Vadim* revient tout juste de la ligne de front au moment où il rencontre la RTS. Equipé d'un gilet pare-balles, sa kalachnikov barre encore son torse. Dans ses yeux, ce n'est plus de la fatigue, mais de l'épuisement.
"C'est dur physiquement, oui, mais mentalement je vais bien", confie-t-il dans l'émission Tout un monde, avant de se reprendre. "En fait, moralement, c'est très difficile. C'est impossible à décrire. Lorsque nous sommes sur la ligne de front, sur nos positions, j'essaie de rester positif. Parce que si je me laisse aller à être négatif, à me dire que je vais mourir, je deviens fou", explique-t-il.
Des positions très délicates sur la rive gauche du Dniepr
En tant qu'artilleur, la fonction de Vadim est de protéger ses compagnons qui se trouvent de l'autre côté du fleuve. Dans la région de Kherson, l'un des exploits de l'armée ukrainienne est en effet d'avoir réussi à créer des positions sur la rive gauche du Dniepr, là où se trouve l'armée russe.
Ces positions sont extrêmement fragiles et constamment sous le feu russe. Souvent comparés à la Première Guerre mondiale, ces combats se caractérisent par une lutte intense pour gagner du terrain à l'ennemi, qui n'est souvent qu'à quelques centaines de mètres.
On tente de les aider autant que possible, de couvrir notre infanterie sur la rive gauche, mais on n'y arrive pas. Ils se font malheureusement tuer
Le coût pour maintenir ces positions se révèle énorme. A plusieurs reprises, des soldats rencontrés racontent avoir vu les trois quarts de leur brigade être décimés.
Des drones qui saturent l'espace aérien
Pour les artilleurs ukrainiens situés sur la rive droite, il est devenu extrêmement difficile de défendre les hommes positionnés de l'autre côté du fleuve. En cause, les drones russes, de plus en plus importants dans cette guerre, et dont les Ukrainiens n'arrivent pas à brouiller les ondes, faute de matériel.
Des drones qui ciblent l'artillerie ukrainienne et empêchent donc de tirer les obus nécessaires pour couvrir les troupes situées plus en avant. "On tente de les aider autant que possible, de couvrir notre infanterie sur la rive gauche, mais on n'y arrive pas. Ils se font malheureusement tuer", témoigne Vadim.
Les soldats le disent souvent, et c’est son cas, "il faut éviter de trop y penser, sinon on devient cinglé".
Montée en puissance de l'armée russe
Dans les premiers mois de la guerre, c'est pourtant l'ingéniosité en matière de drones des Ukrainiens qu'on soulignait. Mais depuis, la Russie s'est adaptée. "Ils en ont beaucoup plus et les fabriquent désormais à grande échelle", explique Vadim.
Et d'ajouter: "Nous, les drones que nous avons à disposition, c'est uniquement grâce aux volontaires qui nous les ont procurés."
Plus globalement, l'artilleur ressent nettement une véritable montée en puissance de l'armée russe. "Lorsque je repars sur la ligne de front, j'y vais avec en tête l'envie de revenir vivant. Mais je n'ai pas vraiment de pouvoir là-dessus (...) j'essaie de me dire que des forces supérieures me protègent. Ce mois-ci, j'ai eu de la chance, j'ai déjà risqué à deux reprises de mourir à cause des bombardements", raconte-t-il.
J'aimerais revenir à la vie civile, mais comment? Comment les autres vont-ils continuer à se battre si nous les laissons?
A l'inverse, les troupes de Kiev manquent cruellement de matériel. On évoque les pénuries de drones, d'avions, de chars et surtout de munitions, mais les soldats n'ont souvent même pas accès au minimum vital. Pour avoir un gilet pare-balles convenable, il faut souvent se le procurer soi-même. "Je l'ai acheté moi-même, avec mon propre argent", confirme Vadim.
"J'aimerais pouvoir me reposer"
Si Vadim peut de moins en moins récupérer, c'est aussi parce que l'Ukraine manque de soldats pour assurer les rotations. Trop de soldats sont morts ou sont gravement blessés et le pays peine à mobiliser.
"J'aimerais revenir à la vie civile, mais comment? Comment les autres vont-ils continuer à se battre si nous les laissons?", s'interroge-t-il.
"Nous avons besoin de nous reposer, mais pour cela, il faut qu'on puisse être remplacés par de nouvelles recrues. Sauf qu'on leur a donné une formation qui est théorique. Ils manquent de pratique (...) j'aimerais pouvoir me reposer, oublier tout cela, oublier la guerre, mais je sais que ce n'est pas près d'arriver", ajoute-t-il.
Vadim se rappelle notamment d'une nouvelle recrue qui s'est mise à paniquer. "Il nous a tiré dessus. Heureusement, personne n'a été blessé. Mais on n'a pas besoin de gens comme ça", déplore-t-il.
Le risque de perdre Kherson?
L'artilleur rencontré par la RTS estime pourtant que le pire reste à venir. Après avoir été occupée durant des mois par la Russie, puis libérée, Kherson est aujourd'hui bombardée quotidiennement. "Je crois qu'on risque de perdre à nouveau la ville", estime-t-il. D'autres soldats ukrainiens dressent le même constat. Pour eux, "la guerre est déjà perdue" car "l'ennemi est trop fort".
Indispensable, l'aide militaire américaine et européenne reste quant à elle insuffisante et arrive systématiquement trop tard pour faire face à la Russie, qui peut compter de son côté sur des livraisons de matériel en provenance d'Iran ou encore de Corée du Nord.
Pour certains, comme Vadim, l'épuisement est tel que le doute d'une "conspiration" s'est immiscé. "La Russie dispose de forces très importantes, mais il me semble que nos autorités font aussi traîner les choses en longueur. Ici, quand nous avions réussi à passer à l'offensive, on avançait d'un kilomètre en moins d'une demi-heure. Et pourtant on a reçu l'ordre de ne pas avancer si vite. Je pense que ce sont des intérêts qui se jouent, à l'échelle mondiale (...) la guerre rapporte toujours de l'argent à certains et je ne pense pas uniquement à Zelensky", conclut-il.
Reportage radio: Maurine Mercier
Adaptation web: Tristan Hertig