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"Non, je ne veux pas retourner à Gaza, mais s'il faut, j'irai", témoigne un médecin valaisan

Témoignage de Hicham El Ghaoui, médecin établi en Valais et de retour de Gaza
Témoignage de Hicham El Ghaoui, médecin établi en Valais et de retour de Gaza / L'actu en vidéo / 6 min. / samedi à 22:17
Médecin à Verbier, Hicham El Ghaoui est récemment rentré d'un deuxième voyage humanitaire dans "l'enfer" de la bande de Gaza. Peu après son retour en Suisse, la RTS a pu rencontrer l'urgentiste de 40 ans, témoin de l'horreur qui règne dans le territoire palestinien.

Alors qu'Israël limite toujours l'accès des journalistes internationaux à Gaza, les témoignages comme celui d'Hicham El Ghaoui ont valeur d'or. Le médecin, établi en Valais depuis dix ans, le sait, c'est pourquoi il n'hésite pas à prendre la parole dans les médias depuis sa première mission en avril dernier pour raconter les horreurs qu'il a pu voir en Palestine, images à l'appui.

Avec un groupe de seize médecins internationaux de l'ONG Rahma Worldwide, Hicham El Ghaoui a été autorisé par Israël à se rendre une deuxième fois dans les territoires palestiniens. Fort de sa première expérience et conscient des besoins sur place, le médecin d'origine marocaine et né en France avait lancé une collecte de fonds, de médicaments et de matériel médical pour son nouveau projet. Les autorités israéliennes l'ont finalement empêché d'apporter du matériel au-delà du checkpoint.

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"Le plus difficile? L'arrivage quotidien de patients"

Sur place, le médecin formé en Belgique est resté deux semaines aux urgences de l'hôpital Nasser, situé à Khan Younès. Pour lui, le plus difficile n'était pas le manque de matériel, "ce que l'on savait", explique-t-il, mais bien "l'arrivage quotidien" de patients.

"On avait l'impression que ça ne s'arrêtait jamais... un, deux, trois, dix, 20, 30, même 40 qui arrivent en même temps. Parfois, vous n'arrivez même pas à reconnaître si c'est un homme ou une femme, tellement il est en pièces", détaille Hicham El Ghaoui dans le 19h30 de la RTS.

Quand vous arrivez, vous avez beaucoup d'espoir. Mais notre comportement a changé au bout de quelques jours

Hicham El Ghaoui, médecin

De quoi rapidement freiner la motivation des soignants venus prêter main forte à leurs collègues gazaouis. "Quand vous arrivez, vous avez beaucoup d'espoir. Mais notre comportement a changé au bout de quelques jours seulement. On finissait par faire le tri. Si on s'attarde trop sur le côté humain, on perd beaucoup trop de temps. Ça devient des automatismes, ça devient un corps défaillant qu'il faut pouvoir réparer."

Parmi les traumatismes soignés, les blessures par balle "sont moins violentes pour les yeux", confie l'urgentiste valaisan. "Lorsqu'il s'agit d'une explosion, là, les gens arrivent en miettes. Certains arrivent avec les jambes déchiquetées (...) On a des familles qui viennent avec des sacs de viande et qui nous demandent juste d'identifier... mais c'est impossible à faire, on ne peut pas, on ne sait pas. Et ça, c'est quotidien."

Quand c'est plus calme, tout revient"

Certaines images hantent Hicham El Ghaoui, comme lorsqu'il a pris en charge une femme qui marchait dans la rue avec son bébé de neuf mois dans les bras et qui ont été victimes d'un "quadcopter", un drone d'environ un mètre d'envergure muni d'une caméra et d'une mitraillette.

"La mère a reçu une balle dans le thorax, elle avait beaucoup de mal à respirer. Sa fille en a reçu une dans la nuque. On a essayé de la récupérer pour pouvoir la réanimer, mais la mère ne voulait pas la lâcher, elle avait de la force. Et lorsqu'on a réussi à la prendre et faire la réanimation, la petite était déjà morte", se remémore-t-il.

Les yeux humains ne devraient jamais voir ce que j'ai vu

Hicham El Ghaoui

"Lorsque vous faites votre travail, on ne s'attarde pas dessus. Mais le soir, quand c'est plus calme et que vous êtes dans votre chambre, il y a tout qui revient (...) C'est une zone de guerre, alors forcément, il faut être prêt à supporter ce genre d'images, mais elles sont d'une telle violence... on n'est jamais préparé à voir un enfant souffrir ou mourir. Les yeux humains ne devraient jamais voir ce que j'ai vu", poursuit celui qui a voulu s'engager dans l'humanitaire après avoir regardé un reportage sur un père médecin obligé d'amputer sa fille sans anesthésie dans son salon.

Hicham El Ghaoui avoue aussi avoir eu de la peine à supporter les cris, en particulier des enfants: "Quand vous n'avez pas les drogues qu'il faut pour pouvoir les calmer, vous devez juste supporter les cris. C'est terrible, surtout parce qu'un enfant ne comprend pas pourquoi il a mal. Les adultes, on ne les entend pas."

Une résilience qui s'effrite

Si lors de son premier voyage en avril dernier, Hicham El Ghaoui louait la résilience "infinie" des Gazaouis, son discours a changé au retour de sa deuxième mission. Trois mois de guerre plus tard, le médecin estime qu'elle a ses limites. "En avril, on me disait 'Ok, filme-moi, j'ai un message à passer'. Et aujourd'hui, quand vous voulez filmer, ils disent non, parce qu'ils estiment que le monde ne les aidera pas, que le monde les a oubliés."

Les habitants veulent que ça s'arrête, quitte à mourir

Hicham El Ghaoui

"Les habitants veulent que ça s'arrête, quitte à mourir. Certains préfèrent mourir que de continuer à vivre dans ces conditions", développe-t-il.

Au cours de sa mission, le médecin du val de Bagnes s'est rarement senti en danger. Il note toutefois un changement par rapport à son premier passage: "Dès qu'on pénètre dans Gaza, chose qu'il n'y avait pas en avril, on tombe sur des centaines de pilleurs. Là, on se rend compte à quel point c'est le chaos. Il n'y a plus du tout de sécurité, plus de police. Ils vous bloquent la route avec des fils barbelés et essaient d'entrer dans le bus. C'est peut-être le moment où nous nous sommes sentis le moins en sécurité."

"Il y a de l'amour à Gaza, des belles choses"

Hicham El Ghaoui retournera-t-il une troisième fois à Gaza? "On me pose souvent la question. Non, je ne veux pas y retourner. C'est l'enfer. Je ne souhaite à personne d'y aller. Mais s'il le faut, j'irai. Parce que rester ici tout en sachant ce qui se passe là-bas, si je peux y aller, amener du matériel, former les jeunes médecins et que ça aide, alors j'y retournerai à contrecœur, parce que bien sûr que c'est risqué. Vous risquez votre vie, ça vous traumatise. Un cerveau normal ne peut pas revenir de là-bas et dire tout a été bien", explique ce père de trois petites filles.

Avant de conclure: "Il y a de l'amour à Gaza. Il y a des belles choses là-bas. Et lorsque vous revenez et que vous continuez à voir des vidéos qui circulent dans les réseaux, que vous reconnaissez certaines personnes avec qui vous avez échangé, rien n'est comme avant. Avant, c'étaient des inconnus. Et là, vous vous rendez compte que ce sont des gens normaux qui ont juste besoin d'aide."

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Propos recueillis par Romain Boisset

Article web: Jérémie Favre

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