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Mandats d'arrêt contre des dirigeants d'Israël et du Hamas: "Il était nécessaire de viser les deux camps"

L'invité de La Matinale (vidéo) - Philippe Currat, avocat et spécialiste du droit international
L'invité de La Matinale (vidéo) - Philippe Currat, avocat et spécialiste du droit international / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 15 min. / le 21 mai 2024
Philippe Currat, avocat à Genève, spécialiste de droit pénal international, revient dans La Matinale de mardi sur la décision de la Cour pénale internationale (CPI) de réclamer des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, son ministre de la Défense et trois dirigeants du Hamas, pour des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité présumés commis dans la bande de Gaza et en Israël.

Interrogé dans La Matinale mardi, Philippe Currat, avocat spécialiste de droit pénal international, n'est pas surpris par la réaction "virulente et attendue" d'Israël, qui a qualifié de "décision scandaleuse et de déshonneur historique" l'annonce de la CPI. Il rappelle que l'Etat hébreu est l'un des sept pays à avoir voté contre la création de la Cour pénale internationale en 1998. "Je crois que tout criminel serait ravi de pouvoir abolir le Code pénal une fois son méfait accompli ou d'empêcher effectivement son procès. C'est exactement l'attitude qu'a Israël aujourd'hui", indique-t-il.

>> Relire : La CPI demande un mandat d'arrêt contre Benjamin Netanyahu et des dirigeants du Hamas pour crimes de guerre

Le fait que le procureur de La Haye compare Israël", pays "démocratique", avec "les meurtriers de masse du Hamas" fâche particulièrement. Mais "je ne pense pas qu'on soit sur un pied d'égalité".

Je crois que la CPI se serait fragilisée et décrédibilisée si elle n'avait pas lancé de mandat d'arrêt et si elle ne l'avait pas fait dans le même temps contre les deux camps en présence, parce qu'on l'aurait accusée soit d'antisémitisme d'un côté, soit de protéger les puissants de l'autre.

Philippe Currat, avocat à Genève, spécialiste de droit pénal international

Pour que le bureau du procureur Karim Khan garde sa crédibilité et ne soit pas accusé d'être partial, "il était nécessaire de viser les deux camps en présence. C'est le principe de base. En droit pénal interne comme en droit pénal international, les actes qui sont reprochés à chacune des personnes visées sont des actes individuels. Il n'y a pas de mise en commun ou de mise sur le même plan des actes qui sont décrits", explique encore Philippe Currat. "Il y a une concomitance dans l'annonce, mais chaque personne visée l'est pour des actes qu'on lui reproche à titre personnel."

"Je crois que la CPI se serait fragilisée et décrédibilisée si elle n'avait pas lancé de mandat d'arrêt et si elle ne l'avait pas fait dans le même temps contre les deux camps en présence, parce qu'on l'aurait accusée soit d'antisémitisme d'un côté, soit de protéger les puissants de l'autre", relève l'avocat, admis à plaider devant la Cour pénale internationale. "C'était la bonne solution et la gestion de la communication du bureau du procureur, assez offensive, répond à l'enjeu des circonstances."

Interrogé sur la réaction des Etats-Unis qui ont dénoncé le "scandaleux" mandat d'arrêt réclamé contre le Premier ministre israélien, Philippe Currat relève que Washington a beaucoup varié dans ses positions vis-à-vis de la Cour. "D'un côté, on a un relativement fort soutien lorsqu'il s'agit d'attaquer la Russie dans le cadre du conflit ukrainien, et d'un autre, on a un recentrage par rapport à la situation en Israël et en Palestine. Il y a un double discours envers la CPI qui est assez clair."

L'attaque du 7 octobre, "un marqueur dans l'histoire"

Alors que les violences entre Israël et l'Etat palestinien durent depuis de nombreuses années, comment expliquer la décision de la CPI aujourd'hui? "Parce qu'on a cet événement qui est un marqueur dans l'histoire du conflit, l'attaque du 7 octobre par le Hamas, d'une violence extrême qu'on n'avait jamais connue. Et la réponse d'Israël, parfaitement disproportionnée, est d'une ampleur telle qu'elle appelle également une réaction", note Philippe Currat.

Les juges de la CPI doivent à présent décider s'ils émettent les mandats d'arrêt. Subissent-ils des pressions? Les pressions internationales sur la Cour remontent à des décennies, explique-t-il. Les Etats-Unis ont déjà pris des sanctions, notamment contre la procureure Fatou Bensouda. Les Russes ont aussi pris des sanctions. "Il va évidemment y avoir encore un niveau de pression supérieur dans ce contexte-là. Mais le procureur a pris ses précautions. Il dispose d'éléments, de preuves qui ont été récoltés par son bureau depuis le début du conflit. Tout ce qui se trouve sur les médias, les déclarations des dirigeants de part et d'autre sont des éléments de preuve qu'il peut prendre en considération."

Groupe d'experts

Et fait unique, le procureur s'est fait assister d'un groupe d'experts qui a mené une analyse indépendante de la situation et qui a publié son rapport en marge de l'annonce même par le bureau du procureur de ces demandes de mandats d'arrêt. "Cela donne l'impression qu'il a voulu blinder sa position."

Le fait de rendre des mandats d'arrêt contre des dirigeants aura des conséquences sur leur liberté de mouvement. "On a vu que Vladimir Poutine a restreint ses déplacements et ne se rend pas dans certains endroits de peur d'être potentiellement arrêté. A l'évidence, cela aura ce type de conséquences sur Benjamin Netanyahu s'il reste au pouvoir et davantage encore s'il le perd", conclut Philippe Currat.

Propos recueillis par Pietro Bugnon

Adaptation web: France-Anne Landry

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