En janvier, l’Otan a lancé sa plus importante série d’exercices militaires en Europe depuis la fin de la Guerre froide. Ces manœuvres, qui se déroulent principalement dans les plaines polonaises et norvégiennes, mobilisent quelque 90'000 hommes.
L’objectif pour les troupes est de se déplacer le plus rapidement possible de l’ouest de l’Europe à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie afin d’empêcher une force ennemie de pénétrer sur le territoire de l’Alliance.
>> Pour aller plus loin : Un pays "comparable" à la Russie sera l'adversaire fictif d'un vaste exercice de l'Otan
Réarmement européen
L’Europe prépare sa défense et se réarme. Un changement de paradigme, alors que depuis la fin de la Guerre froide les dépenses militaires avaient été réduites dans la plupart des pays. "L'Ukraine nous a rappelé de manière très brutale et crue que la guerre pouvait avoir lieu sur le continent européen et à une échelle sans précédent depuis 1945. Donc on a quelque chose qui vient en quelque sorte bousculer les certitudes à la fois des dirigeants et des populations européennes, qui nous impose sans doute de sortir de ce moment stratégique de l'après-Guerre froide où on pensait être en train de construire la paix", estime Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l'Otan et chercheur au Conseil européen pour les relations internationales à Bruxelles, dans l’émission Géopolitis.
L'Ukraine nous a rappelé de manière très brutale et crue que la guerre pouvait avoir lieu sur le continent européen et à une échelle sans précédent depuis 1945
Sur le continent européen, les dépenses militaires des États ont atteint 480 milliards de dollars en 2022, soit 13% de plus qu’en 2021. En Europe centrale et occidentale, elles ont dépassé pour la première fois celles de 1989, fin de la Guerre froide. L’augmentation est la plus marquée en Finlande (+36%), en Lituanie (+27%), en Suède (+12%) et en Pologne (+11%), selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, le SIPRI.
En réalité, ce vaste réarmement a commencé dès 2014. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a accéléré une tendance amorcée depuis l’annexion de la Crimée. En 2024, les deux tiers des Alliés devraient atteindre ou dépasser le seuil des 2% du produit intérieur brut (PIB) consacrés à la défense, alors qu’en 2014 trois pays membres seulement avaient franchi ce palier, a annoncé l’Otan.
Ce 2% du PIB représente la limite inférieure à consacrer à la défense afin que la disponibilité opérationnelle reste assurée à l’échelle de l’Alliance, avaient convenu les ministres de la Défense des pays alliés en 2006. Et cette valeur sert par ailleurs d’indicateur de la volonté politique de chaque État de contribuer à l’effort global. En l’occurrence, la situation entre pays européens varie beaucoup.
On ne peut pas avoir la paix sans avoir un investissement raisonnable dans le domaine de la défense
"Il y a un groupe de pays qui sont souvent les voisins de la Russie, qui sont clairement au-dessus de 2% du PIB consacré à la défense. Ils ont beaucoup réinvesti dans la défense depuis plusieurs années. Il y a un groupe qui est à 2% ou presque. Et il y a un groupe qui traîne un petit peu derrière et qui peine même à annoncer le calendrier pour arriver à ce chiffre", précise Camille Grand avant de souligner que "ce qui est certain, c'est qu’on ne peut pas avoir la paix sans avoir un investissement raisonnable dans le domaine de la défense".
Dépendance américaine
Si les Européens investissent à nouveau dans leur défense, ils présentent toutefois une fragilité: "Il y a de fortes dépendances vis-à-vis des Américains dans un certain nombre de domaines: la dissuasion nucléaire, les capacités stratégiques. Donc il y a un vrai point à régler pour les Européens s'ils veulent être les acteurs de leur propre destin", explique Camille Grand.
Les importations d’armes majeures des Etats européens ont ainsi presque doublé ces quatre dernières années par rapport à 2014-2018. Plus de la moitié des achats viennent des Etats-Unis, selon le SIPRI.
>> Pour approfondir : L’Europe sur le pied de guerre
Pour limiter cette dépendance, la Commission européenne a par exemple récemment alloué 500 millions d’euros pour accroître la production de munitions locale sur un total de 2 milliards d’euros destinés à renforcer l’industrie de défense de l’UE. Elle a également proposé d'acquérir 40% des équipements de manière collaborative d’ici 2030 et d'acheter 50% des équipements au sein de l'Union européenne.
Il est important que les Européens se préparent à une sécurité européenne avec moins d'Etats-Unis, avec ou sans l'élection de Donald Trump
A raison, selon Camille Grand: "Je crois qu'il est important que les Européens se préparent à une sécurité européenne avec moins d'Etats-Unis, avec ou sans l'élection de Donald Trump. On voit bien que les Américains, même avec une administration Biden, peinent à mobiliser le Congrès pour aider l'Ukraine, qu’ils peuvent être davantage préoccupés par la Chine que par l'Europe. Il y a un grand défi pour les Européens sur ce sujet."
Natalie Bougeard