Notre-Dame de Paris, joyau de l'art et de l'architecture rendu au monde
L'après-midi du 15 avril 2019, un incendie qui devient rapidement gigantesque démarre dans les combles de Notre-Dame de Paris. Le toit de l'édifice est en flammes. Les images sont extrêmement impressionnantes. Peu avant 20 heures, la flèche de la cathédrale s'effondre dans une pluie de feu.
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Rapidement après la catastrophe, le président français Emmanuel Macron promet une reconstruction de l'édifice en cinq ans. Après un premier débat sur l'opportunité de reconstruire sans rien changer, ou au contraire d'accepter l'incendie comme une part de l'histoire du monument en remplaçant les parties perdues par un geste architectural contemporain pour marquer la période, il a été décidé de rénover à l'identique la charpente et la flèche, avec des matériaux d'origine [lire aussi l'encadré "Principaux éléments de la cathédrale touchés ou épargnés par les flammes"].
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Techniques ancestrales
Un chantier titanesque de 700 millions d'euros s'engage pour faire renaître le monument de ses cendres. Un défi technique, mais aussi humain: une vingtaine de corps de métiers travaillent à la restauration, utilisant des techniques ancestrales pour les charpentes et la pierre.
"La cathédrale, on la connaissait bien, elle était documentée", a expliqué mercredi dans La Matinale de la RTS le maître d'ouvrage du chantier de restauration Philippe Jost. Cependant, "certains ornements en plomb qui ont fondu pendant l'incendie n'avaient pas forcément toute la documentation. Il a fallu faire au plus proche", explique-t-il.
Sauvegarder les savoir-faire
Charpente, pierre de taille, ferronnerie: pour les entreprises de la restauration d'édifices, le chantier de la cathédrale Notre-Dame est une aubaine. "Nous avons besoin de chantiers au quotidien pour pouvoir transmettre nos savoir-faire, pour qu'ils ne s'éteignent pas", résume Richard Boyer, coprésident du groupement français des entreprises de restauration des monuments historiques.
Nous avons besoin de chantiers pour transmettre nos savoir-faire, pour qu'ils ne s'éteignent pas
"Il n'y a pas de maintien de savoir-faire sans travaux de restauration", insiste aussi François Asselin, patron d'une entreprise de menuiserie et de charpente spécialisée dans la restauration de monuments historiques, qui participe au chantier de Notre-Dame. Une fois perdu, il serait "très compliqué" de le retrouver. Dans un tel cas, la restauration ne se serait sans doute pas faite à l'identique, mais avec des "techniques industrielles", souligne-t-il.
"Toute la charpente du cœur et de la nef a été refaite en chêne. On met ça sur tréteaux, on les bloque. Après, on dessine dans la grume [tronc ou portion de tronc pas encore équarrie, ndlr] la future poutre qu'on va avoir", détaille Brieuc de Keranflec'h, charpentier sur le chantier. "Ensuite, on vient s'approcher de nos traits qui représentent les futures faces de la poutre avec des cognées, de grandes haches avec des longs manches. On fait sauter le maximum de matière. Enfin, avec des haches plus courtes, des doloires, on vient finir pour avoir un aspect propre."
A relever qu'une partie du bois utilisé pour la charpente est passé par la scierie du groupe Corbat à Vendlincourt (JU). L'entreprise ajoulote a contribué au sciage d'une trentaine de chênes nécessaires pour la nef, la flèche et le choeur de la cathédrale.
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Une réouverture qui dépasse le cadre religieux
Si Notre-Dame reste avant tout un lieu de culte, sa réouverture revêt une dimension qui dépasse le cadre religieux. Certains choix font débat, comme le remplacement d'une partie des vitraux du XIXe siècle par de nouvelles créations contemporaines [lire l'encadré "Les vitraux de la controverse"].
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Fortement touchée par l'incendie, une bonne partie de la population de Paris, et même de bien au-delà, se passionne pour la reconstruction de l'édifice. Elle est rapidement associée à l'évolution du projet, notamment par le biais d'un magazine décliné sur internet, qui détaille l'avancement des travaux et les enjeux de la reconstruction, de la recherche de pierres adéquates pour reconstruire les voûtes au choix de plus de 1000 grands chênes pour la charpente, en passant par les travaux sur le grand orgue.
