Dans ces banlieues pauvres, souvent peuplées d’anciens éleveurs nomades, des milliers de poêles crachent une fumée âcre. Bois, charbon, détritus ou pneus usagés: tout est bon pour échapper aux températures glaciales.
Bien au chaud dans leur yourte, Oyngarle et sa fille préparent des Buuz. Ces raviolis traditionnels farcis à la viande de cheval et de mouton sont cuits à la vapeur dans une bassine posée à même le poêle, au centre de l'enceinte circulaire recouverte de feutre.
"C'est vraiment la partie la plus importante", souligne Oyngarle. "C'est essentiel! La majorité des ménages du district en dépendent pour se chauffer. Certains brûlent du bois mélangé à des pneus broyés. Mais le plus répandu à présent, ce sont les briquettes de charbon. Certaines familles ont l'électricité et se chauffent avec des radiateurs. Mais ce n'est pas très courant. La plupart utilisent le charbon", indique-t-elle.
Ce charbon dont regorge le sous-sol mongol est synonyme de survie pour les plus de 850'000 habitants du "district des yourtes". Parmi eux, beaucoup sont d’anciens nomades venus s’installer dans des cabanes en bois ou sous les tentes traditionnelles.
Briquettes de charbon subventionnées
Au plus froid de l'hiver, quand le thermomètre descend autour de -40°C, Oyngarle brûle plus de 100 kilos de charbon par semaine. Le combustible se présente sous forme de briquettes raffinées, décrites comme plus "propres", fournies et subventionnées par les autorités.
"Quand tous les poêles sont allumés, la fumée envahit tout à l'extérieur", explique Oyngarle. "Le smog est très épais. Le pire, c'est le matin ou à la fin de la journée, quand les gens rentrent du travail. On a vraiment mal à la gorge."
De décembre à mars, la concentration en particules fines dans l'air dépasse plus de 14 fois le seuil accepté par l'Organisation mondiale de la santé. Un air toxique inhalé par les près de 1,7 million d’habitants de la capitale mongole. Le problème s’est aggravé ces dernières années du fait de la forte croissance démographique d’Oulan-Bator, alimentée par la sédentarisation des nomades. La ville concentre désormais environ la moitié de la population du pays.
Réfugiés du "Dzud"
L’évocation de cet environnement vicié plonge Oyngarle dans le souvenir des pâturages quittés il y a près d’une décennie: "J'y repense tout le temps. L'air frais que l'on respire à pleins poumons, les grands espaces, la liberté… Mais en 2015, le Dzud nous a pris nos 150 moutons", explique-t-elle.
Le Dzud, "désastre" en Mongole, désigne une anomalie climatique de plus en plus fréquente. Un redoux précoce précipite la fonte des neiges en hiver. Le retour brutal du froid fige le sol sous une couche de glace impénétrable, que les animaux grattent en vain. Affaiblis, ils succombent à la faim et au froid. L'hiver dernier, les nomades ont ainsi vu périr, impuissants, trois millions de bêtes.
Une fois par mois, Tamberlsaan rallie la capitale depuis ses prairies dans son vieux 4x4 japonais remplis de moutons dépecés. Vêtu de son costume traditionnel, cet éleveur vend des pièces entières aux passants.
"Ceux qui perdent leurs bêtes n'ont pas le choix. Il n'y a rien d'autre à part l'élevage là-bas. Ils viennent ici trouver du travail", relève-t-il.
"Beaucoup viennent aussi pour scolariser leurs enfants en ville. Auparavant, les nomades retournaient à la campagne après quelque temps en ville. Mais en raison du Dzud, désormais récurrent, ils restent. Nous sommes de moins en moins à vivre dans la steppe", dit-il.
Un exode source de tensions
Cet exode rural forcé est source de tensions à l'arrivée du froid. Habitant d'une zone résidentielle populaire, un père de famille de 35 ans regarde en direction du "district des yourtes", situé sur le coteau d'en face.
"Cet enfer, c'est à cause de tout ce charbon qu'ils brûlent", lance-t-il. "J'ai quatre enfants âgés de 1 à 10 ans. L'hiver, c'est infernal. Ils souffrent de bronchite chronique. Et quand ils ont un rhume ou une grippe, elle ne se soigne pas naturellement. On doit recourir aux antibiotiques. Les médecins nous disent que la faible réponse immunitaire est liée à la pollution", déplore-t-il.
Un symptôme de la pauvreté
Ces critiques, Zoljargal Purevdash y a été confronté durant des années. Native du "district des yourtes", la réalisatrice de 35 ans est à l’origine d’un film très remarqué l’an dernier: "Si seulement je pouvais hiberner". Salué lors du dernier festival de Cannes, son œuvre est en lice aux Oscars dans la catégorie internationale.
"J'ai écrit 'Si seulement je pouvais hiberner', l'histoire d'un garçon de 15 ans qui n'a rien à brûler dans son poêle, mais qui fait tout ce qu'il peut pour acquérir une bonne éducation et s'en sortir. A travers sa vie et ses efforts, je voulais montrer à mon peuple les problèmes causés par la pauvreté", explique la cinéaste.
"J'ai grandi dans le district des yourtes et je sais que personne ne brûle du charbon pour empoisonner qui que ce soit. Ils n'ont pas le choix. C'est la seule solution qu'ils ont pour se chauffer de manière abordable et pour résister au froid brutal de l'hiver. Je suis tellement choquée que les gens ne comprennent pas ça. Ce que nous inhalons, ce n'est pas de la pollution. C'est la pauvreté de nos sœurs et de nos frères", soutient-elle.
Symptôme de l'appauvrissement des éleveurs en raison du changement climatiques, le smog d’Oulan-Bator est aussi renforcé par le développement économique inégalitaire du pays. Malgré une croissance soutenue — tirée par l'exploitation du charbon — la population mongole sous le seuil de pauvreté reste figée à près de 30%. Une population dont une part importante s'entasse autour de la capitale.
Michael Peuker/ami