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Ouverte il y a 50 ans, la plaie de la division de Chypre n'a pas cicatrisé

50 ans après la partition de Chypre, la plaie est toujours ouverte [Keystone - AP Photo/Petros Karadjias]
50 ans après la partition de Chypre, la plaie est toujours ouverte / Tout un monde / 5 min. / hier à 08:14
Il y a 50 ans, la junte militaire grecque orchestrait un coup d'Etat pour annexer Chypre. En réaction, la Turquie envoyait ses troupes sur l'île. Depuis, le territoire est partagé entre nord turcophone et sud hellénophone et la plaie de 1974 n'a pas cicatrisé.

Officiellement, il n'y a qu'un seul Etat: la République de Chypre, reconnue par les Nations unies et membre de l'Union européenne. Située au cœur de l'île, Nicosie est aujourd’hui la seule capitale divisée au monde. Rues bloquées, fils barbelés ou encore zones interdites: ici, la "ligne verte", la zone sous contrôle de l'ONU qui coupe le pays en deux, est particulièrement visible.

Evguenia Chamillou, une avocate de 25 ans, préside un mouvement de jeunesse en faveur, entre autres, d’une réunification de l’île. La RTS l'a rencontrée dans une zone contrôlée par l'ONU.

"Le café dans lequel nous nous trouvons – La maison de la coopération – est le seul espace où l'on peut venir prendre un verre sans avoir besoin de montrer son passeport, contrairement au reste de la ligne verte, où il faut montrer une pièce d’identité pour traverser, comme si on passait d’un pays à un autre", explique-t-elle dans l'émission Tout un monde.

Des casques bleus patrouillent dans une rue abandonnée de Nicosie, capitale divisée par la "ligne verte" sous surveillance de l'ONU, le 18 juin 2024. [KEYSTONE - PETROS KARADJIAS]
Des casques bleus patrouillent dans une rue abandonnée de Nicosie, capitale divisée par la "ligne verte" sous surveillance de l'ONU, le 18 juin 2024. [KEYSTONE - PETROS KARADJIAS]

"Or, ce n’est pas notre vision des choses et ce n’est tout simplement pas la réalité! Nous sommes une seule et même île. C’est parfois difficile de militer en ce sens, il y a beaucoup de séquelles. Si vous traversez, certains peuvent vous le reprocher et vous qualifier de traître. Le simple fait de rencontrer quelqu’un qui vient de l’autre côté peut être considéré comme quelque chose de politique."

Des affrontements dès les années 60

Indépendante à partir de 1960, date du départ des colons britanniques, Chypre est rapidement agitée par des heurts communautaires entre habitants d’origine grecque et d’origine turque. Majoritaires, les Chypriotes grecs militent à l’époque pour l’Enosis, la réunion de Chypre à la Grèce, que certains considèrent alors comme une mère patrie.

C’est le cas de Georgia Ttanou Achilleos, 82 ans, rencontrée à Limassol, sur la côte sud: "Dès 1955, nous étions réunis par un objectif: mettre en œuvre l’Enosis, la réunion avec la Grèce. C’était notre objectif, pas la lutte en soi contre les Turcs ou les Britanniques", raconte-t-elle. "À partir de 1960, nous nous sommes opposés au président de l’époque, Makarios. Je ne peux pas le voir en peinture, celui-là! Ça aurait été formidable que Chypre ait été réunie avec la Grèce, puisque nous avons la même culture et la même langue. Pourquoi les séparer?"

Un coup d'Etat grec et une intervention militaire turque

En juillet 1974, la junte militaire au pouvoir à Athènes tente d’imposer l'Enosis par la force. Le palais présidentiel est attaqué et le président Makarios victime d’un coup d’Etat le 15 juillet. Cinq jours plus tard, la Turquie, qui a toujours été opposée à la réunion de Chypre à la Grèce, envahit le nord de l’île, au motif de défendre les Chypriotes turcs. Sur place, face aux violences, les Chypriotes grecs doivent se réfugier au sud et les Chypriotes turcs au nord.

"En 1974, j’avais environ 40 ans. Aujourd’hui, j’en ai 90. À l’époque, j’occupais un emploi de fonctionnaire. C’est pour cela que j’étais le seul de ma famille à vivre à Nicosie", se remémore Petros Papamichail. "J’habitais ici dans une maison avec ma femme et mes deux fils, qui étaient encore petits. Le reste de ma famille vivait dans la région de Famagouste, dans l’est de Chypre. C’est de là-bas que je suis. Au moment de l’invasion turque, tout le reste de ma famille a dû fuir cette région pour s’installer dans le sud de l’île, dans la ville de Limassol. Les Turcs nous ont pris tout ce que nous avions à Famagouste, nos maisons, un verger et d’autres terrains."

Un sentiment d'injustice

Chypre est depuis divisée en deux parties. Depuis 2003, une poignée de checkpoints permettent toutefois de passer d’un côté à l’autre de l’île. Mais pour les Chypriotes grecs qui considèrent que le nord est une zone occupée, l’expérience est encore douloureuse.

Pour Charilaos Athinodorou par exemple, la séparation a un goût amer. "Nous avons sans cesse à l’esprit la division de l’île, cette injustice faite à Chypre", déclare cet homme à la tête d’un domaine viticole dans la partie montagneuse de l’île. "À présent, cela fait dix ans que je ne suis pas retourné du côté occupé, mais j’y étais allé parce que ma femme est originaire de cette partie de l’île et que je voulais voir le lieu où elle avait grandi. J’y étais aussi passé deux-trois fois avant l’invasion, mais j’étais petit. Très clairement, revenir sur place et prendre conscience de tout ce qui s’y est passé a provoqué chez moi comme une douleur à l’âme."

La République de Chypre a fait son entrée dans l’Union européenne en 2004. Les négociations de paix sont pourtant au point mort. Cinquante ans après la partition, l’encre de la "ligne verte" qui sépare sur les cartes l’île en deux fragments paraît toujours aussi indélébile.

Reportage radio: Joël Bronner

Adaptation web: ami

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