Pendant plus d'un an, une exposition à la Cité de l'architecture et du patrimoine de Paris présente également le projet de restauration et la nature des travaux en cours ainsi que des objets, notamment le coq endommagé et les statues de la flèche sauvées par un heureux concours de circonstances.
Lumineuse comme jamais
Lorsqu'ils entreront dans la cathédrale, fidèles et visiteurs découvriront un axe central épuré, un tout nouveau mobilier liturgique minimaliste en bronze brun et un mur-reliquaire contemporain en bois de cèdre avec des pavés de verre formant une auréole et abritant la couronne d'épines du Christ. Mille cinq cents chaises au design ajouré en chêne massif s'y ajoutent. Un nouvel aménagement des chapelles constituera un chemin de pèlerinage.
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On dit la cathédrale lumineuse comme jamais: encrassés par l'incendie et le temps, les murs ont retrouvé la blondeur de leurs pierres. Beaucoup d'observateurs qui ont déjà pu pénétrer dans la cathédrale rénovée ont été frappés par la blancheur, la lumière, le côté immaculé qui se dégage nouvellement de l'édifice.
Un tournant dans l'architecture des cathédrales
"Ça frappe, c'est vraiment un choc esthétique", confirme l'ancienne directrice du patrimoine au ministère de la Culture français Maryvonne de Saint Pulgent. Les travaux ont mis en lumière ce qui constitue "l'une des gloires architecturales de Notre-Dame: l'élévation extraordinaire de sa nef, soulignée par les piliers qui délimitent l'espace de la nef elle-même et la lumière des vitraux", relève-t-elle dans La Matinale.
Pour la spécialiste, Notre-Dame de Paris "a fait école pour la génération suivante des cathédrales gothiques, celles du XIIIᵉ siècle, puisque c'est la plus ancienne des grandes cathédrales. C'est elle qui commence la course au gigantisme qui va se poursuivre". Avec "sa silhouette et l'harmonie de sa façade, qui ont là aussi marqué les esprits" dès le Moyen Age, la cathédrale est "un élément très précieux de notre histoire de l'architecture", conclut Maryvonne de Saint Pulgent.
Sujet radio: Miruna Coca-Cozma
Article web: Vincent Cherpillod avec Julie Marty et l'afp
Les vitraux de la controverse
Modernisation ou reconstruction à l'identique? Certaines décisions liées au chantier de Notre-Dame de Paris ont entraîné de fortes divergences de points de vue, notamment la conservation ou le remplacement d'une partie des vitraux conçus lors de la grande restauration de la cathédrale par l'architecte français Eugène Viollet-le-Duc au XIXe siècle.
A l'horizon 2026, des vitraux contemporains espérés notamment par Emmanuel Macron doivent remplacer cinq des six baies du bas-côté sud de Notre-Dame (côté Seine), pas endommagées par l'incendie mais très encrassées. Objectif: laisser une trace du XXIe siècle pour marquer la période de l'incendie et de la restauration.
Satisfaire les goûts d'Emmanuel Macron?
Le fondateur du journal en ligne La Tribune de L'art et auteur de l'enquête "Notre-Dame – Une affaire d'Etat" Didier Rykner s'en est ému: "Ils sont classés Monument historique, n'ont pas souffert de l'incendie et ont été restaurés avec l'argent des donateurs, donc peut-être avec de l'argent provenant de Suisse donné pour les restaurer", a-t-il dénoncé mercredi dans La Matinale de la RTS. "On veut les mettre dans des caisses et les remplacer par des vitraux contemporains uniquement pour satisfaire les goûts du président de la République française". Il a lancé une pétition en ligne contre ce projet, qui a déjà recueilli près de 240'000 signatures.
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Les nouveaux vitraux font actuellement l'objet d'un concours qui s'est achevé fin novembre. Aucun n'a encore été dévoilé, contrairement à ce que laissent penser de fausses rumeurs répandues sur internet par les milieux ultra-conservateurs voulant faire croire qu'ils ont déjà été choisis, l'un montrant le diable, un autre deux hommes qui s'embrassent.
Remplacer ces vitraux serait une atteinte au droit moral d'Eugène Viollet-le-Duc, l'un des plus grands architectes de l'histoire
Maryvonne de Saint Pulgent, ancienne directrice du patrimoine au ministère de la Culture français, est du même avis. "Il ne faut évidemment pas les remplacer, ils sont en parfait état. C'est conforme à la doctrine internationale sur le patrimoine", a-t-elle argué mercredi au micro de La Matinale, ajoutant que des "éléments contemporains" avaient déjà été ajoutés ailleurs dans l'édifice: "Tout le mobilier liturgique est renouvelé. Il y a un nouveau reliquaire pour la Sainte Couronne...", note-t-elle.
