Le "Chikyu", un navire scientifique colossal de 210 mètres de long et 40 mètres de large, a quitté Shizuoka, au sud de Tokyo, le 6 septembre dernier pour une mission exceptionnelle. Ce navire japonais, dont le nom signifie "la planète Terre", a pour mission de sonder les profondeurs de l’océan Pacifique pour analyser si les forces tectoniques continuent de s'accumuler depuis le tremblement de terre de mars 2011.
Ce bateau est spécialement conçu pour forer à des profondeurs extrêmes, a expliqué lundi dans l'émission Tout un monde le directeur chargé des opérations de forage et membre l’institut public Jamstec Nobu Eguchi. "Pour pouvoir assembler à la verticale un tuyau d’un total de 8000 mètres de long, soit 8 kilomètres, il faut un bateau de cette dimension, sinon c’est impossible."
La zone d'interaction de deux plaques
La mission a pour objectif d’explorer le confluent de deux plaques tectoniques, une zone géologiquement instable au large du Japon. Les chercheurs veulent comprendre comment l’interaction entre les deux plaques évoluent treize ans après le séisme de magnitude 9 qui a dévasté la région.
"Nous voulons savoir si, après la survenue d’un énorme séisme, les forces continuent de s’accumuler ou non", souligne Shuichi Kodaira, un des chefs de la mission. Il précise que le défi de l'expédition réside dans la profondeur des forages et la complexité géologique de la zone. "La plus grosse difficulté est qu’il y a 7000 mètres de profondeur marine et que nous forons dans la roche à la verticale sur 950 mètres pour aller prendre des échantillons."
Une première mission en 2012
Une première mission menée en 2012 avait déjà révélé l'ampleur des déplacements tectoniques. Dans cette zone dite de subduction, où la plaque pacifique s'enfonce sous la plaque nord-américaine, cette dernière avait été déplacée de 50 mètres à l'horizontale et de 10 mètres en hauteur, provoquant le drame de 2011.
Les chercheurs ont compris alors que les deux plaques étaient séparées par une couche d’argile très glissante, qui favorise les mouvements importants des plaques. "De nombreux chercheurs regardent avec intérêt cette occasion unique de récolter ici des données extrêmement précieuses pour comprendre pourquoi des séismes de cette ampleur se produisent en zone de subduction", poursuit Shuichi Kodaira.
Recherches faites directement à bord
À bord du "Chikyu" s'affaire une équipe de 200 personnes, dont plusieurs dizaines d'ingénieurs internationaux spécialisés dans la manipulation extrêmement précise d’engins de forage.
Les échantillons de roche prélevés 950 mètres sous le fond de l'océan pourront être immédiatement analysés dans le laboratoire du navire par une équipe d'une trentaine de chercheurs de divers pays présents à bord. Cette rapidité est cruciale car les conditions initiales des prélèvements changent rapidement une fois à la surface.
"Sous la mer, il existe une pression qui disparaît à la surface et plus le temps passe, plus les conditions initiales du prélèvement disparaissent. Il y a aussi des micro-organismes qui vivent dans ces profondeurs et, pour les étudier, il faut que les chercheurs spécialisés les récupèrent tout de suite. De même, l’eau contenue dans les roches prélevées doit aussi être analysée sans délai juste après avoir été extraite avant qu’elle ne se dégrade, précise Nobu Eguchi.
Le Japon, situé au confluent de quatre plaques tectoniques, est l’un des pays les plus exposés aux séismes, avec environ 20% des plus violents tremblements de terre mondiaux recensés chaque année. Bien que ces mouvements tectoniques soient encore impossibles à prédire, les données collectées lors de cette mission pourraient fournir des indices précieux sur le comportement des zones de subduction. Comprendre les mécanismes des séismes de cette ampleur est essentiel pour renforcer la prévention des catastrophes.
Sujet radio: Karyn Nishimura
Texte web: Fabien Grenon