C'est l'une des images fortes des Jeux olympiques de Paris: l'athlète de breakdance Manizha Talash qui déploie lors du premier tour de la compétition une cape bleue en forme d'ailes.
Sur cet étendard était écrit en lettres blanches "Free Afghan women" ("Libérez les femmes afghanes"). Si le public a chaudement applaudi cette démarche, le CIO, lui, a estimé que l'intervention était contraire au règlement et a disqualifié la jeune Afghane.
La RTS a rencontré Manizha Talash dimanche lors d'un évènement organisé par le collectif N'oubliez pas l'Afghanistan. Ce groupe se bat pour qu'on continue de parler de la situation sur place et particulièrement celle des femmes dans ce pays gouverné depuis trois ans par les talibans.
Des obstacles sur la route
La sportive de 21 ans est l'une des rares femmes à s'être fait une place dans une discipline dominée par les hommes dans son pays.
Devenir une sportive de haut niveau fut un chemin semé d'embûches, même avant que les talibans ne prennent Kaboul en août 2021. Manizha Talash, qui vit dans la capitale, a découvert le breakdance une année auparavant dans la vidéo d'un rappeur afghan. Alors âgée de 17 ans, elle le contacte sur Facebook et commence à s'entraîner avec son groupe, seule femme dans une troupe de 55 hommes.
Très vite, la nouvelle se répand et le club reçoit des menaces de mort. Trois bombes explosent à proximité du club, que la police finit par fermer.
Les talibans multiplient les interdits
Mais la danseuse poursuit son entraînement… jusqu'à ce que les fondamentalistes islamistes arrivent au pouvoir il y a trois ans et interdisent aux femmes une multitude de choses, dont le sport.
Manizha Talash, elle, a fui son pays. Elle explique ne pas être partie par peur des talibans, mais pour pouvoir vivre son rêve. La jeune femme a d'abord trouvé refuge au Pakistan puis en Espagne avec ses deux frères.
En Europe, l'athlète a continué à danser et a pu se préparer pour les Jeux olympiques pour enfin devenir membre de l'équipe des réfugiés.
Une cause à défendre
Elle a en partie sacrifié son rêve pour faire passer son message. Mais Manizha Talash ne regrette rien. "Je ne veux pas paraître prétentieuse et me présenter comme une personne importante. Mais je pense que la cause des Afghanes est importante et doit être défendue. J'ai d'autres rêves et j'y arriverai par la suite", déclare-t-elle.
Le soutien que m'ont apporté les femmes afghanes vaut la médaille d'or
La jeune femme explique avoir longuement réfléchi à une façon de porter un message. Sa cape est une burqa, vêtement symbole d'oppression, devenant des ailes, symbole de liberté.
Elle explique aussi avoir beaucoup pensé à ce qu'elle allait écrire sur le tissu. "Pour moi, ces trois mots étaient très importants, car on y retrouve les femmes, la liberté et l'Afghanistan", souligne-t-elle. "Même si j'avais su que cette action conduirait à me faire éliminer de la compétition, je l'aurais tout de même fait. Si c'était à refaire, je le ferais encore. Le soutien que m'ont apporté les femmes afghanes vaut la médaille d'or", assure-t-elle.
Pas de politique durant les jeux
L'article 50 de la Charte olympique interdit aux athlètes d'exprimer leurs opinions politiques pendant les Jeux. Le CIO a donc jugé que cette cape violait le règlement.
Les défenseurs des droits des femmes afghanes estiment de leur côté que cette décision est une occasion manquée de montrer la solidarité de la communauté internationale.
Manizha Talash estime pour sa part que son message n'était pas politique à proprement parler, mais simplement "humain". Peu importe, d'ailleurs, car ce message est passé, et c'est le plus important pour elle. A ses yeux, les conséquences sont plus positives que négatives: "Lorsque je faisais du breakdance en Afghanistan, on me connaissait à l'étranger, mais pas en Afghanistan. Ceux que je connaissais me disaient que j'aurais plutôt dû aller faire le ménage. Aujourd'hui, la situation a changé. Ces mêmes personnes me disent qu'elles sont fières de moi", raconte-t-elle.
Porter la voix des femmes réduites au silence
"J'ai fait la Une d'un journal après la compétition olympique. Je me suis rendu compte que c'était l'opportunité de porter la voix des femmes afghanes. Je voudrais le faire de la meilleure manière possible", dit-elle encore.
Son témoignage résonne avec l'actualité dans son pays, car les talibans ont franchi un cap dans l'invisibilisation des femmes. Désormais, si elles veulent sortir de chez elles, elles doivent se couvrir entièrement le corps et le visage, et se taire. Elles n'ont plus le droit de parler ou de chanter en public. Manizha Talash, comme d'autres exilées, se sent d'autant plus investie de la mission de passer un message pour celles qui sont empêchées d'en faire de même.
Dimanche, elle a demandé, les larmes aux yeux, aux Afghanes de ne pas abandonner leur combat pour récupérer leur liberté et, surtout, de ne pas désespérer.
Sujet radio: Ariane Hasler
Texte web: Antoine Michel