Maryvonne de Saint Pulgent estime même que remplacer ces vitraux serait "une atteinte au droit moral d'un des plus grands architectes de l'histoire de l'architecture qui est Eugène Viollet-le-Duc".
L'ancienne directrice du patrimoine ajoute encore que la reconstruction de Notre-Dame de Paris n'est pas terminée. Le délai de cinq ans promis par Emmanuel Macron, qui a été respecté, ne portait que pour sa réouverture au culte et à la visite, précise-t-elle. "Mais les travaux, eux, ne sont pas du tout terminés. Ils vont se prolonger sur l'extérieur jusqu'en 2030", avec ce qu'il reste des dons, précise-t-elle. Mais cela "ne suffira sans doute pas à remettre la cathédrale dans un état parfait", conclut-elle.
Principaux éléments de la cathédrale touchés ou épargnés par les flammes
Détruit:
- La flèche construite par Viollet-le-Duc, qui s'est effondrée du haut de ses 93 mètres. Elle ne faisait pas partie du monument d'origine mais a été inaugurée en 1859 – soit près de 30 ans après la parution du roman "Notre-Dame de Paris" de Victor Hugo, par exemple. Elle succédait à une flèche médiévale démontée plusieurs décennies auparavant en raison de sa vétusté.
- La charpente, dite "la forêt", joyau de l'architecture médiévale, a aussi été dévorée par les flammes. Parmi les autres destructions notables, la couverture du grand comble, une partie de la voûte, ainsi que le plateau liturgique et le mobilier liturgique du XXe siècle ou encore les chaises du XXe siècle situées dans la nef.
Endommagé:
- L'ancien coq, posé en 1859 et restauré en 1935, a été retrouvé entier mais cabossé parmi les décombres. Il a été remplacé par un nouveau gallinacé qui contient des reliques sauvées de l'incendie – un fragment de la couronne d'épines du Christ, des ossements de Saint-Denys et de Sainte-Geneviève – et un tube scellé dans lequel sont inscrits les noms de toutes les personnes ayant pris part à la reconstruction, soit près de 2000.
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- Les trois pignons, nord, sud et ouest, ainsi que leurs décors sculptés ont été endommagés, de même qu'une partie du beffroi nord; deux des huit cloches qu'il abrite ont été rénovées après avoir souffert de la chaleur.
- Cinq grandes chimères d'Eugène Viollet-le-Duc provenant de l’angle nord-est de la tour sud; la croix du chevet, seul élément de la couverture du choeur ayant survécu aux flammes; le sol de la nef et les deux bras du transept; l'orgue de choeur ont dû être restaurés.
Sauvé:
- Les reliques, dont les plus emblématiques sont la couronne d'épines, la relique du clou et le bois de la croix, ont été sauvées, évacuées dans un ordre de priorité préalablement établi. Les objets sacrés du trésor, conservés dans la sacristie, sont également indemnes.
- La Vierge à l'Enfant, ou Vierge du pilier, a été retrouvée intacte au milieu des décombres, mais recouverte de poussière de plomb.
- L'orgue principal, plus grand orgue de France, a également été recouvert de poussière de plomb. Il a été nettoyé, ses 8000 tuyaux remontés et harmonisés.
- Le grand tapis du choeur n'a souffert ni des flammes ni de l'eau déversée par les pompiers car il n'est sorti des réserves et utilisé qu'à de rares occasions.
- Les statues de la flèche, comprenant les douze apôtres et quatre évangélistes monumentaux qui ornaient le toit de Notre-Dame, ont échappé de justesse à l'incendie, car elles avaient été enlevées quelques jours plus tôt pour être restaurées.
- Les grandes rosaces des façades nord, sud et ouest ainsi que les vitraux; les 13 "Mays", grands tableaux des XVIIe et XVIIIe siècles offerts par la corporation des orfèvres parisiens; le bourdon, la plus grosse cloche de Notre-Dame dans la tour sud qui n'a pas été atteinte par les flammes; la Pietà monumentale du sculpteur Nicolas Costou, les grilles dorées en fer forgé du choeur et ses stalles sont intacts.