"Paris outragé! Paris brisé! ... mais Paris libéré!": il y a 80 ans, la Ville Lumière était libérée des nazis
Depuis le débarquement en Normandie deux mois plus tôt, la population parisienne suit avec anxiété les nouvelles de l'avancée des troupes alliées, guettant le moindre signe de libération.
Les actions de la Résistance se multiplient: des attaques contre les forces allemandes, des véhicules incendiés et des grèves massives témoignent d'une tension grandissante. Quinze mille policiers refusent de porter l'uniforme et les cheminots laissent les trains à quai.
"Tenez bon, nous arrivons! "
Au petit matin du 19 août 1944, les rues de Paris se couvrent d'affiches appelant à attaquer l'ennemi partout où il se trouvera. Encouragés, les Parisiens passent à l'action. La préfecture de police et l'Hôtel de Ville tombent rapidement aux mains des Français.
Mais les quelque 500 barricades érigées dans les rues par les Parisiens, peu armés, n'arrivent pas à stopper totalement les chars nazis et les 20'000 soldats allemands (lire aussi l'encadré sur l'ordre d'Hitler de détruire Paris).
Pendant ce temps, le général Leclerc, à la tête de la 2e Division blindée, se dirige vers Paris avec 15'000 hommes. Cependant, il se heurte à des combats intenses en banlieue, ralentissant sa progression. Pour rassurer les Parisiens, un avion survole la ville, larguant un message du général Leclerc: "Tenez bon, nous arrivons!"
Les Parisiens et Parisiennes résistent ainsi pendant six jours, jusqu'à l'arrivée tant attendue des troupes de la 2e Division blindée.
Le 25 août, en l'espace de quelques heures, les Allemands sont expulsés de la capitale. L'hôtel Meurice, siège du commandement allemand, est repris.
Arrivée du général de Gaulle
Ce même jour, le général de Gaulle entre dans Paris et, devant l'Hôtel de Ville, prononce un discours resté célèbre: "Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré!"
Pendant que de Gaulle s'adresse à la foule, le capitaine Lucien Sarniguet, un pompier parisien, gravit les 1700 marches de la tour Eiffel, tenant un drapeau de fortune fait de six draps teints en bleu, blanc et rouge. A la place de la croix gammée qui a flotté durant près de quatre ans, il hisse ce drapeau français.
Ironie de l'Histoire, c'est lui qui, en juin 1940, avait été contraint par les Allemands de retirer le drapeau tricolore de ce même monument.
Fait prisonnier, le gouverneur militaire du "Grand Paris" Dietrich von Choltitz signe la capitulation allemande à Paris le 25 août 1944. Il fait deux ans de camps d'emprisonnement en Angleterre avant d'être libéré et de rentrer se faire oublier en Allemagne de l'Ouest. Il meurt en 1966.
>> Lire aussi : La résistante Madeleine Riffaud, 100 ans, met un point final à ses mémoires de guerre en BD
Valentin Jordil
Les plans secrets d'Hitler pour détruire Paris
Après l'attentat manqué contre Adolf Hitler le 20 juillet 1944, l'Allemagne nazie sombre dans la folie meurtrière et la destruction. Le Führer ordonne la destruction de plusieurs capitales européennes, notamment Londres et Varsovie.
Le 23 août 1944, alors que la 2e Division blindée du général Leclerc se prépare à libérer Paris (lire ci-dessus), Hitler est inflexible: "Paris ne peut tomber entre les mains de l'ennemi ou seulement comme un champ de ruines", enjoint-il au général Dietrich von Choltitz, gouverneur militaire du "Grand Paris", qui avait déjà orchestré le saccage de Rotterdam en 1940 et la destruction de Sébastopol en 1942.
Explosifs placés sous des ponts et monuments
Les Allemands placent alors des explosifs sous plusieurs ponts et monuments emblématiques de la capitale française, tels que le Sénat.
Dans ses "Mémoires" publiés en 1950, Dietrich von Choltitz raconte: "Si, pour la première fois, j'ai désobéi, c'est parce que je savais que Hitler déraisonnait." Ce "récit héroïque" sera célébré par la littérature et le cinéma, notamment dans le film "Paris brûle-t-il?" de René Clément en 1966.
Cependant, le refus de Dietrich von Choltitz d'appliquer les ordres d'Hitler tient davantage à des contraintes pratiques. Le général allemand ne dispose en effet que d'environ 20'000 hommes, insuffisants pour réprimer l'insurrection parisienne et mener à bien la destruction de la ville.
