Marlene Engelhorn, la jeune millionnaire autrichienne qui redistribue 90% de son héritage
Issue d'une famille d'industriels qui a fait fortune au XIXe siècle, Marlene Engelhorn considère que l'argent hérité de sa grand-mère multimilliardaire décédée en 2022 est "injuste".
"Je n'ai pas pu m'en réjouir. Pourquoi est-ce qu'on décide qu'être née dans une certaine famille me place dans une situation complétement différente de 99% des autres personnes et me rend puissante? C'est un hasard", confie-t-elle, jeudi dans l'émission de la RTS Tout un monde.
Et de poursuivre: "Je ne sais pas pourquoi, dans une société démocratique, on ne règle pas ce 'hasard'. Les impôts, eux, peuvent gérer ces flux d'argent et les redistribuer. Il aurait fallu me taxer (l'Autriche ne dispose pas de droits de succession, NDLR). L'imposition pourrait être très large, car ce qui reste à la fin est toujours en plus. On ne perd donc pas."
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La trentenaire a opté pour une approche démocratique inédite en confiant la décision de la redistribution de 90% de cet héritage, soit 25 millions d'euros, à un conseil citoyen. "Par le passé, j'ai fait des redistributions lors desquelles j'ai décidé qui recevait de l'argent. Mais qui suis-je pour décider? Il n'y a aucune légitimité là-dedans", explique-t-elle.
"Lâcher du pouvoir"
Cinquante personnes ont ainsi été sélectionnées pour former ce conseil, selon des critères visant à représenter fidèlement la société autrichienne. "J'ai essayé de voir comment on pouvait reproduire des moyens démocratiques avec les gens qui sont à la fin affectés par les décisions, afin de créer un moyen de redistribution qui prend au sérieux l'idée de ne pas seulement 'lâcher' de l'argent, mais le pouvoir qui va avec. En tant que citoyens, il faudrait que nous soyons invités aux tables autour desquelles les décisions sont prises", estime Marlene Engelhorn.
Il y a du stress, car nous avons une grande responsabilité. Mais je trouve les discussions passionnantes
Les discussions, qui ont commencé en mars, s'étendent sur six week-ends. Des experts sont présents pour aider les membres du conseil sur certains points techniques, mais Marlene Engelhorn reste en-dehors du processus. Elle a seulement imposé une règle: l'argent ne pourra pas être redistribué à des personnes ou activités contraires à la Constitution, méprisant la vie humaine ou orientées vers le profit.
Gerhard Seidl, un électricien viennois de 52 ans, est l'un des membres: "Il y a du stress, car nous avons une grande responsabilité. Mais je trouve les discussions passionnantes. Chacun est venu avec une idée, mais beaucoup ont déjà été abandonnées pour parvenir à un consensus. On commence déjà à parler des règles fiscales et des changements possibles. On fait de la politique de manière plus directe."
Ouvrir une réflexion plus large
L'objectif de cette redistribution est non seulement de répartir 25 millions de francs, mais aussi de susciter un débat sur une plus juste redistribution des richesses en Autriche et, espère Marlene Engelhorn, en Europe. "Je fais partie de l'European Citizens' Initiative (Initiative citoyenne européenne) qui vise à récolter des signatures pour demander au Parlement européen de débattre de la taxation des riches. C'est un débat très complexe qu'il faut mener à tous les échelons – communal, régional, national, international", explique-t-elle.
Les résultats du conseil citoyen sont attendus d'ici au 9 juin, en parallèle des élections européennes, ce qui pourrait donner une résonance supplémentaire à la démarche de Marlene Engelhorn.
Isaure Hiace/vajo