"Dans les hôpitaux où nous opérons, nous n'avons pas vu la présence du Hamas", assure la coordinatrice de MSF
Dernier grand établissement qui était encore opérationnel au nord de l'enclave assiégée, l'hôpital Kamal Adwan de Beit Lahia a été "mis hors service" samedi par un raid de l'armée israélienne, selon l'OMS. Les patients et le personnel médical ont été évacués tandis que des services-clé ont été incendiés et détruits, précise l'organisation, qui se dit "consternée".
Citant le directeur de l'hôpital, le ministère gazaouis de la Santé a affirmé de son côté que l'armée israélienne a "mis le feu à tous les services de chirurgie de l'hôpital". Quant au directeur de l'hôpital, il a été fait prisonnier par l'armée israélienne, qui l'accuse d'être un membre du Hamas.
L'armée israélienne a aussi bombardé dimanche deux hôpitaux de Gaza-City, al-Wafa et al-Ahli, déjà présumés hors service. À al-Wafa, sept personnes ont été tuées et d'autres grièvement blessées.
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Aucun accès à Gaza-Nord
Dans ce contexte, l'accès aux soins "n'existe plus" dans le gouvernorat de Gaza-Nord, alerte la coordinatrice d'urgence pour Médecins sans Frontières (MSF) à Gaza Amande Bazerolle. "Nous n'y avons quasiment plus accès", de même que l'OMS ou le CICR, explique-t-elle dimanche dans Forum.
"Ils n'ont plus de médicaments ni de ressources pour faire fonctionner les hôpitaux, de l'eau potable ou de l'essence pour les générateurs. Dans ces conditions, on ne peut faire que de la médecine de guerre", poursuit-elle.
Quant aux informations sur la situation sur place, "en l'absence de journalistes internationaux, auxquels on ne donne pas l'accès à Gaza, on se contente des réseaux sociaux qui nous abreuvent d'informations qu'il faut ensuite confirmer" via différentes personnes qui ont pu avoir accès à la région.
Dans les hôpitaux dans lesquels nous opérons, nous n'avons pas constaté de présence du Hamas. Et MSF n'accepterait jamais de rester dans ces hôpitaux s'il y avait des combattants actifs
Pour expliquer son attaque contre l'hôpital Kamal Adwan, l'armée israélienne assure que celui-ci servait de "centre de commandement du Hamas". Elle affirme y avoir trouvé des armes et avoir abattu une vingtaine de "terroristes", dont certains se seraient fait passer pour des patients.
Amande Bazerolle se montre toutefois sceptique sur cette justification, régulièrement brandie par Israël depuis le début de son invasion de Gaza. "Nous étions présents à [l'hôpital] al-Shifa, et quand nous y étions, nous n'avons jamais vu ça. Nous sommes de retour à al-Nasser, qui a été assiégé un moment, nous pouvons nous balader dans toutes les ailes de l'hôpital et nous n'avons pas vu ça."
"Aujourd'hui, dans les hôpitaux dans lesquels nous opérons, nous n'avons pas constaté de présence du Hamas. Et MSF n'accepterait jamais de rester dans ces hôpitaux s'il y avait des combattants actifs", résume-t-elle.
On ne peut pas dire que les ONG soient délibérément ciblées, mais le système de santé est clairement pris à partie dans ces guerres
L'ONU a dénoncé en octobre des attaques "délibérées" de l'armée israélienne contre des ambulances et des centres de secours au Liban. Et dans le sud de Gaza, MSF a été victime de tirs très proches de leurs structures. Pour Amande Bazerolle, s'il est difficile d'affirmer que les ONG internationales soient ciblées à dessein, il est "évident" que les insignes humanitaires ne protègent plus.
"Que ce soit au Liban où à Gaza, nous partageons toutes nos données avec les Israéliens. Et ça ne nous protège pas. Des hôpitaux dans lesquels nous étions présents ont été ciblés. Au Liban, c'est pareil. En dépit du partage de nos coordonnées GPS et de l'annonce préalable de nos mouvements quotidiens, on se voit quand même pris à partie et pris dans des feux croisés", fustige-t-elle. Donc "on ne peut pas dire que les ONG soient délibérément ciblées, mais le système de santé est clairement pris à partie dans ces guerres."
Propos recueillis par Thibaut Schaller
Texte web: Pierrik Jordan
Des conditions de soin catastrophiques pour MSF
La mission de MSF, basée à al-Mawasi dans le sud du territoire, maintient quelques activités à Gaza-City. Et dans le sud, où se concentre désormais la grande majorité de la population gazaouie, soit quasiment deux millions de personnes, la situation est également insoutenable, confie Amande Bazerolle.
"Aujourd'hui, vu les conditions climatiques, on voit beaucoup de maladies respiratoires dans nos centres de santé. Tout le monde vit sous tente, donc tout le monde a très froid. Trois bébés sont décédés d'hypothermie ces derniers jours. On voit aussi énormément de maladies de peau dues à un manque d'accès à l'eau. Et beaucoup de gens victimes de maladies chroniques doivent consulter toutes les semaines, parce que l'approvisionnement en médicaments est extrêmement difficile, donc on ne peut pas se permettre de leur donner des réserves pour trop longtemps", détaille-t-elle.
De plus, les équipes de MSF doivent composer avec la menace permanente. Mi-décembre, elles ont été prises dans des tirs "très proches", raconte la médecin humanitaire. "Il y a souvent des avis d'évacuation préalables, mais là il n'y en a pas eu. Les tirs continuent d'ailleurs ces derniers jours, à côté de nos structures et de celles du Comité international de la Croix-Rouge."
"Des risques inouïs"
"Nous avons dû prendre en charge des patients qui avaient reçu des balles. Mais après, on a dû fermer parce qu'on était très exposés. Il faut savoir que nous travaillons dans des tentes et rien d'autre. Donc, nous sommes nous-mêmes exposés quand nous travaillons. On ne peut pas garder nos personnels dans ces conditions."
"Nous, les humanitaires, nous acceptons de travailler dans des conditions dans lesquelles on ne travaille jamais", martèle la responsable de MSF. "Aujourd'hui, on considère que quand il y a des tirs à 800 mètres, ça reste acceptable. On ne bouge pas et on continue de travailler. Nulle part ailleurs, on accepterait des conditions pareilles. Mais il n'y a nulle part ailleurs où aller. Les gens ne peuvent pas se déplacer et nous devons rester aux côtés de la population. Donc, nous prenons des risques inouïs que nous n'aurions jamais pris dans d'autres circonstances."