"On risque de payer très cher le fait d'oublier des conflits" au Soudan et dans la région
Cette région se trouve "aux portes de l'Europe", souligne Christian Levrat. Selon lui, "on devrait être beaucoup plus attentifs à ce qui s'y passe, car on a un intérêt éminent à stabiliser toute l'Afrique subsaharienne". Sinon, le risque est "d'être confronté à des mouvements migratoires importants".
Christian Levrat rappelle qu'il y a déjà 11 millions de Soudanais en fuite sur les 50 millions d'habitants dans le pays, voisin direct de l'Egypte et de la Libye (lire aussi les encadrés sur la situation sur place).
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Le Soudan est le théâtre depuis avril 2023 d'une guerre sanglante entre les FSR, dirigées par le général Mohamed Hamdane Daglo, et l'armée menée par le général Abdel Fattah al-Burhane, dirigeant de facto du pays.
Manque de moyens
L'appel de fonds de l'Unicef (Fonds des Nations unies pour l'enfance) en faveur du Soudan est loin d'être atteint. En cause, "les gouvernements qui ont réduit les fonds à disposition pour l'aide au développement" et "la géopolitique", analyse Christian Levrat, même s'il dit comprendre que "le conflit ukrainien et la situation à Gaza impactent davantage nos populations, avec un intérêt géostratégique pour l'Europe".
Réduire l'aide humanitaire ou la transférer sur l'Ukraine est une politique de courte vue
Christian Levrat se dit favorable à l'aide humanitaire en faveur de l'Ukraine, mais pas au détriment des crédits humanitaires et des crédits du Sud. Selon lui, cette politique revient à "tenter d'éteindre un brasier en en alimentant d'autres".
Priorité: rouvrir les écoles au Soudan
"La manière la plus intelligente d'aider est de donner un avenir aux enfants", estime Christian Levrat. Actuellement, des millions d'enfants ne vont pas à l'école. Pour le président de l'antenne helvétique de l'Unicef, il faut faire en sorte qu'ils puissent y retourner.
C'est aussi la demande des mères que Christian Levrat a rencontrées au Soudan, dit-il. "Elles n'ont rien, elles vivent au mieux dans des tentes", décrit Christian Levrat. Mais elles disent "ouvrez les écoles, faites en sorte que nos enfants puissent être scolarisés au plus vite".
Car les enfants non scolarisés font face à des menaces, prévient Christian Levrat: mariages précoces pour les filles et recrutement comme enfants soldats pour les garçons.
Epidémie de choléra
Christian Levrat cite également l'importance de rétablir les infrastructures de santé. A Port Soudan, "60 % des institutions de santé ne fonctionnent plus et les gens sont confrontés à une épidémie de choléra qui progresse rapidement", décrit Christian Levrat.
Au Soudan, l'espoir principal est celui d'un cessez-le-feu, souligne Christian Levrat. Et à court terme, garantir l'accès aux victimes. L'Unicef appelle également à intensifier les moyens financiers.
Interview radio: Pietro Bugnon
Adaptation web: Julie Liardet
"Une des pires crises que j'aie vues de ma vie"
"Je n'ai jamais vu quelque chose d'une ampleur aussi dramatique et je n'ai jamais vu des gens à ce point dépendants de l'aide internationale", décrit Christian Levrat, président de l'antenne helvétique de l'Unicef, de retour du Soudan.
"Aujourd'hui, au Soudan, personne n'est vraiment à l'abri", souligne Christian Levrat. Il cite une crise multiple: une crise sécuritaire, une crise des systèmes de santé, une crise alimentaire avec la famine et une crise écologique avec une forte désertification du territoire.
"J'ai visité des dispensaires de campagne dans lesquels on essaye d'apporter une aide d'urgence à des enfants en situation de sous-nutrition grave", décrit Christian Levrat. Il cite également "des difficultés d'accès très importantes pour les humanitaires". Les populations, elles, sont victimes "de menaces et de violations gravissimes de leurs droits", dit-il.
Fuir du jour au lendemain
"Comment décrire l'ampleur de cette catastrophe? C'est une somme de destins individuels", décrit Christian Levrat. Il raconte sa rencontre avec une femme de 61 ans dans un camp. Cette dame soudanaise a fui avec ses trois filles et ses 20 petits-enfants.
"Ils se sont d'abord réfugiés dans une ville relativement proche de Khartoum. Ils ont ensuite dû continuer et la dernière étape - onze jours de marche- les a amenés à proximité de la mer Rouge. Il y avait des blessés. La famille était à l'évidence totalement épuisée".