"Le Niger appartient au peuple nigérien, pas à la communauté internationale", lançait dans une foule en liesse un habitant de Niamey le 27 juillet 2023. Des drapeaux français étaient brûlés dans les rues, en signe de protestation contre la présence des forces armées occidentales engagées dans la lutte contre le djihadisme. "On est contre les bases françaises et américaines, on n’a pas besoin d’eux", résumait alors un manifestant dans La Matinale de la RTS.
Plus d’un an après, ce vœu a été partiellement exaucé. Le gros des forces armées occidentales a aujourd'hui quitté la région du Sahel. Les troupes françaises, américaines ou de l'ONU ont été remplacées par les militaires locaux et des civils réquisitionnés pour combattre. De nouveaux acteurs gagnent aussi en importance.
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"Le rôle de la Russie, de la Turquie et de la Chine s’est accru dans ces trois pays, où leur présence n’est pas si nouvelle", observe dans La Matinale Hassane Koné, chercheur principal au sein de l’Institut d’études de sécurité, basé à Dakar. "Au Mali, ils participent aux combats, alors qu’au Burkina Faso et au Niger, ils contribuent plutôt à de la formation et à fournir des équipements militaires."
Niger, Burkina Faso et Mali ont aussi tourné le dos à leurs voisins africains de la Cedeao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), pour former leur propre confédération, l’Alliance des Etats du Sahel.
Dégradation sécuritaire
Malgré ces reconfigurations, la situation sécuritaire au Sahel a empiré ces derniers temps, d’après Hassane Koné. Pas plus tard que samedi dernier, le Burkina Faso vivait l’une des attaques djihadistes les plus meurtrières de son histoire, avec plus de 100 civils tués, selon des sources humanitaires.
Ces régimes ont mis un couvercle sur le débat politique, l’activité de la presse et des médias
Les autorités militaires des trois pays refusent généralement de communiquer les bilans des attaques terroristes. Mais selon les données de l’Acled, une organisation qui recense les conflits dans le monde, le nombre de victimes civiles a augmenté au Sahel par rapport aux six mois précédents, avec plus de 3000 morts dans des attaques ciblées entre janvier et juin. Un pic d’assauts a été enregistré en février, avec une moyenne de onze incidents quotidiens.
Au Niger, c’est ainsi le 8% de la population qui est exposée au conflit, toujours selon l’Acled. Au Mali, cette part s’élève à 14%.
Des militaires installés pour durer
Ces gouvernements militaires de transition, en place depuis un, deux ou trois ans, pourraient bien se maintenir au pouvoir, selon Yvan Guichaoua, chercheur indépendant, spécialiste du Sahel et des questions de sécurité. "Ces régimes ont mis un couvercle sur le débat politique, l’activité de la presse et des médias. Ils font en sorte de pérenniser leur transition."
Ces populations font preuve d’une sorte de résilience
Aux yeux du chercheur, parler de transition n'est d’ailleurs plus approprié. "Ces militaires sont là pour durer et n’ont pas l’intention de transférer le pouvoir à des civils dans un avenir proche."
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Le désenchantement guette
Les coups d’Etat successifs au Sahel avaient suscité beaucoup d’enthousiasme au sein de la population, et malgré des conditions de vie très difficiles, les militaires parviennent à maintenir une certaine adhésion, estime Hassane Koné.
"Ces populations font preuve d’une sorte de résilience", constate le chercheur qui se rend régulièrement dans la région. "Elles se reconnaissent dans le discours des putschistes et sont très réceptives à la rhétorique souverainiste, panafricaniste, antifrançaise, qui est bien structurée et efficacement utilisée."
"On constate que lors d’appels à manifester les foules sont beaucoup moins nombreuses", nuance Yvan Guichaoua. "C’est peut-être un petit signe de désenchantement face à l’échec sécuritaire mais aussi économique des putschistes." Les coupures d’électricité récurrentes au Mali ont par exemple causé du tort au gouvernement, illustre le chercheur.
Julie Rausis
Le Sahel, un désert médiatique
L’accès à l’information est rendu très difficile, constate Hassane Koné, chercheur à l’Institut d’études de sécurité. Selon lui, les espaces civiques et d’expression ont été considérablement réduits au Niger, au Burkina Faso et au Mali.
Ces restrictions et l’insécurité ont poussé la plupart des journalistes internationaux à quitter la région. Les journalistes locaux, eux, doivent contourner ces difficultés. "Au Mali par exemple, au début de cette année, il y a eu une interdiction de toute activité à caractère politique", raconte Pauline Bend de la Fondation Hirondelle, qui mène trois projets au Sahel. Les journalistes cherchent alors d’autres manières de couvrir l’actualité politique du pays, notamment en interrogeant par exemple des experts sur les enjeux.
Pour pérenniser ses trois radios au Sahel, la Fondation Hirondelle se recentre davantage sur le journalisme de proximité. Ces derniers jours, les inondations étaient ainsi au cœur des journaux de Studio Kalangou au Niger.