comme Pezeshkian, qui n'est personne en fait dans le paysage politique iranien, puisse à lui seul faire bouger un régime inflexible. C'est impossible!" explique Mahnaz Shirali qui rappelle que 90% du pouvoir en Iran est dans les mains du guide suprême.
"La société iranienne n'a jamais été aussi désespérée"
Dès lors, quel espoir reste-t-il à la population iranienne? "Je pense que la société iranienne n'a jamais été aussi désespérée qu'aujourd'hui. Oublions les élections, ce n'est que du cinéma. De l'autre côté, les Iraniens sont incapables de changer ce régime par des manifestations, par des actions civiles. Les ayatollahs sont collés au siège du pouvoir. Seule la communauté internationale peut reconnaître la lutte des Iraniens pour la démocratie et la liberté, mais cette reconnaissance leur a jusqu'alors été refusée", conclut-elle.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Article web: Jérémie Favre