Comme l'explique l'historien Fabrice Virgili, dans le documentaire "Détruire Paris, les plans secrets d'Hitler", von Choltitz accepte le cessez-le-feu proposé par le consul de Suède, Raoul Nordling, non pour sauver Paris, mais pour se sauver lui-même.
René Naville, le diplomate suisse
Lors de cinq rencontres, Raoul Nordling parvient en effet à convaincre le général allemand que la guerre est perdue pour le Troisième Reich. Détruire Paris ne ferait qu'alourdir le poids de ses crimes et aggraver son sort lors de son jugement par les Alliés. Le diplomate suédois garantit à Dietrich von Choltitz que lui et ses hommes ne seraient pas fusillés sans jugement lors de leur reddition.
Raoul Nordling agit également en tant qu'intermédiaire entre Dietrich von Choltitz et la Résistance, facilitant la signature d'une trêve et assurant des ravitaillements pour la population.
Aux côtés de René Naville, le consul suisse à Paris, Raoul Nordling, avait déjà joué un rôle essentiel à la mi-août 1944 en négociant la libération de milliers de prisonniers politiques français, transférés sous le contrôle du consulat de Suède et de la Croix-Rouge.
Des tirs de missiles V2
Hitler ne renonce toutefois pas à son projet de réduire Paris en cendres. Malgré le cessez-le-feu, signé par le général von Choltitz, il ordonne des tirs de missiles V2 depuis la coupole d'Helfaut, dans le Pas-de-Calais. Hans Speidel, un officier de l'armée allemande, affirmera plus tard ne pas avoir transmis cet ordre qu'il jugeait "absurde". En réalité, ces tirs étaient impossibles à exécuter.
Hitler donne ensuite l'ordre à la Luftwaffe de bombarder Paris. Dans la nuit du 26 août 1944, 120 avions larguent des centaines de bombes incendiaires sur la capitale, causant d'importants dégâts.
Des missiles V2, tirés depuis la Belgique, frappent également 22 communes autour de Paris. A Alfortville, dans le Val-de-Marne, soixante maisons sont détruites. Alors que les tirs se font de plus en plus précis et se rapprochent de la capitale, ils cessent le 6 octobre 1944, lorsque Hitler décide de concentrer les bombardements sur Londres.
Paris libéré... la presse aussi, avec la naissance de l'AFP
Le 20 août 1944, un petit groupe de résistants français investit un organe de propagande du gouvernement de Vichy, allié des nazis, et donne naissance à l'Agence France-Presse (AFP).
C'est un dimanche. Les huit conspirateurs se sont donné rendez-vous à 07h00 dans le coeur de Paris, au 13, place de la Bourse, devant l'immeuble décrépi de l'ancienne Agence Havas, qui abrite l'Office français d'information (OFI) depuis quatre ans et le début de l'occupation nazie.
Rapidement, le groupe de resistants reprend contact avec les équipes des journaux clandestins: "Combat", "Défense de la France", "Le Parisien Libéré", "L'Humanité"...
Dépêches distribuées par des cyclistes
A 11h30 est publiée la première dépêche: "Les premiers journaux libres vont paraître. L'Agence française de presse leur adresse son premier service...". Jusqu'à la fin des combats, les dépêches sont tirées sur des ronéos rudimentaires, un mode d'imprimerie sur un stencil par dilution d'encre, et distribuées par cyclistes aux journaux et au poste de contrôle de la Résistance.
Le 23 août arrive Fernand Moulier qui a jeté avec d'autres à Londres les bases d'une Agence française indépendante dotée d'un embryon de réseau international. La jonction s'opère entre journalistes de la Résistance et ceux de la France libre. L'équipe de la place de la Bourse va très vite s'étoffer.
Premier à annoncer l'entrée des chars du général Leclerc
Des reporters sillonnent à vélo les environs de Paris à la rencontre des troupes alliées et de la 2e Division blindée. Depuis la préfecture, c'est l'un d'eux, Basile Tesselin, qui sera le premier, le 25 août, à annoncer l'entrée dans Paris du général Leclerc...
Le statut inédit de l'AFP mettra un certain temps à mûrir dans les esprits et sera créé par la loi du 10 janvier 1957, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, qui lui garantit son indépendance.
L'AFP, dont le siège est toujours situé place de la Bourse, est aujourd'hui l'une des trois grandes agences de presse mondiale, avec Reuters et Associated Press. Ses journalistes sont présents dans plus de 150 pays. (afp)